La délégation sénatoriale aux Outre-mer a adopté à l’unanimité ce jeudi matin les conclusions du 2ème volet du rapport sur la « coopération et l’intégration régionale des Outre-mer » consacré au bassin atlantique. Ce rapport, dédié donc à la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Saint-Martin, dresse 20 propositions pour « accélérer et soutenir » la coopération et l’intégration de ces territoires dans leur région.
Après un premier volet consacré à l’océan Indien en 2024, la délégation sénatoriale aux outre-mer a poursuivi ses travaux sur la coopération et l’intégration régionales des outre-mer en consacrant ce deuxième volet au bassin Atlantique.
« Au terme de six mois d’auditions, les rapporteurs ont présenté un état des lieux nuancé et au final plutôt prometteur pour les collectivités françaises d’Amérique (CFA) », indique la délégation, d’autant que les sujets transversaux dans cette géographie sont nombreux : changement climatique, lutte contre les sargasses, lutte contre le narcotrafic, sécurité ou encore immigration et rivalités internationales.
« La Caraïbe est devenue un espace géopolitique sensible (…). Elle est aujourd’hui le théâtre d’une compétition accrue entre Washington et Pékin. (…) Le plateau des Guyanes, quant à lui, est en pleine transformation économique avec la découverte de gisements pétroliers géants » et « l'objet de contestations territoriales qui sont des irritants des relations bilatérales », constate la sénatrice du Val d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio (Les Républicains), co-rapporteure.
« Dans ce paysage, la coopération régionale apparaît en progrès, mais encore très insuffisante » ajoute Jacqueline Eustache-Brinio, citant notamment la prochaine intégration de la Martinique dans la Caricom ; les relations bilatérales entre Sainte-Lucie et la Martinique, ou entre la Guyane et le Suriname ou le Brésil, qui « sont de plus en plus dynamiques » ; et la coopération sécuritaire « a également progressé ».
« Plusieurs obstacles majeurs subsistent, limitant la capacité et la visibilité des actions engagées » abonde la sénatrice réunionnaise Evelyne Corbière Naminzo (CRCE-Kanaky). Des « freins, à la fois institutionnels, économiques, logistiques et financiers, qui « entravent le plein épanouissement de nos territoires dans leur environnement régional ». La sénatrice souligne notamment « un cadre institutionnel complexe et peu efficace » et « une multiplicité d'organisations régionales, chacune avec ses propres règles, ses priorités et ses mécanismes de financement ».
Le rapport déplore aussi « des échanges commerciaux toujours insuffisants », en raison « des normes européennes inadaptées » et du « manque de circuits économiques régionaux » qui accentuent une « dépendance historique à la métropole ». À titre d’exemple, les rapporteurs citent ces produits en provenance du Brésil qui doivent passer par Rungis avant d’être distribués sur les territoires, alors « qu'il aurait été plus judicieux d'avoir un quota de produits qui pourraient juste traverser le fleuve Oyapock », qui sépare le Brésil de la Guyane.
« Le résultat, c'est que nos RUP ratent des opportunités économiques. Pire, alors que le Guyana et le Suriname deviennent des puissances pétrolières, la Guyane française risque de rester en marge de cette dynamique, faute de liens économiques solides avec ses voisins ».
Autre frein : la mobilité. « Le cabotage est inexistant ou limité selon les régions. Et par ailleurs, les bassins de vie le long des fleuves Maroni et Oyapock, restent mal appréhendés », ajoute Evelyne Corbière Naminzo qui cite parmi les autres freins à cette coopération régionale : l’orpaillage illégale, la pêche illégale et les fonds français et européens dont la complexité à mobiliser décourage les porteurs de projets.
Les sénateurs ont donc formulé 20 propositions en quatre axes : « affirmer une diplomatie territoriale ambitieuse, différenciée et réactive ; lutter contre le fléau de l'insécurité sans nier les bassins de vie ; transformer les verrous de l'Union européenne en accélérateur de la coopération régionale ; et miser sur les secteurs d'avenir : transport maritime régional, environnement, sciences agroalimentaire, traitement des déchets ».
Pour la « diplomatie territoriale ambitieuse », « nous proposons de créer un véritable pôle stratégique de coopération régionale Outre-mer ». « Celui-ci serait chargé de la continuité et de la cohérence de la diplomatie territoriale des Outre-mer au sein de l'action extérieure de la Nation. Il serait placé sous la double tutelle du ministère des Affaires étrangères et de la DGOM et regrouperait les trois ambassadeurs régionaux à la coopération », explique Jacqueline Eustache-Brinio.
« Ce pôle ou direction aurait en particulier pour principal objectif d'accompagner et d'épauler la mise en œuvre des programmes cadres de coopération régionale approuvés par les collectivités » ajoute la sénatrice qui appelle « les collectivités à ordonner leur action extérieure et s'approprier les outils responsabilisant de la loi Letchimy de 2016 ». « Pour s'emparer de ce rôle de chef de file de la coopération régionale, chaque Outre-mer devrait donc approuver rapidement son programme de cadre de coopération régionale. Il est anormal que seule la Martinique en soit dotée depuis 2023 », insiste la sénatrice du Val d’Oise.
Elle appelle aussi à accélérer l’intégration de la Martinique dans la Caricom. « Le Parlement doit ratifier la Convention sur les privilèges et immunités d'ici 2026. Chaque mois de retard affaiblit notre crédibilité et prouve nos territoires d'opportunités très concrètes », estime-t-elle. Autre priorité, le retour de la France au capital de la Banque de Développement des Caraïbes (BDC). « Malgré la décision du CIEM en 2023, quasiment rien n'avance concrètement, il faut très sincèrement accélérer ce processus ».
Sur la lutte contre l'insécurité, qui comprend aussi la lutte contre le narcotrafic et autres trafics illicite, l’orpaillage illégal ou encore la pêche illégale, « nous proposons d'inscrire la lutte contre l'orpaillage et la pêche illégale à l'agenda des dialogues France-Chine et Union européenne-Chine ». « La Chine est un acteur clé de ces trafics, notamment en Guyane. Il faut en parler clairement avec Pékin et engager des engagements concrets pour endiguer ces pratiques » poursuivent les sénateurs.
« Nous appelons aussi à organiser une conférence internationale sur la sécurité dans la Caraïbe sous l'égide de l'Union européenne et de la France ». L'objectif d’une telle conférence : créer une Académie régionale de la sécurité qui formerait les forces de police et les magistrats de toute la région. « Cette initiative s'inspirerait de celle en cours dans le bassin Indien ».
Sur le plateau des Guyanes, « il est urgent de finaliser l'accord frontalier avec le Suriname ». « Aujourd'hui, il n'y a qu'un tiers de cette frontière qui est vraiment sécurisé, puisque le décret sur le deuxième tiers n'a pas été validé par le Suriname, ce qui pose quand même de vrais soucis », rappelle Jacqueline Eustache-Brinio. La finalisation de cet accord permettrai de créer un centre de coopération policière le long du fleuve Maroni. « En échange, la France pourrait proposer une carte de circulation transfrontalière comme celle qui existe déjà du côté brésilien ».
« Enfin, Saint-Martin doit devenir un laboratoire de coopération transfrontalière. Nous proposons d'étudier la création d'un groupement européen de coopération transfrontalière entre Saint-Martin et Sint-Maarten, et de rétablir un programme Interreg dédié à cette coopération », ajoute-t-elle.
« L'Union européenne est à la fois une clé et un verrou pour nos territoires » poursuit Evelyne Corbière Naminzo. « D'un côté, elle offre des financements massifs et une légitimité diplomatique, et de l'autre, ces règles, conçues pour des réalités continentales, étouffent souvent nos régions ultrapériphériques ». Reprenant une idée portée notamment par le sénateur de Guyane Georges Patient, la sénatrice réunionnaise appelle à « créer une politique européenne de voisinage ultrapériphérique dans le cadre du futur budget européen 2028-2034 ».
« Cette politique ciblerait spécifiquement les régions voisines des RUP et des PTOM, avec des financements dédiés et des règles adaptées. Les frontières de nos RUP et nos PTOM sont des frontières extérieures de l'Union européenne et appellent donc des politiques de voisinage au même titre que les de l'Union européenne. L'objectif est de faire des Outre-mer des ponts entre l'Europe et leur environnement régional et non des territoires enclavés. Il est aussi crucial d'autoriser les RUP à signer des accords de libre-échange limités avec leurs voisins. L'accord de partenariat économique Union européenne Caraïbes pourrait être modifié pour le permettre » développe-t-elle.
Evelyne Corbière Naminzo préconise également « des programmes Erasmus RUP qui permettraient à nos étudiants d'étudier dans les universités caribéennes et inversement » ; et « une politique de la francophonie renforcée dans les pays voisins de nos RUP ». Sur le volet économique, les rapporteurs défendent une modification du règlement européen de 1992 « pour faciliter la création de lignes de cabotage entre les RUP et leurs voisins », « la création d'une communauté caribéenne du transport maritime portée par l'Union européenne, la France et l'OECO » pour « construire un réseau régional dense, compétitif et décarboné ».
Sur la gestion des déchets, et notamment des sargasses, le rapport préconise « de faire appliquer l'article 349 du TFE pour adapter les règles européennes et autoriser des accords régionaux de gestion des déchets ». Enfin, sur le volet environnemental, les sénateurs soutiennent « l'idée de rapprocher le parc amazonien de Guyane et le parc brésilien de Tumucumaque pour créer la plus grande zone protégée de forêts tropicales au monde. Ce projet deviendrait un symbole de coopération franco-brésilienne. Il participerait aussi à ancrer politiquement la Guyane dans sa géographie amazonienne ».
« Nos territoires ont tout à gagner d'une meilleure insertion régionale : désenclavement, développement économique, sécurité, rayonnement régional » ont conclu les rapporteurs. « La France a tout à gagner, à renforcer son influence dans une région stratégique. L'Europe a tout à gagner à faire de nos RUP des territoires européens dynamiques ».























