A bord du Titan, une unité de la police aux frontières (PAF) traque des kwassa kwassa, ces petites barques à moteur utilisées par les migrants illégaux venus des Comores pour rallier l'île française de Mayotte.
Dans les airs, un bimoteur confirme la présence d'une de ces embarcations dans les environs et en transmet les coordonnées aux policiers. Sur place, l'un d'eux éclaire au projecteur. Un autre cherche avec ses lunettes infrarouges. Toujours rien.
La troisième tentative est la bonne. "Ils sont là", s'exclame un policier. Ses passagers sont pris dans la lumière.
Le mouvement des vagues rend l'abordage délicat. Pour l'équipage du brigadier Benjamin Burbure, mettre les passagers en sécurité est la priorité. Ils transbordent d'abord une mineure, puis les femmes et les blessés.
Au total, onze personnes ont pris place dans le kwassa: deux passeurs, une Somalienne et des Comoriens, dont une mineure. Un homme est gravement blessé à la tête et au bassin, une femme à l'abdomen.
De nombreux migrants africains périssent régulièrement dans des naufrages en tentant de rallier clandestinement le 101ème département français, rongé par une délinquance qui explose.
Pour déloger ceux qui rallient les bidonvilles de Mayotte et expulser les sans-papiers, pour la plupart Comoriens, vers Anjouan, l'île comorienne la plus proche située à 70 km, les autorités françaises viennent de lancer l'opération controversée baptisée Wuambushu ("reprise" en mahorais).
Epuisés, frigorifiés
C'est d'Anjouan que les passagers de ce kwassa sont partis pour un périple d'environ six heures sur l'océan Indien.
Deux embarcations sont en moyenne détectées par jour dans les eaux territoriales de Mayotte, 571 ont été interceptées en mer en 2022 avec à leur bord 8.003 étrangers en situation irrégulière.
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Les policiers décident de tracter le bateau jusqu'au port de Mamoudzou, où les secours prendront en charge les blessés.
Le vieillard est mal en point, il a du mal à s'exprimer. Le brigadier pose un premier diagnostic: "c'est une perfusion ça. Il y a une plaie saignante là ?" Puis il se tourne vers les autres passagers. "Tu as 16 ans toi ? T'es né quand, en 2000 ? 2002 ?", interroge, dubitatif, le fonctionnaire.
Une heure de navigation avant de retrouver la terre ferme. A bord, le silence règne. Les passagers, frigorifiés et couchés à l'avant du bateau, tentent de se réchauffer. L'un se couvre la tête avec un sac plastique, un autre est allongé sous une serviette.
Après une escale au port de Mamoudzou, le Titan accoste sur Petite-Terre, où se trouve le centre de rétention administrative (CRA) de Pamandzi.
"Pas le choix"
Abdou (prénom modifié) entoure sa petite soeur de ses bras. C'est la deuxième fois qu'il fait la traversée. Il a vécu à Mayotte de 2015 à 2022 avant d'être expulsé par la PAF. "J'ai eu peur mais j'ai pas le choix si je veux une meilleure vie, pour moi et ma petite soeur", répète en français le jeune Comorien. "Aux Comores la vie est difficile, c'est pour ça que je veux traverser la frontière".A tout prix: pour la traversée, il a déboursé 400 euros pour sa soeur et lui.
Des policiers et une interprète les attendent pour séparer les passeurs, placés en garde à vue, des migrants, conduits au CRA. L'an dernier, les autorités françaises ont procédé à 25.380 reconduites à la frontière depuis Mayotte.
Il y a aujourd'hui plusieurs dizaines de reconduites à la frontière chaque jour, selon une source au ministère de l'Intérieur.
La situation des passagers du kwassa intercepté devient confuse: l'un des passeurs présumés était en fait un candidat au voyage. En cas d'interception, le passeur confie souvent la barre à un des migrants pour se fondre dans le groupe.
"Tu sais que c'est six mois ferme pour un passeur ?", prévient un des policiers de la PAF. Dénoncé par plusieurs passagers, le vrai passeur est menotté et placé en garde à vue.
Avec AFP