La députée GDR de La Réunion Karine Lebon a déposé ce mercredi une proposition de loi pour reconnaître et réparer les abus subis par les « Enfants de la Creuse », ces Réunionnais déplacés de force dans l'Hexagone entre 1962 et 1984, a été déposée mercredi à l'Assemblée nationale. La proposition de loi est soutenue notamment par le ministre Manuel Valls, la présidente de la délégation aux droits des enfants, Perrine Goulet, et la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet.
Elles et ils étaient nombreux rassemblés, ce mercredi après-midi aux abords de l’Assemblée nationale, pour ce moment marquant « une nouvelle étape de la longue marche vers la reconnaissance et la réparation ». Pendant 22 ans, 2 014 enfants réunionnais ont été arrachés à leurs familles et leur terre natale, pour être déportés dans les départements ruraux de l’Hexagone, et officiellement pallier l’exode vers les grandes villes.
Or, déracinés, souvent séparés de leurs fratries et leurs parents, eux-mêmes leurrés par les discours politiques, ces enfants ont pour la plupart subi « maltraitance, viols, abus en tous genres ». « Les témoignages sont nombreux. Si chacun est différent, tous ont en commun la souffrance du déracinement », a rappelé la députée de La Réunion. « Ces enfants ont été considérés comme de simples marchandises, déplacés sans considération pour leurs vies et leurs liens familiaux ».
« Nous étions des enfants, parfois très jeunes. Nous avions besoin de soutien sinon d’amour. Beaucoup d’entre nous ont été placés dans des foyers austères, dans des familles d’accueil maltraitantes, exploités comme main d’œuvre, privés de notre culture et de nos racines. Certains ont été abusés dans un milieu qui devait être sécurisant pour un enfant », raconte Marie-Germaine Périgogne, « transplantée » à l’âge de 3 ans et présidente de la Fédération des enfants déracinés des DROM, qui a récupéré sa véritable identité en 2024.
Si en février 2014 l’Assemblée nationale, sous l’impulsion de l’ancienne députée de l’île Ericka Bareigts, avait voté une résolution reconnaissant la « responsabilité morale » de l’État dans cet épisode, la proposition de loi de Karine Lebon veut, elle, aller plus loin, en prévoyant trois formes de réparation : symbolique avec un jour de commémoration dédié, mémorielle avec la création d'une commission chargée de retracer les détails de ce pan d'histoire, et financière, via une indemnité dont le montant sera fixé par décret.
« Le principe de la réparation sera acté mais le montant ne peut pas être inscrit dans la loi », a précisé Karine Lebon. « Pour une enfance brisée, c'est de toute façon un montant qui sera décevant », a-t-elle ajouté. Le texte s’appuie aussi sur la Résolution 2533 adoptée en janvier 2024 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, sur la maltraitance des enfants dans les institutions en Europe. Elle-même fait suite à un combat similaire mené en Suisse par Guido Fluri.
« Notre pays doit regarder de quelle manière il a géré ses enfants des Outre-mer » a pour sa part souligné la présidente de la délégation parlementaire aux Droits des enfants, la députée MoDem Perrine Goulet, co-signataire de la proposition de Loi. « La négation de votre identité réunionnaise est la pire chose qu’on ait pu vous faire ».
Le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, venu au rassemblement organisé devant l'Assemblée, a assuré être prêt « pour qu'on aille le plus loin possible dans cette reconnaissance » et « trouver la meilleure des solutions ». « Il faut toujours regarder l'histoire les yeux ouverts et avec beaucoup de lucidité et que la mémoire soit bien présente » a-t-il aussi ajouté, assurant que « le gouvernement, évidemment, soutiendra avec une très grande détermination » cette proposition de loi.
Reste encore le calendrier parlementaire, ténu. La députée Karine Lebon a dit espérer que la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale accepterait d'inscrire à l'ordre du jour cette proposition de loi, pour un passage en séance début juin, avec le soutien annoncé de Yaël Braun-Pivet. Karine Lebon a aussi suggéré au ministre de faire passer sa proposition de loi dans le cadre de la semaine du gouvernement. « Sur le principe, il n'y a pas de problème », a répondu Manuel Valls.
« Le gouvernement a 15 jours « d'ordre du jour » et peut inscrire ce texte », a rappelé la présidente de l’Assemblée nationale. Sur décision du président de la République, le texte peut aussi être inscrit en session extraordinaire, début juillet, a-t-elle aussi précisé, moyennant donc une éventuelle rencontre entre les représentants des « Enfants de la Creuse » et le chef de l’État pour pousser le texte. Yaël Braun-Pivet a aussi assuré défendre le texte de Karine Lebon auprès du président du Sénat, Gérard Larcher.