Alors que le Parlement examine actuellement le projet de loi sur la simplification de la vie économique, le président du CESER de La Réunion et vice-président de la CPME en charge des Outre-mer, Dominique Vienne, dénonce ce texte qu’il considère comme « une fragilisation programmée » et « une désinvolture institutionnalisée ». « On nous parle de simplification, mais ce qui se construit ressemble plutôt à un édifice instable : trois étages empilés à la hâte, sans fondation solide, sans étude de structure, sans plan d’ensemble » regrette-t-il. Il émet notamment des inquiétudes sur une éventuelle « fragilisation » de la Stratégie du Bon Achat, à travers l’amendement CS1194.
Notre pays traverse une phase d’incertitude. Son économie tangue. Sa cohésion sociale est mise à l’épreuve. Et dans ce moment ambigu, il existe pourtant une force vive, lucide, disponible, engagée : c’est celle des entrepreneurs, des agriculteurs, des associations, des salariés. C’est la France du quotidien. C’est elle qui tient, chaque jour, la République debout.
Or voilà que cette France-là, au lieu d’être écoutée, renforcée, respectée, se retrouve menacée par une réforme annoncée comme une « simplification ». En réalité, ce que le Parlement s’apprête à examiner dans les prochains jours ressemble beaucoup plus à une fragilisation programmée. Une désinvolture institutionnalisée. On nous parle de simplification, mais ce qui se construit ressemble plutôt à un édifice instable : trois étages empilés à la hâte, sans fondation solide, sans étude de structure, sans plan d’ensemble.
Un échafaudage politique qui penche déjà, et qui menace de s’effondrer… sur ceux qui tiennent les murs de l’économie de proximité. Car derrière les promesses, ce sont bien les TPE-PME qui paieront l’addition d’un édifice mal conçu.
Premier étage : la commande publique
La Stratégie du Bon Achat (SBA), pensée dans les Outre-mer pour mieux intégrer les PME locales à la commande publique, est en passe d’être vidée de sa substance. Ce dispositif, je l’ai porté dès 2010 avec le Département de La Réunion. Il a fait ses preuves.
Le SBA n’est pas une mesure technique, c’est une réponse stratégique. Il permet d’ancrer l’achat public dans les dynamiques locales, de créer de la valeur partageable dans les territoires, et d’accroître la résilience économique, à un moment où des États-nations multiplient les barrières douanières et les distorsions de concurrence.
Face à ces tensions internationales, le SBA est une arme douce mais puissante. Il rend les économies locales plus autonomes, plus solides, plus justes. Il permet d'apporter surtout une réponse structurelle et pérenne, pour créer de l'emploi et du pouvoir d'achat, par des revenus issus du travail. Le fragiliser aujourd’hui, c’est affaiblir notre capacité à répondre localement aux défis de la cohésion social et des chocs mondiaux.
Deuxième étage : le renoncement au bon sens
Le Test PME devait devenir un garde-fou essentiel pour éviter que les lois ne nuisent, par maladresse ou aveuglement, aux petites entreprises. Une mesure simple, concrète, de bon sens : tester en amont l’impact d’un dispositif sur un panel de TPE-PME. Cela semble élémentaire. Et pourtant… La commission spéciale a choisi de le supprimer.
Ce n’est pas neutre. C’est un choix politique. Un choix de légiférer à l’aveugle. Un choix de ne pas écouter celles et ceux qui font tourner l’économie réelle, sans armée de juristes ni cabinets de conseil. On ne peut pas, d’un côté, multiplier les discours sur le « soutien aux PME », et de l’autre, balayer d’un revers de main l’un des rares dispositifs pensés pour elles. Ce double discours est non seulement incohérent, il est dangereux.
Nous assistons à un concours Lépine de l’improvisation et de l’approximation, une foire aux bonnes idées déconnectées du réel, pensées loin du terrain, appliquées sans filet. Et toujours, ce sont les TPE-PME qui encaissent.
Troisième étage : la démocratie territoriale débranchée
La stratégie de développement économique est aujourd’hui décentralisée, confiée aux Régions qui peuvent s’appuyer sur les forces vives des territoires au sein des Conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux (CESER). Pourtant, il est aujourd’hui question de les supprimer, sous prétexte qu’ils coûteraient trop cher — en réalité, ils représentent en moyenne moins de 0,1 % du budget régional. Un prétexte budgétaire qui masque mal, en réalité, une volonté politique de réduire les espaces de débat.
Or ces instances sont précieuses, en particulier dans les Outre-mer et la France Océanique : elles offrent des lieux d’intelligence collective, enracinés, ouverts, où la voix des acteurs économiques peut se faire entendre autrement que par la revendication. Et c’est aussi cela qu’il faut rappeler avec force : les CESER permettent aux PME, aux salariés, à la société civile organisée, de prendre part à l’action publique, non pas en spectateurs, mais en co-bâtisseurs de l’intérêt général.
Ils sont l’espace où les TPE-PME peuvent faire entendre leur voix pour construire, avec discernement, un environnement des affaires favorable à leur développement. C’est la possibilité de penser collectivement la prospérité plutôt que de subir des décisions hors-sols. Refuser de les renforcer -voire envisager de les faire disparaître-, c’est délibérément couper les entreprises de leur capacité à agir sur ce qui les concerne au plus près : la fabrique même des politiques publiques.
Ce que nous demandons n’est pas un privilège. C’est un droit républicain. Les TPE-PME sont les sentinelles de l’économie réelle. Elles assurent l’emploi de proximité, la formation des jeunes, l’innovation discrète mais constante, la cohésion sociale. Elles ne demandent pas qu’on leur déroule le tapis rouge. Elles demandent qu’on ne leur tire pas le tapis sous les pieds. Et que l’on ne s’y trompe pas : dans cette dynamique, les salariés ne sont pas oubliés. Ils en sont le cœur battant.
L’entrepreneur, le salarié, le citoyen engagé, le bénévole associatif, l’agriculteur ou l’artisan ne s’opposent pas : ils tissent ensemble ce lien de responsabilité partagée qui fonde la République économique et sociale. La démocratie économique n’est rien sans la démocratie sociale. C’est elle qui permet le débat avec raison, le désaccord avec respect, la construction d’un cap commun dans la diversité des intérêts.
C’est elle qui empêche le repli, la colère aveugle ou la résignation. Elle est le ciment du discernement. Elle est la condition du désir partagé de faire territoire, de faire société, de faire nation. Ou plutôt, dans ce moment de doute que traverse notre pays : de refaire territoire, de refaire société, de refaire nation. Je le dis comme entrepreneur et citoyen engagé dans la vie socio-économique depuis 2009 pour la transformation de mon territoire, de mon pays : ce texte de loi, en l’état, est un rendez-vous manqué.
Il n’est pas trop tard pour corriger le tir. Il n’est jamais trop tard pour écouter. Nous sommes prêts. Prêts à bâtir une simplification utile, responsable, concertée. Mais nous ne resterons pas silencieux devant une fragilisation organisée. Parce qu’à force d’ignorer ses sentinelles, une Nation finit toujours par perdre le cap.
Dominique Vienne
Entrepreneur
Vice-Président de la CPME nationale en charge des CPME d’Outre-Mer
Président du CESER de La Réunion