Dans son ouvrage "Martinique libre" paru récemment, Barbara Jean-Elie, femme de médias, conseillère politique, autrice et maman porte une voix forte et singulière sur la situation de son île. Une vision lucide, sincère, mais également pleine de tendresse d'une citoyenne martiniquaise engagée ayant la volonté d'agir pour transformer les
choses. Décryptage.

Crise sanitaire, crise identitaire, crise sociale, mais surtout crise de confiance. Face à ce tourbillon, la Martinique a peur pour son avenir, voire sa survie. Une peur qu'a exacerbé pour ne pas dire hystériser la crise sanitaire. La Martinique ne sait plus qui elle est. Est-elle martiniquaise, caribéenne, américaine, française, européenne ? Ou tout cela à la fois ? Est- elle insulaire, ilienne, mondialisée ? Rien n'est moins sûr.

Et surtout, elle ne sait où aller. Doit-elle se maintenir dans ce grand ensemble que sont la France et l'Europe, quitte à perdre son âme et son identité ? Doit-elle s'ouvrir sur le monde, ses désordres et son univers décharné ? Ou doit-elle se replier sur elle-même, dans un nationalisme par trop étriqué ? Ou au contraire, doit-elle se construire un autre futur plus apaisé, plus prometteur pour ses enfants ? Bref, elle est en plein désarroi et à la croisée des chemins.

Et cette incertitude sur son devenir lui fait peur. D'autant qu'elle subit de plein fouet et à marche forcée les effets d'une mondialisation dévoyée. D'autant qu'elle est elle-même confrontée à des problématiques (dépeuplement, vieillissement de sa population, scandale du chlordécone, chômage endémique, extrême pauvreté, violences...) liées à son statut endogène (insularité, économie de comptoir, gouvernance institutionnelle....). D'où cette tentation de s'attarder ou de s'enfermer dans des polémiques ou des postures identitaires plutôt que de se concentrer sur les véritables enjeux.

Une analyse lucide et sincère

C'est à partir de ce constat peu amène, de ce diagnostic quelque peu sombre et à la lumière des deux dernières années mouvementées, symptômes de mutations en cours depuis longtemps et écho des champs de luttes en évolution que la journaliste et autrice martiniquaise Barbara Jean-Elie nous propose aujourd'hui cet essai politique "Martinique libre". Une analyse lucide et sincère de la situation de son île.

Rédactrice en chef d'ATV, (la 1ère chaîne de télévision privée de la Martinique), cofondatrice de Traces, (la 1ère chaine des cultures urbaines de France), autrice, réalisatrice, cheffe d'entreprise (société d'édition Diasporamix, société de conseils médias, communication et culture), conseillère politique (conseillère technique en charge de la culture, des sports et des associations auprès de la ministre des outre-mer George Pau-Langevin), actuellement directrice de cabinet du maire de Saint-Pierre en Martinique Christian Rapha, observatrice, mais aussi actrice depuis son retour il y a 4 ans et demi sur son île natale, cette femme de médias porte un regard singulier, mais aussi plein de sensibilité et de tendresse sur l'évolution de son île prise dans un tourbillon qui l'entraîne presque inexorablement dans une spirale infernale.

Mais c'est aussi la voix d'une citoyenne engagée pour qui il y a des raisons d'espérer. Une républicaine qui n'a pas hésité à s'investir en politique en 2021 sur la liste "La Martinique ensemble" portée par la sénatrice martiniquaise Catherine Conconne lors du dernier scrutin destiné à élire les représentants de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM).

Aujourd'hui, Barbara Jean-Elie qui, il est vrai, baigne dans la politique depuis son enfance – son père, Edouard Jean-Elie, a été maire d'Ajoupa-Bouillon pendant 24 ans – réfléchit à faire entendre sa voix au cours des futures législatives en se portant candidate dans la circonscription du Nord de la Martinique.

Une volonté d'agir pour transformer le cours des choses

C'est dire qu'elle ne se contente pas d'observer les désordres du monde et singulièrement ceux de la Martinique, mais a, chevillée au corps cette volonté d'agir pour transformer le cours des choses à partir des centres de décision. Barbara Jean-Elie croit en effet, à tort ou à raison, que la politique peut changer le quotidien des gens.

En ce sens, elle propose dans son ouvrage des pistes de réflexion et des perspectives à faire valoir au premier rang desquels se trouvent l'éducation, la solidarité, la nécessité d'une ambition plus collective pour une "société du faire ensemble", pour reprendre l'expression du sociologue Edgard Morin plutôt simplement d'une société du "être ensemble".

Barbara Jean-Elie propose également une société faite d'amour et de preuves d'amour. Des notions qui peuvent paraître au premier abord loin des problématiques et des préoccupations qui affectent la Martinique, mais qui en disent long sur la crise profonde que traverse le territoire et qui sont de nature à distendre les liens entre les Martiniquais.

Ainsi, cet essai particulièrement bien documenté se révèle être une contribution bienvenue de cette maman soucieuse de l'avenir de son île face à cet imaginaire de la défiance et à cette machine à fantasmes qui se propage dans l'inconscient collectif. Bref, un ouvrage à mettre entre toutes les mains pour retrouver la Martinique "espérante", dont parlait Aimé Césaire.
 

E.B.
"Martinique libre"
De Barbara Jean-Elie