Conçue pour 278 détenus, la prison de Mayotte en enferme environ 630 : après une mutinerie et l'agression de cinq gardiens début septembre 2024, agents comme prisonniers décrivent des conditions de détention et de travail insupportables.
Houmadi Mohamadi évite soigneusement les barbelés au moment d'attacher des drapeaux syndicaux au portail du centre pénitentiaire de Majicavo, près de Mamoudzou. « On est le seul établissement de France où il y a plus de six détenus dans la cellule », dénonce le secrétaire local de FO Justice.
Si ce chiffre ne s'applique pas à tous les détenus, le principe de l'encellulement individuel, qui prévaut normalement, n'existe pas dans l'unique prison de Mayotte. Une surpopulation qui nourrit les tensions et a conduit à une tentative de mutinerie, le 5 septembre. Deux détenus ont agressé cinq gardiens à coups de poing et de barres de fer, avant d'ouvrir d'autres cellules.
Le lundi suivant, les agents pénitentiaires ont bloqué l'établissement pour demander des moyens supplémentaires. Sur les 123 personnels de surveillance, 40 sont absents pour maladie. Un absentéisme accentué par une précédente mutinerie, en septembre 2024, durant laquelle plusieurs gardiens avaient été pris en otage.
Selon Lina Attoumani, représentante de la CGT pénitentiaire, ce sous-effectif empêche notamment le respect des périodes de repos. « Les agents sont rappelés tout le temps », déplore-t-elle. « Le seul moyen de voir sa famille, c'est de se mettre en arrêt maladie », renchérit Houmadi Mohamadi, évoquant une situation « explosive » et la « boule au ventre » quotidienne des agents « épuisés ».
A l'audience de comparution immédiate des deux mutins le 8 septembre, l'une des victimes a encore le visage boursouflé. Les deux prévenus sont respectivement condamnés à cinq et trois ans de prison ferme pour violence sur personnes dépositaires de l'autorité publique. Pour Houmadi Mohamadi, la surpopulation et le sous-effectif rendent impossible le respect des règles de détention : « Nous n'avons pas les moyens d'appliquer toutes les règles (...) Si on avait le choix, on ferait autrement », lâche-t-il.
Prisonnier en « errance »
Lina Attoumani reconnaît que la situation est aussi difficile pour les détenus. « Il faut se mettre à leur place », insiste-t-elle en évoquant les matelas au sol, la promiscuité ou les WC bouchés. « Nous sommes quatre en cellule pour deux personnes (...) Nous avons une chaise pour quatre (...), des cellules insalubres, des sanitaires qui ne marchent pas et la merde à vue d'œil », décrit un détenu dans une lettre adressée au contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), que s'est procurée l'AFP.
Parmi les contrôleurs, Mari Goicoechea dit être restée marquée par son passage : matelas entassés, salles d'activités quasi vides, absence de traduction pour des détenus étrangers en « délaissement », insécurité liée à la promiscuité, prisonniers patientant plus d'un an dans l'aile des transferts vers La Réunion ou l'Hexagone. « C'était l'errance, les gens attendaient que ça passe », se souvient-elle.
Cette visite a conduit le CGLPL à publier, en octobre 2024, un rapport alarmant faisant état d'un tiers de détenus dormant sur des matelas à même le sol. Une nouvelle visite est prévue en 2026. L'AFP n'a pu joindre la direction du centre pénitentiaire. Face à ces conditions, l'avocate Céline Cooper a déposé une quinzaine de recours devant le juge des libertés et de la détention, après une visite des contrôleurs de la CGLPL en juin dernier.
Depuis, « rien n'a changé », regrette-t-elle. Ses clients subissent les ventilateurs cassés, les produits périmés, les cabines téléphoniques hors d'usage... « Ils sont complètement coupés de l'extérieur alors qu'ils ont des droits », insiste celle qui décrit une situation « dramatique ».
Après deux jours de blocage, les agents ont levé leur mouvement la semaine dernière, l'administration promettant dix personnels supplémentaires d'ici à 2026 sur les vingt réclamés. La loi de programmation pour la refondation de Mayotte votée en août prévoit, elle, 290 millions d'euros pour un second établissement de 400 places, avec un début des travaux en 2027.
Avec AFP