Le 8 avril, la Commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance (dirigée par Laure Miller, présidente (Ensemble pour la République, Marne), et Isabelle Santiago, rapporteure (Socialistes et apparentés, Val de Marne) a publié son rapport. Ce dernier fait le constat détaillé d’une action publique défaillante et d’un manque manifeste d’implication de l’État. Dans ce contexte, les Outre-mer sont particulièrement concernés.
Un document de 523 pages (hors les comptes rendus des 83 heures d’auditions) après une année de travaux, 126 personnes entendues, 92 recommandations, la Commission d’enquête sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance, a réalisé, c’est le cas de le dire, une tâche colossale visant à mieux prendre en compte les besoins fondamentaux de l’enfant, à mobiliser tous les acteurs et à prendre des mesures d’urgence.
Dans le rapport, une partie est consacrée aux spécificités des territoires d’Outre-mer. Il rappelle notamment, à la suite du travail réalisé en 2023 par la Délégation aux droits des enfants de l’Assemblée nationale sur « la lutte contre les violences faites aux mineurs en Outre-mer », que « la grande précarité économique, la crise du logement entraînant promiscuité et sur-occupation, les problèmes de santé publique (en particulier l'addiction) et les taux de pauvreté très élevés, sont les principaux facteurs pouvant expliquer la prévalence des violences intrafamiliales en Outre-mer ».
Le document mentionne aussi le bilan statistique du ministère de l’Intérieur et des Outre-mer de 2022 qui relevait que l’ensemble des collectivités et territoires d'Outre-mer et des départements et régions d'Outre-mer avaient respectivement un taux de violences intrafamiliales de 6,5 et 4 pour 1000 habitants, dont 7,1 en Nouvelle-Calédonie et 6,3 en Polynésie contre 2,7 dans l’Hexagone.

« En réalité, les atteintes aux droits des enfants en Outre-mer ne sont pas récentes », ajoute le texte, prenant l’exemple des « enfants de la Creuse », où plus de 2000 enfants réunionnais avaient été déplacés vers plusieurs départements de l’Hexagone entre 1962 et 1982, subissant de nombreuses maltraitances. Pour la Réunion justement, Mme Mery-Gladys Barret, directrice générale de l’association Fekler, a dit lors des auditions que les difficultés en matière de protection de l’enfance sont étroitement liées au « contexte socio-économique fragile du territoire : fort taux de chômage, problèmes de logement, pauvreté élevée, vie chère et insularité ».
En Guadeloupe, Nadia Negrit, conseillère départementale et présidente de la Commission enfance, famille, jeunesse, a déclaré durant l’enquête que près de 20% de la population du département vit sous le seuil de pauvreté et que 52% des mineurs vivent dans des familles monoparentales : « ces indicateurs socio-démographiques, parmi les plus alarmants au niveau national, se traduisent par des vulnérabilités accrues pour les enfants et les familles ». Une constatation à laquelle fait écho Malissa de la Cruz, directrice de la Maison d’accueil, d’éducation et d’insertion (MAEI) en Guadeloupe, qui estime « qu’au minimum 80% des enfants que la MAEI accueille présentent des problèmes psychiatriques ou psychologiques », que les centres médico-psychologiques (CMP) sont engorgés et que les structures d’accueil dédiées aux problématiques de maladie mentale font défaut.

À la Martinique, Audrey Thaly-Bardol, conseillère exécutive chargée des solidarités et de la santé au sein de la Collectivité territoriale, également auditionnée, a évoqué des jeunes « qui se retrouvent souvent en situation d’errance, notamment à Fort-de-France, et rencontrent des problèmes sociaux et d’addiction. Les moyens humains et financiers de la collectivité sont insuffisants pour accompagner efficacement les familles de la petite enfance jusqu’à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes ».
Concernant la Guyane, la Commission d’enquête cite l’UNICEF (Fonds des Nations unies pour l’enfance, ndlr) qui « appelle à promouvoir les programmes d’accompagnement à la parentalité adaptés au contexte plurilingue du territoire guyanais afin de favoriser la compréhension, l’adhésion et la libération de la parole au sein des familles ». Par ailleurs, le rapport mentionne les problèmes rencontrés « en matière de scolarisation des enfants protégés – difficultés particulièrement prononcées en Guyane et à Mayotte. De surcroît, dans ces deux collectivités, les MNA (mineurs non accompagnés, ndlr) constituent un sujet à part entière ».
Pour conclure, le document précise que dans plusieurs territoires ultramarins, la pauvreté infantile engendre naturellement des besoins croissants en protection. « Pour autant, les chiffres bas rapportés par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, ndlr) questionnent toute la chaîne de signalement, jusqu’à la capacité de l’ASE (Aide sociale à l’enfance, ndlr) à assurer la mise en œuvre de mesures éducatives sur les territoires ». Les acteurs du secteur reconnaissent les difficultés rencontrées dans l’exercice des missions de prévention. En outre, de récents rapports mettent en lumière une défaillance systémique, illustrée par l’absence d’application des mesures d’assistance éducative, des délais de mise en œuvre excessivement longs et une prise en charge dont la qualité demeure insuffisante, regrette le rapport.

Aussi, la Commission d’enquête recommande pour les Outre-mer :
« - De renforcer les données désagrégées (âge, genre, etc.) et les connaissances sur les violences faites aux enfants dans les CTOM par le renforcement des Observatoires départementaux de la protection de l’enfance (ODPE).
- De faire participer à l’élaboration et adapter aux enfants et aux adolescents vivant dans les CTOM les campagnes de sensibilisation sur les mécanismes de signalement.
- De renforcer la prévention des violences à travers des programmes d’accompagnement à la parentalité adaptés aux contextes des CTOM.
- De prévoir des clauses spécifiques pour les CTOM dans la contractualisation entre État et département en matière de protection de l’enfance afin de renforcer leurs moyens et définir un plan de développement des compétences/formation des agents.
- De confier à l‘ONPE (Observatoire national de la protection de l'enfance, ndlr) et les ODPE une mission de recueil de données actualisées et de publication en continu des délais d’exécution des décisions judiciaires dans les CTOM.
- D’instaurer une instance de participation pour les enfants protégés ou sortants de l’aide sociale à l’enfance dans chaque territoire d’Outre-mer.
- Et de favoriser la diversification, la pluralité et la complémentarité des modes d’accueil pour permettre une réponse individualisée aux besoins des enfants et lutter contre la généralisation du recours aux assistants familiaux et donc à leur saturation ».
PM