Quitter Mayotte, un tiers des Mahorais le font, selon l'Insee. Mais certains, après leurs études et quelques années d'expérience dans l'Hexagone, choisissent de revenir sur leur île, pour lancer des projets de développement.
Dans le jardin qui lui sert de lieu d'expérimentation, à Coconi, au centre de l'île, Mohamed Issouf cultive des plantes médicinales aux propriétés antiparasitaires, "notamment du gros thym". Des végétaux à partir desquels ce docteur en sciences de la vie et de la santé produit du jus, ensuite déshydraté puis testé dans un laboratoire.
Après 10 ans au sein de l'Institut national pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) à Tours, M. Issouf est rentré pour créer, avec une biologiste mahoraise, sa start-up appelée Maybiotech, spécialisée dans la lutte contre les parasites dans l'élevage. "Je travaillais déjà dans la recherche" en la matière, "mais j'avais surtout envie de valoriser mon territoire et de le rendre un peu moins dépendant des importations", affirme ce Mahorais, réinstallé à Mayotte depuis 2020.
Ici, la quasi-totalité des médicaments et du fourrage animal vient de l'extérieur. La start-up, qui puise dans les connaissances en médecine traditionnelle, cherche à lever quelque cinq millions d'euros pour construire laboratoire et usine. Un parcours du combattant dans un département peu producteur de projets innovants. "Cela fait six mois que nous cherchons des investisseurs", soupire M. Issouf.
"Etre combatif"
Avec un PIB par habitant quatre fois inférieur à celui de la France hexagonale et un taux d'emploi d'à peine 30% selon l'Insee, les marges de développement sur l'île sont larges. Mais le contexte économique est difficile: deux tiers des échanges sont informels selon l'Insee, et les crises s'enchaînent, mettant à mal l'activité des entreprises. La dernière en date, sociale, a paralysé l'île pendant cinq semaines pour protester contre l'insécurité et l'immigration.
Auparavant, les défaillances de l'alimentation en eau avaient privé pendant cinq mois les habitants d'eau courante deux jours sur trois, et les en prive encore un sur trois. Alors que 33% des Mahorais vivent en dehors du territoire, selon l'Insee, Touflati Hamada souhaite s'y réinstaller à 33 ans, dont 27 hors de Mayotte. "Nos parents n'avaient qu'un projet, c'est qu'on puisse retourner sur notre île natale pour la développer", explique l'entrepreneuse.
Avec son mari, elle a imaginé un "robinet éco-responsable" grâce à un contenant transparent de 0,7 litre, pour éviter le gaspillage d'eau dans les mosquées, des lieux fréquentés qui permettent aussi de "faire de la sensibilisation".
Le couple veut déployer ce produit dans les foyers et cherche des solutions pour les chasses d'eau. "On ne peut pas abandonner notre île parce qu'il y a des violences. Il faut être combatif", affirme Mme Hamada.
"L'île aux parfums"
Soumaila Moeva entend lui faire revivre les grandes heures de l'"île aux parfums", où Jean-Paul Guerlain possédait une plantation, de 1995 à 2002.
Après plusieurs années à Marseille, il a repris l'exploitation de son grand-père à Combani et tente de restructurer la filière d'ylang-ylang, un arbre aromatique, cassée notamment par la concurrence des Comores et l'abandon progressif des cultures, faute d'acheteurs. "Avec la pression démographique que l'on connaît, on sait qu'on ne reviendra pas à 800 hectares d'ylang à Mayotte. Mais si on peut passer de 100 à 200 ha et stabiliser la production, ça serait déjà bien", détaille le producteur, également à la tête du syndicat des jeunes agriculteurs. "L'objectif serait de produire quatre à cinq tonnes d'huiles essentielles par an." Soumaila Moeva veut certifier l'ylang-ylang de Mayotte, pour que l'île bénéficie d'une marque déposée, comme la vanille bourbon de La Réunion.
Anli Julien a lui parié sur un des maux du 101e département français, la forte insécurité, pour "améliorer le territoire", qu'il a retrouvé à 27 ans, des "compétences dans les machines numériques" en poche. "Je voyais que tout le monde sécurisait son logement, avec des barreaux aux fenêtres, comme en prison. J'ai commencé à proposer des garde-corps et des grilles design, pour remplacer les barreaux", explique-t-il. Aujourd'hui, sa société, 3Découpe, est même consultée pour des projets de bâtiments publics.
Avec AFP