Portrait. Le réalisateur Naftal-Dylan Soibri continue de poser les jalons de l’essor du cinéma mahorais

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Portrait. Le réalisateur Naftal-Dylan Soibri continue de poser les jalons de l’essor du cinéma mahorais

Il vient d’être distingué parmi les 40 talents qui incarnent l’avenir des Outre-mer par l’Institut Choiseul. À seulement 33 ans, le réalisateur Naftal-Dylan Soibri confirme son statut d’acteur essentiel au développement de l’industrie cinématographique mahoraise. Son combat ? Faire rayonner Mayotte à l’écran, au-delà des frontières de l’archipel. Après une année 2024 couverte de succès, avec la projection partout en France de son film Koungou, coécrit et coréalisé avec son partenaire de longue date Mass Youssoufa, Naftal-Dylan Soibri ne se repose pas sur ses lauriers. Son ambition est désormais de faire de Mayotte un terreau fertile pour le septième art.

 

C’est l’histoire d’un passionné d’audiovisuel qui se voyait, enfant, concepteur de jeux vidéo ou dessinateur de bande dessinée. Adolescent, Naftal-Dylan Soibri ne sait pas trop ce qu’il veut faire comme métier. Pourtant, depuis le CM2, son passe-temps favori, c’est de réaliser des montages dans sa chambre. « Un jour, un cousin est venu et il m’a montré un logiciel…  J’ai commencé à apprendre chez moi, seul, en faisant des petits clips, des bandes-annonces de films, de séries, de Disney... Je n’aurais jamais pensé que je pourrais en faire mon métier. » C’est en terminale que l’idée fait pourtant son chemin. Le jeune homme ne sait pas vraiment où il veut aller, mais il sait qu’il est passionné. Il se lance alors dans un BTS audiovisuel à Paris. 

En 2017, c’est le déclic. « On m’a ramené une caméra, et j’ai fait un film d’une heure sur ma communauté », se souvient-il. « Ce jour-là, je me suis dit que je voulais faire des films sur Mayotte, pour Mayotte. » À l’époque, le cinéma mahorais est quasi inexistant. Le besoin de raconter des histoires qui lui ressemblent le conforte dans sa décision. « Je voyais que Mayotte était absente des écrans. On ne voyait pas nos paysages, nos histoires, nos réalités. Ça m’a donné une motivation supplémentaire. J’avais envie que les Mahorais puissent se voir, se reconnaître au cinéma. »

Un parcours jonché d’obstacles

Après des années de formation, Naftal-Dylan Soibri revient à Mayotte. Il crée ND Production, une société spécialisée dans l’audiovisuel. « On a commencé par de petites vidéos, juste pour exister. Pour montrer que Mayotte aussi pouvait produire. Au début, c’était très artisanal, avec les moyens du bord. On a tout appris sur le terrain, souvent sans budget. »

C’est en 2021, avec la série FBI Mayotte que l’aventure prend une autre dimension. Il se lance alors avec celui qui demeure aujourd’hui encore son acolyte : Mass Youssoufa. « C’est un grand réalisateur, qui a déjà fait une série pour Canal+. Il a l’expérience. Et moi, je suis le jeune réalisateur, un peu fou, très ambitieux, qui rêve de faire un film qui sortira partout. À chaque fois qu’on travaille ensemble, nos deux sensibilités apportent quelque chose en plus. » C’est tous les deux qu’ils imaginent FBI Mayotte. « À la base, ce n'était qu'un projet amateur, une série tournée avec des moyens limités. C’était surtout pour montrer qu’on pouvait le faire. » Après une diffusion sur Internet, l’engouement autour de la série lui permet d’être diffusée à la télévision. 

Le succès de FBI Mayotte pose alors les bases d’un projet encore plus ambitieux : Koungou. « Dans l'ombre des quartiers difficiles de Mayotte, Hakim et Izak, deux lycéens, luttent chaque jour pour échapper à un destin tracé par la violence », peut-on lire dans le synopsis. Les deux hommes coécrivent et coréalisent le film. « Au départ, on devait juste faire un court-métrage de sensibilisation. On avait un petit budget. On s’est sacrifiés pour montrer qu’on pouvait produire un vrai film. Il fallait prouver qu’on était capables. » Depuis, le film a été projeté à Mayotte, mais aussi à La Réunion et dans l’Hexagone. 

Mais si le jeune réalisateur a gagné en crédibilité et en notoriété, certaines difficultés persistent. « C’est sûr que des portes se sont ouvertes depuis. On nous regarde autrement. C’est un peu plus simple. Mais nous sommes toujours à la recherche de financements pour nos projets. Il y a tellement de récits que l’on voudrait raconter... » À cette problématique financière s’ajoute l’absence de structure et de politique publique de soutien au cinéma à Mayotte. « On a le sentiment qu’il faut toujours prouver notre valeur ; montrer que les Mahorais sont capables de produire des films et des séries de qualité. Mais pour ça, encore faut-il avoir les moyens... » Pour autant, cela ne suffit pas à décourager le jeune Mahorais, qui ambitionne de réaliser très prochainement un thriller. « Un des films qui m’a marqué, c’est Seven (ndlr : réalisé par  David Fincher). J’aimerais bien aller dans ce genre, mais avec ma propre patte. On voit rarement des films, des séries, des thrillers dans un décor qui ressemble à Mayotte ou aux paysages de la région... »

Des projets pour transformer Mayotte en terre de cinéma

Aujourd’hui, le combat de Naftal-Dylan Soibri est reconnu jusqu’aux plus hautes sphères de l’État. Distingué en 2024 par la médaille d’honneur de l’engagement ultramarin, il apparaît désormais cette année dans le classement de l’Institut Choiseul parmi les jeunes leaders qui feront l’économie d’aujourd’hui et de demain dans les Outre-mer. « C’est un honneur et une fierté, bien sûr », indique le jeune Mahorais. « Ça me donne envie de travailler encore plus. » Parmi les projets en cours, le réalisateur pense à une production cinématographique sur les événements autour du cyclone Chido, mais aussi à un film d’amour, des séries policières ou encore des productions du type Top Chef ou Koh-Lanta. « On nous le demande et on veut le faire. De manière générale, on s’inspire plus du cinéma américain que du cinéma français, dans notre façon de tourner, dans le choix de la colorimétrie, de l’étalonnage… C'est un style plus dynamique, plus percutant. On est plus à l’aise avec cette approche », reconnaît le réalisateur, qui néanmoins ne veut rien s’interdire.

Loin de se reposer sur ses succès, Naftal-Dylan Soibri voit plus grand. « On ne veut pas juste faire un film tous les trois ans. On veut bâtir une industrie, une dynamique durable. Pour cela, il faut former les jeunes, développer les infrastructures. On ne pourra pas toujours compter sur des équipes venues d’ailleurs. On a le talent ici, il faut juste les moyens pour l’exploiter. » C’est déjà ce que fait Naftal-Dylan Soibri avec ses équipes lors de tournages. « Sur Koungou, on a formé des gens qui n’avaient jamais joué devant une caméra. On veut faire ça à grande échelle. Il y a des jeunes passionnés qui veulent apprendre. On doit leur donner cette chance. Si demain on tourne une série pour Netflix, il faudra des techniciens formés. Nous aussi, nous devons continuer à nous former… Et ce serait formidable que tous ces talents soient soutenus pour bâtir cette industrie de demain. »

Abby Said Adinani