Depuis quatre ans, l’association des Compagnons Bâtisseurs mène, en Guadeloupe, une action à fort impact social et économique, en réponse à des besoins locaux bien identifiés. Sa mission principale consiste à accompagner les habitants dans la rénovation de leur logement, en particulier dans des situations de précarité ou d’habitat indigne. À travers des chantiers participatifs, l’association ne se contente pas de réparer les murs : elle renforce les liens sociaux, transmet des savoir-faire, et favorise l’insertion professionnelle, notamment via l’accueil de jeunes en service civique et la collaboration avec les structures d’insertion. Ces actions concrètes sur le terrain génèrent également des retombées économiques locales : création d’emplois, mobilisation de partenaires publics et privés et montée en compétences des habitants eux-mêmes, qui deviennent acteurs de la transformation de leur cadre de vie. Pour Outremers360, Virginie Bessoles, directrice de l’antenne guadeloupéenne des Compagnons Bâtisseurs, qui vient de faire son entrée dans la première édition outre-mer du classement Choiseul des 40 jeunes leaders ultramarins, a accepté de nous en dire plus sur l’association, ses chantiers, ses projets et ses partenaires.

Améliorer le logement pour transformer les vies : une approche intégrée du terrain

En Guadeloupe, comme dans d'autres territoires ultramarins, la priorité reste l'habitat dégradé : « On y rencontre des logements indignes, souvent en situation de non-décence, et parfois même d'insalubrité manifeste. » Le confort thermique, souvent ignoré dans les approches classiques, est pourtant au cœur des préoccupations locales. « Les normes nationales, pensées pour l’Hexagone, prennent en compte le chauffage, mais ici, l’enjeu est plutôt la ventilation, la protection contre la chaleur, l’humidité, les aléas climatiques », explique Virginie.

Dans ce contexte, l’association des Compagnons Bâtisseurs propose une réponse concrète où chaque intervention est l’occasion d’agir sur plusieurs fronts : améliorer les conditions de vie, lutter contre la précarité énergétique, et participer au retour à l’emploi grâce à l’insertion par l’activité économique.

Mais l’impact va bien au-delà des travaux visibles. En entrant dans les foyers, les équipes créent un lien de confiance qui permet d’identifier d’autres besoins, parfois en dehors de leur champ d’action initial. L’association joue alors un rôle de relais vers les droits sociaux, en lien avec les institutions comme la CAF, les collectivités ou les associations partenaires : « Il nous arrive de rencontrer des personnes âgées qui ne perçoivent pas leurs droits, simplement parce qu'elles n'ont jamais été accompagnées dans leurs démarches. » précise Virginie Bessoles.

L'approche des Compagnons Bâtisseurs s'apparente à celle d’un véritable incubateur social. En organisant des chantiers solidaires, l’association mobilise les habitants autour de projets ayant un impact direct sur leur quartier.

Le travail de terrain s’appuie aussi sur une culture locale de la solidarité, incarnée par la figure du « tonton bricoleur » — celui qui vient prêter main-forte pour construire ou réparer, explique Virginie Bessoles : « Nous structurons cette entraide naturelle pour la rendre plus sûre, plus durable, notamment en intégrant les normes sismiques et cycloniques, essentielles ici. »

L’équipe locale illustre parfaitement cette approche hybride qui mêle technique et accompagnement social. Elle se compose de deux techniciens du bâtiment et d’une animatrice habitat, chacun jouant un rôle complémentaire. Les techniciens, forts de leur expérience professionnelle, assurent la conduite des chantiers tout en transmettant leur savoir-faire aux habitants. L’animatrice, de son côté, accompagne les projets de rénovation, encadre les jeunes en service civique et œuvre pour l’insertion professionnelle. Aujourd’hui, l’équipe est renforcée par quatre volontaires en service civique, et un recrutement est en cours pour un troisième animateur technique.

Objectif Remobilisation-Réinsertion

Depuis le 1er janvier 2025, l’association est lauréate du dispositif O2R, Objectif Remobilisation-Réinsertion, destiné à accompagner les personnes très éloignées de l’emploi : « Notre atout, c’est notre capacité à être au plus près du terrain, au cœur du repérage des publics. Dans ce contexte, nous avons été retenus dans le cadre de l’enquête Cité de l’emploi menée sur la communauté d’agglomération Cap Excellence. L’objectif est de collaborer avec les centres de formation, les missions locales, les structures d’accompagnement, pour créer des parcours plus structurés à destination des personnes que nous rencontrons sur nos chantiers et dans nos actions. »

Lors d’un projet de construction de carbet à Pointe-à-Pitre, où des jeunes ont travaillé avec l’association, une rencontre informelle a été organisée avec une représentante de la région, loin des discours officiels comme le rappelle Virginie Bessoles : « Ce type d’échange direct, dans un cadre informel, permet de créer des liens authentiques et de renforcer la confiance des jeunes envers les institutions, un véritable levier pour changer leur perception et faire avancer les choses. »

 Une nouvelle antenne à Mayotte

Les Compagnons Bâtisseurs interviennent sur les cinq régions d’outre-mer : « Cela fait maintenant quinze ans que nous sommes implantés à La Réunion. Après le passage du cyclone Irma, une équipe des Compagnons Bâtisseurs s’est installée à Saint-Martin. Nous sommes aussi actifs en Martinique et en Guyane. Un projet est en cours à Mayotte. »

En consolidant leur présence sur les territoires ultramarins, l’association démontre que la rénovation de l’habitat peut être un levier structurant de développement local, alliant inclusion sociale, montée en compétences, et dynamique économique territoriale : « Notre approche s’adapte aux réalités locales, en lien étroit avec les collectivités et les institutions. Nous sommes de plus en plus sollicités pour mettre en œuvre des actions ciblées », souligne Virginie Bessoles.

Au plus près du terrain

L'association mène plusieurs projets significatifs dont un chantier solidaire récemment achevé à Capesterre-Belle-Eau, où l’équipe a rénové un ancien lavoir pour le transformer en local associatif pour le Collectif Octave. Ce projet a mobilisé entre 5 et 10 bénévoles chaque jour pendant 21 jours. L’association mène également de nombreux chantiers d’auto-réhabilitation accompagnée, comme c’est le cas à Trois-Rivières. Par ailleurs, l’association a lancé en 2025 deux ateliers de quartier, l’un à Pointe-à-Pitre, l’autre aux Abymes, ainsi que deux Bricobus circulant à travers l’archipel pour rencontrer directement les habitants. Les Compagnons Bâtisseurs collaborent également avec deux grands bailleurs sociaux, la Société immobilière de Guadeloupe (SIG) et la SIKOA qui signifie « mon foyer, l'endroit où je vis » en langue amérindienne, avec pour objectif de sensibiliser les locataires à leurs responsabilités d’entretien et leur apprendre à devenir autonomes. Enfin, l’association met gratuitement à disposition des outils, permettant aux participants de reproduire chez eux ce qu’ils ont appris lors des chantiers. Sur le plan des matériaux durables, l’association collabore avec Emerwall (faire un lien sur le Fabriquer et exporter des panneaux isolants en bagasse de canne à sucre : le pari audacieux et innovant d’Emerwall, une jeune entreprise martiniquaise qui vise l'international | Outremers360) une entreprise martiniquaise produisant un isolant à base de bagasse, ou encore avec Cool Roof, qui fabrique une peinture réfléchissante pour toitures.

Dans un contexte de vie chère et de vulnérabilité croissante, le modèle des Compagnons Bâtisseurs montre qu’il est possible d’allier solidarité, compétences locales et innovation sociale.

EG