Cyclone Chido : À Mayotte, les agriculteurs veulent éviter une crise environnementale et sociale

©Abby Saïd Adinani / Outremers360

Cyclone Chido : À Mayotte, les agriculteurs veulent éviter une crise environnementale et sociale

Le cyclone Chido, qui a frappé Mayotte ce samedi 14 décembre, a fortement impacté les cultures et la végétation du territoire. Depuis, les agriculteurs tentent de se relever. Le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a promis des mesures d’aide, mais celles-ci sont jugées largement insuffisantes dans le monde agricole. À l’approche du Ramadan, où la demande alimentaire explose, le président du Syndicat des jeunes agriculteurs de Mayotte, Anwar Soumaila Moeva, appelle à une mobilisation d’urgence pour éviter une catastrophe environnementale, sociale et économique.

 C’est tronçonneuse à la main que nous rencontrons Anwar Soumaila Moeva, président du Syndicat des jeunes agriculteurs de Mayotte. Ce mercredi 1er janvier, L’homme se rendait dans son exploitation pour continuer de déblayer ce qui bloque encore aujourd’hui l’accès à son exploitation. « Je ne sais pas encore ce que je vais y trouver », nous confie-t-il, « mais j’ai vu des exploitations réduites en poussière, des arbres centenaires arrachés comme s’ils étaient de simples brindilles. Nous n’avions jamais vu une telle destruction. » Depuis le début de la catastrophe, le Syndicat des jeunes agriculteurs a déjà publié trois rapports post-Chido.

L'autre victime du passage du cyclone est la végétation de l'archipel, souvent endémique et levier économique et alimentaire ©Abby Saïd Adinani / Outremers360

« Dès les premières heures, nous avons mis en place une équipe pour évaluer les dégâts. Il ne s’agissait pas seulement de nos adhérents, mais de tous les agriculteurs de l’île, car la crise était collective », explique le producteur d’ylang-ylang. « Nous avons utilisé les réseaux sociaux pour collecter des témoignages et mobiliser les ressources. Nous y avons inclus des photos, des descriptions précises des pertes et les premières estimations des coûts. C’était indispensable pour que les autorités prennent conscience de l’ampleur du désastre. » Au total, ce sont près de 1400 agriculteurs professionnels et environ 4000 ménages qui ont une activité agricole que le syndicat a identifiés.

Reprendre la production sans entraves administratives

Pour les agriculteurs mahorais, relancer la production après le passage du cyclone Chido est une priorité absolue. « Nous sommes déjà dans une situation de survie », insiste Anwar Soumaila Moeva. « Si, en plus, nous devons affronter des démarches administratives interminables pour obtenir des aides, ce sera la fin de nombreuses exploitations. » Pour les agriculteurs, le principal obstacle à cette reconstruction est l’administration. « Les dossiers à remplir, les justificatifs à fournir, les délais pour débloquer les fonds… Tout cela prend des mois, voire des années… Pendant ce temps, nos exploitations meurent. Nous n’avons pas ce luxe d’attendre. » Cette crainte est alimentée par des expériences passées. « Lors des précédentes crises, comme les sécheresses, les aides ont mis des mois à arriver. Certains agriculteurs n’ont jamais reçu ce qui leur avait été promis », rappelle-t-il. « Nous ne voulons pas revivre cela. » Le syndicat demande donc des mesures simples et directes.

« Ce que nous proposons, c’est que l’État prenne en charge la reconstruction de manière centralisée. Pas de paperasse inutile, pas de fonds européens qui mettent des années à être débloqués. Juste une action rapide et efficace. » Les premières estimations des dégâts ont été effectuées par secteur. « Un bâtiment d’élevage de volaille coûte environ 200 000 euros à reconstruire. Or, rien que pour les éleveurs affiliés à l’AVM (Association des Volaillers de Mayotte), nous avons besoin d’au moins 70 bâtiments. » Mais les besoins ne s’arrêtent pas aux bâtiments. « Il faut aussi remplacer les systèmes d’irrigation, replanter les cultures, acheter des serres et des semences. Chaque secteur – maraîchage, élevage, arboriculture – a des besoins spécifiques. Il n’y a pas d’alternative : soit nous reconstruisons, soit nous disparaissons. » 

©Abby Saïd Adinani / Outremers360

En plus de la reconstruction, les agriculteurs demandent un soutien financier immédiat pour survivre. « Replanter des cultures prend du temps. Le maraîchage, c’est deux mois, mais les arbres fruitiers comme les manguiers ou les litchis, c’est trois à cinq ans avant de produire à nouveau », explique Anwar Soumaila Moeva. « Nous demandons un revenu minimal, l’équivalent d’un SMIC, pour permettre aux agriculteurs de subvenir à leurs besoins en attendant que leurs exploitations redeviennent viables. » Pour le syndicat, cette situation exceptionnelle nécessite des mesures à la hauteur. « Ce n’est pas le moment de tergiverser. Nous avons besoin d’un plan Marshall pour l’agriculture mahoraise, avec des investissements massifs et une coordination efficace. » Les annonces du ministre des Outre-mer, Manuel Valls, n’ont pas convaincu. 

« Il a parlé de fonds supplémentaires à venir, mais nous savons tous que ces fonds prennent des mois, voire des années, à arriver. Entre-temps, que devons-nous faire ? Beaucoup d’agriculteurs envisagent déjà de tout abandonner. Ils ne peuvent pas continuer à travailler dans de telles conditions. » Cette désertion ne toucherait pas seulement les agriculteurs eux-mêmes, mais aussi l’ensemble de la population. « Si nous ne produisons plus, Mayotte deviendra totalement dépendante des importations. Cela augmentera les coûts alimentaires et rendra l’île encore plus vulnérable aux crises internationales. »

Éviter la crise écologique

Le cyclone Chido n’a pas seulement ravagé les exploitations agricoles de Mayotte, il a également bouleversé les équilibres écologiques et alimentaires de l’île. Une catastrophe naturelle qui s’inscrit dans un contexte déjà marqué par des défis environnementaux majeurs, exacerbant les vulnérabilités de l’île et posant des questions cruciales sur son avenir.

« Ce n’est pas seulement l’agriculture qui est à terre, c’est tout un écosystème qui est anéanti », s’alarme Anwar Soumaila Moeva. « Les forêts qui protégeaient les sols, les cours d’eau et les villages ne sont plus qu’un souvenir. » La perte de la couverture végétale a des conséquences dramatiques. « Les arbres, en particulier les fruitiers comme les manguiers ou les cocotiers, jouaient un rôle crucial dans la régulation de la température et la protection contre l’érosion », explique-t-il. « Nous avons déjà observé une augmentation de 3 à 4 degrés dans certaines zones. Sans couvert végétal pour retenir l’eau, les pluies s’écoulent directement dans la mer, aggravant les pénuries. »

©Abby Saïd Adinani / Outremers360

Pour répondre à ce défi, le syndicat propose des solutions telles que la mise en place de systèmes de récupération d’eau de pluie et l’installation de citernes. « Mais ces solutions nécessitent des investissements importants, et nous ne pouvons pas les financer seuls. »

À l’approche du Ramadan, prévu en mars 2025, les défis alimentaires prennent une importance critique. Cette période est marquée par une consommation accrue de produits locaux comme les bananes, le manioc et les fruits tropicaux. « Cette année, nous ne pourrons répondre qu’à 20 % de la demande habituelle », avertit Anwar Soumaila Moeva, qui demande que la coopération régionale se mette en place rapidement.« Nous avons des accords avec Madagascar et le Kenya pour importer des produits agricoles. Mais il faut s’assurer que ces produits arrivent à temps et en quantité suffisante. »

Cependant, les importations ne suffiront pas à apaiser les tensions. « Pendant le Ramadan, la demande alimentaire explose, et si les produits manquent, cela peut provoquer des troubles sociaux », explique-t-il. « Nous avons déjà observé des vols dans les exploitations, et cela risque de s’intensifier. » Le syndicat appelle à des mesures spécifiques pour garantir la sécurité des exploitations. « Nous demandons au gouvernement de mobiliser les forces de l’ordre pour protéger les agriculteurs et leurs récoltes. Sinon, la situation pourrait devenir incontrôlable. » 

Si, pour le président du Syndicat des jeunes agriculteurs, le cyclone Chido est une catastrophe, il représente aussi une opportunité de changement. « Nous devons agir maintenant, non seulement pour reconstruire, mais pour bâtir un modèle agricole résilient et durable. Nous devons reconstruire avec une vision à long terme. Cela signifie construire des infrastructures anticycloniques et introduire des pratiques agricoles modernes. »

Au-delà des impacts immédiats, le cyclone Chido soulève des questions plus larges sur l’avenir de l’agriculture à Mayotte. Le syndicat appelle à une réponse rapide, audacieuse et à la hauteur des enjeux. « Nous ne demandons pas l’impossible. Nous demandons juste les moyens de reconstruire et de continuer à nourrir notre île. »

Abby Saïd Adinani