Retraites en Outre-mer : des inégalités persistantes révélées par un rapport parlementaire de la députée réunionnaise Karine Lebon

© Capture d'écran Assemblée nationale

Retraites en Outre-mer : des inégalités persistantes révélées par un rapport parlementaire de la députée réunionnaise Karine Lebon

Dans son rapport pour avis sur le budget 2026 des retraites, la députée de La Réunion Karine Lebon dresse un constat sévère : les retraités ultramarins perçoivent des pensions plus faibles, sur des durées plus courtes, dans un contexte de vie plus chère et d’inégalités persistantes.


La rapporteure pour avis de la Commission des affaires sociales, Karine Lebon, a consacré la seconde partie de son rapport budgétaire à un sujet rarement abordé au Parlement : la situation spécifique des retraites dans les Outre-mer. Son diagnostic est sans appel : « Les retraités ultramarins sont doublement pénalisés », écrit-elle, dénonçant à la fois le manque de données consolidées et des injustices structurelles entre l’Hexagone et les territoires ultramarins.

Selon les chiffres fournis par la direction de la Sécurité sociale, le montant moyen des pensions versées outre-mer reste très inférieur à celui de l’Hexagone. En 2020, la pension moyenne atteignait 1 532 € en métropole, contre 1 189 € à La Réunion, 1 271 € en Guadeloupe, 1 318 € en Guyane et 1 351 € en Martinique. Cette situation se reflète dans le nombre d'allocataires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) : alors que les pensionnés ultramarins ne représentent que 1,8% des bénéficiaires de pensions, ils comptent pour 8,8% des allocataires de cette aide destinée aux retraités les plus pauvres. Dans certains territoires, près de 21% des retraités en dépendent, contre 4,2% en moyenne nationale.

Une retraite tardive et une espérance de vie réduite

En parallèle, les retraités ultramarins partent plus tardivement à la retraite, souvent au-delà de l’âge légal, conséquence de carrières morcelées et de périodes de chômage plus fréquentes. En Guadeloupe, 73 % des assurés liquident leur pension après l’âge légal, contre 43 % en France hexagonale. En Guyane, 81% des assurés liquidaient leur pension après l'âge légal en 2023, contre 43% en France entière.

Mais cette durée d’activité prolongée ne se traduit pas par une retraite plus longue : l’espérance de vie reste inférieure de plusieurs années. En Guyane, elle est de 76 ans pour les hommes contre 80 ans dans l'Hexagone. À La Réunion, les femmes vivent en moyenne jusqu'à 84 ans, soit 1,6 an de moins que leurs compatriotes de l'Hexagone.

Résultat : les retraités ultramarins perçoivent des montants inférieurs sur des durées plus courtes.

Des dispositifs compensatoires insuffisants et en voie d'extinction

Pour compenser partiellement ces inégalités, plusieurs mécanismes spécifiques ont été mis en place au fil des décennies, notamment pour les fonctionnaires dont la bonification de dépaysement accorde un an de trimestres supplémentaires pour trois ans de service Outre-mer ou encore l'indemnité temporaire de retraite (ITR), créée en 1952, complète les pensions des fonctionnaires d'État dans certains territoires (35% à La Réunion et Mayotte, 75% dans le Pacifique)

Problème : l'ITR est progressivement mise en extinction depuis 2009 et devrait disparaître en 2028. Le dispositif censé la remplacer, la cotisation volontaire au régime additionnel de la fonction publique (RAFP), reste très limité. Il ne concerne que les fonctionnaires d'État dans le Pacifique et à Saint-Pierre-et-Miquelon, excluant La Réunion, Mayotte, mais aussi les Antilles et la Guyane qui n'ont jamais bénéficié de l'ITR.

Karine Lebon en appelle à une extension du dispositif à l’ensemble des Outre-mer et des trois fonctions publiques, jugeant « injustifiable » son périmètre restreint.

Ces inégalités de retraite reflètent des difficultés socio-économiques profondes. Le taux de chômage atteint 18,6% en Guadeloupe contre 7,1% dans l'Hexagone. Les carrières sont plus fragmentées, marquées par le temps partiel subi, le chômage récurrent et le travail informel, particulièrement répandu Outre-mer sans qu'on puisse le quantifier précisément. La convergence sociale tardive a également laissé des traces. Le SMIC n'évolue selon les mêmes principes dans l'Hexagone et Outre-mer que depuis 1996, pénalisant les générations plus anciennes qui perçoivent aujourd'hui leur retraite.

Des inégalités de traitement persistantes

Au-delà des montants, les retraités ultramarins font face à des discriminations dans l'accès à leurs droits. Un exemple emblématique : des gendarmes réunionnais se sont vu refuser les bénéfices de campagne au titre de leur affectation à La Réunion. La Défenseure des droits a dû intervenir en 2020 pour faire reconnaître cette "discrimination fondée sur l'origine et le lieu de résidence".

La qualité de service pose également question. À La Réunion, le délai moyen de traitement des dossiers de retraite est passé de 106 jours en 2019 à 182 jours en 2024, avec un taux de satisfaction qui s'est effondré de 90% à 72,4%, a révélé un rapport de la Cour des Comptes

Face à ce constat accablant, la rapporteure formule plusieurs recommandations comme supprimer le seuil de récupération sur succession de l'ASPA, qui dissuade de nombreux retraités éligibles de demander cette aide. Elle préconise entre autres d'étendre la cotisation volontaire au Régime additionnel de la fonction publique ( RAFP) à tous les territoires ultramarins et à l'ensemble des trois fonctions publiques. Elle insiste sur la nécessité de soutenir les économies ultramarines via des dispositifs comme la loi Lodeom pour améliorer l'emploi et, à terme, les retraites.

"L'égalité entre les retraités hexagonaux et ultramarins n'implique pas l'uniformité", souligne Karine Lebon. "Elle suppose au contraire une prise en compte durable et adaptée aux particularités ultramarines." Dans un contexte où le gouvernement envisage de ne pas revaloriser les pensions en 2026, les retraités ultramarins risquent d'être les premières victimes de cette politique d'austérité.