Réalisées dans le cadre de la revue « Les Cahiers des Talents de l'Outre-Mer » de Yola Minatchy, présidente du Réseau des Talents de l'Outre-Mer, Outremers360 vous propose cette semaine les expertises de scientifiques ultramarins, livrant leurs regards et analyses sur la pandémie du Covid-19. Loukman Omarjee, Spécialiste en Médecine Vasculaire et en Immunologie Clinique originaire de La Réunion, explique ses travaux sur les liens entre les comorbidités et les formes graves.
Depuis Janvier 2020, le monde vit au rythme de la pandémie de COVID-19 et plus que jamais elle a montré à l’humanité ses failles et ses faiblesses malgré les progrès scientifiques, technologiques et médicaux substantiels, un siècle après la pandémie de la grippe espagnole de 1918.
Comme dans toute situation de danger pour l’espèce humaine, l’Homme a su trouver grâce à l’intelligence collective les moyens de se défendre. Ainsi nous avons assisté à l’arrivée en un temps record, des vaccins basés sur la technologie disruptive de l’ARN messager ouvrant ainsi le champ des possibles pour d’autres maladies incurables. Cette vaccination permet aujourd’hui de limiter drastiquement les formes graves mais semble être moins efficace pour bloquer la transmission virale notamment avec l’émergence de variants de plus en plus éloignés de la souche initiale dite de Wuhan. Ainsi, il est toujours nécessaire de trouver des stratégies multimodales (thérapies précoces, immunomodulation, instauration et maintien des gestes barrières…) associées à la vaccination permettant ainsi de lever l’extrême tension sur les services hospitaliers en évitant les formes graves d la COVID-19.
Au tout début de la pandémie, il a fallu s’organiser pour faire face à ce nouvel ennemi qui n’avait et n’a qu’un seul objectif : survivre en utilisant son hôte pour se répliquer. Très vite, le séquençage de son génome a permis de mettre au point les tests diagnostiques. L’identification des mutations, les analyses in-vitro, le suivi des cohortes de patients et les analyses post-mortem ont permis de comprendre les mécanismes de transmission, d’infectiosité et de gravité de cette infection.
D’une maladie infectieuse virale, la COVID-19 est devenue une maladie vasculaire et immunitaire dans les formes sévères nécessitant l’hospitalisation des patients en soins intensifs et en réanimation. Ainsi, nous avons compris que cette maladie générait des thromboses et une hyperinflammation chez les sujets atteints de comorbidités principalement. La dexaméthasone et les anticoagulants agissant respectivement sur l’inflammation et la thrombose, associés à l’oxygénothérapie à haut-débit (Optiflow) sont devenus la pierre angulaire du traitement des COVID sévères.
En tant que spécialiste en Médecine Vasculaire et en Immunologie Clinique, nous avons avec d’autres collègues essayés d’apporter notre contribution sur cette maladie en nous posant la question suivante : « pourquoi les patients avec comorbidités faisaient des formes graves de la COVID-19 ? »
Les facteurs de risque de la forme sévère de la COVID-19 ont été caractérisés à partir de plusieurs études de cohorte qui aboutissent au même constat : La vieillesse et les troubles liés à l'âge, tels que les maladies cardiovasculaires, l'obésité, le diabète sucré, les maladies respiratoires chroniques, l'hypertension artérielle et le cancer, sont liés à un risque accru de décès. Biologiquement, l'apparition d'une forme sévère de la COVID-19 est caractérisée par un « orage cytokinique » avec une hyper sécrétion de substances pro-inflammatoires.
L'inflammation chronique de bas grade, appelé « inflammaging » est le facteur commun des comorbidités prédisposant à des formes sévères de COVID-19 avec syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). L’inflammaging est le résultat à long terme de la stimulation chronique du système immunitaire conduisant ainsi à un état d’immunosenescence. Cette dernière est définie comme une altération du système immunitaire liée à l'âge, entraînant une réduction progressive de la capacité à déclencher des réponses efficaces des anticorps et des cellules aux infections et aux vaccinations. D’autres part, l'immunosénescence peut conduire à l'auto-immunité dans les troubles liés à l'âge. Elle peut être potentialisée par la COVID-19, soulignant ainsi le rôle des agents infectieux dans le déclenchement d'une réponse auto-immune. Ainsi, nous avons pu constater des maladies auto-immunes post-Covid. Enfin, les syndromes post-COVID, appelés COVID longs représentent un nouveau challenge pour la recherche biomédicale car il s’agit d’un nouveau cadre nosologique nécessitant une compréhension fine des mécanismes, de proposer des critères de classification des patients, et d’identifier des pistes thérapeutiques.
Nous avons proposé d’intégrer l’inflammaging, l’immunonescence, l’auto-immunité et les COVID longs comme étant une dérégulation chronique du métabolisme cellulaire et plus particulièrement de l’immunométabolisme. Cette dernière représente les changements qui se produisent dans les voies métaboliques intracellulaires au sein des cellules immunitaires pendant leur activation. Il est largement admis que la sénescence des lymphocytes T est due en partie à un dysfonctionnement du métabolisme glycolytique normal des cellules T CD8. Les voies métaboliques sont des régulateurs importants de la différenciation et de l'activation immunitaires et, à ce titre, elles influencent la réponse immunitaire au SARS-CoV-2.
Ainsi nous nous sommes focalisés sur trois grandes voies métaboliques (mTOR, AMPK et Nrf2) et nous avons proposé une stratégie thérapeutique émanant de chacune d’entre elles comme illustrée ci-dessous.
Loukman Omarjee
Publications
Omarjee L, Perrot F, Meilhac O, Mahe G, Bousquet G, Janin A. Immunometabolism at the cornerstone of inflammaging, immunosenescence, and autoimmunity in COVID-19. Aging (Albany NY). 2020 Dec 27;12(24):26263-26278. doi: 10.18632/aging.202422. Epub 2020 Dec 27. PMID: 33361522; PMCID: PMC7803547.
Omarjee L, Janin A, Perrot F, Laviolle B, Meilhac O, Mahe G. Targeting T-cell senescence and cytokine storm with rapamycin to prevent severe progression in COVID-19. Clin Immunol. 2020 Jul;216:108464. doi: 10.1016/j.clim.2020.108464. Epub 2020 May 13. PMID: 32405269; PMCID: PMC7217787.
Omarjee L, Meilhac O, Perrot F, Janin A, Mahe G. Can Ticagrelor be used to prevent sepsis-induced coagulopathy in COVID-19? Clin Immunol. 2020 Jul;216:108468. doi: 10.1016/j.clim.2020.108468. Epub 2020 May 21. PMID: 32445671; PMCID: PMC7240255.
Biographie
Loukman Omarjee est originaire de Saint-Pierre de La Réunion où il a encore ses parents et sa famille Il est profondément attaché à son île. Il est praticien hospitalier dans le service de médecine vasculaire au CHU de Rennes et chercheur à l’Institut NuMeCan UMR Inserm U1241 dans l’équipe EXPRES (Stress exogènes et endogènes, plasticité des réponses et pathologies). Ingénieur de l’Ecole Nationale Supérieure des Télécommunications puis diplômé d’un Mastère Spécialisé en Management de l’ESSEC, il décide, après des événements familiaux douloureux, de servir l’humain et de débuter des études de médecine, avec la recherche comme terrain de prédilection durant tout son cursus.
Spécialisé en Médecine Vasculaire et en Immunologie Clinique, il est titulaire d’une Thèse de Sciences en Physiologie et Phsyiopathologie Humaine et il est le Lauréat du concours « contrat d’interface pour hopsitaliers » de l’Inserm, ce qui lui permet de partager son temps entre le CHU et le l’institut de recherche NUMECAN. Il coordonne ainsi un projet de recherche translationnelle allant de la recherche fondamentale à la recherche clinique autour du Pseudoxanthome Elastique, une maladie génétique rare qui à l’origine de calcifications ectopiques au niveau de la peau, des yeux et des vaisseaux. Des membres de sa famille sont entre autres atteints. Son challenge : décrypter les mécanismes de cette maladie et aboutir à un traitement dans un horizon de 5ans.
Aussi, il est lauréat du Programme Hospitalier de Recherche Clinique National pour son essai clinique randomisé, multicentrique, en double aveugle, VIRTUOSE visant à évaluer l’effet du Sildenafil sur la distance maximale de marche chez les patients claudicants atteints d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI). Les résultats de cette étude pourraient conduire à un changement de paradigme dans le traitement de cette pathologie qui touche plus de 200 millions de personnes dans le monde.
Enfin, avec deux collègues chercheurs, ils ont créé l’association ODYSSEY pour permettre de récolter des fonds et de financer les nombreux projets de recherche. Loukman Omarjee est candidat pour devenir Professeur des Universités et Praticien Hospitalier (PU-PH) en Médecine Vasculaire.