L’Édito de Luc Laventure : Et si une fois encore les territoires ultramarins sauvaient la France…

L’Édito de Luc Laventure : Et si une fois encore les territoires ultramarins sauvaient la France…

 

On l’oublie trop souvent mais, c’est un Guyanais Félix Éboué, qui fut en tant que gouverneur du Tchad, le premier à rejoindre le Général de Gaulle et la France Libre… Félix Éboué, a ainsi, apporté ce qui manquait au Général : des territoires. 

Derrière Éboué, ce sont les territoires de l’Atlantique, du Pacifique et de l’Afrique, qui suivront, donnant ainsi à la France un véritable rôle aux côtés des alliés dans le conflit mondial. La présence des ultramarins a été prépondérante durant ce conflit, que ça soit en Europe, avec des renforts humains non-négligeables : « Les dissidents » des Antilles (Guadeloupe Martinique, Guyane), de l’océan indien (Réunion et Maurice), « le bataillon du Pacifique ». Sans compter beaucoup d’administrateurs comme Félix Éboué, dans la magistrature et dans le corps des administrateurs de la France d’Outre-mer.

Les territoires ultramarins, qui constituent 97 % de l’espace maritime français, ont une fois encore la possibilité de donner à la France une occasion de rebond sur tous les océans. Ce qui lui permet d’être le deuxième domaine maritime mondial après les Etats-Unis, et donc le 1er pays, et de loin de l’Union européenne (UE).

Face à cette présence, la France ne peut assumer ce rôle de rayonnement européen maritime, sans moyens humains, et financiers qui pour le moment restent insuffisants compte tenu des enjeux actuels et à venir (écologie, développement durable, défense etc.). Dans un discours de juin 2016 lors du dialogue de Shangri La, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian s’interrogeait ainsi dans ces termes : « pourquoi ne pas envisager que les marines européennes se coordonnent de manière à assurer une présence aussi régulière et visible que possible dans les espaces maritimes en Asie ? ». 

Surtout que l’on sait que les collectivités françaises du Pacifique détiennent un positionnement stratégique face à l’expansionnisme chinois. Leur situation permet de disposer de points d’appui et de capacités d’intervention dans la région alors que les tensions internationales s’y exacerbent. Signe du caractère stratégique de ce positionnement, selon un rapport de l’IRSEM, la Nouvelle-Calédonie fait l’objet d’ingérences de la part de la Chine à l’occasion des scrutins d’autodétermination.

Quand certains continuent à s’agiter comme des vers de terre coupés en deux, que d’autres en font une affaire de politique intérieure, quand des experts proposent des solutions en quittant l’OTAN ou en invitant à la création d’une force militaire européenne, la solution est déjà là et peut s’appuyer sur nos territoires ultramarins de La Réunion à la Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie, car près de 75% des exportations de l’Union européenne transitent dans l’océan Indien. Le contrôle de la souveraineté des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) est également incontournable compte tenu des prospections non-autorisées, de narcotrafics, des actions de piraterie et de l’immigration illégale.

Comment concrétiser cette stratégie indopacifique ? 

Une stratégie maritime nationale a été mise en place pour les années 2017 à 2022. Par ailleurs, la stratégie de sûreté des espaces maritimes a été révisée en 2019, compte tenu du regain des tensions et de la militarisation des océans. Elle appelait notamment à « concentrer les efforts sur les départements et collectivités d’outre-mer pour favoriser la signature d’accords techniques bilatéraux en matière d’action de l’État en mer ».

Un ambassadeur pour l’Indopacifique, Christophe Penot, a été nommé en septembre 2020. Le Président de la République a réaffirmé récemment lors de son déplacement en Polynésie française, l’importance de cet axe. Cependant, la concrétisation de cette stratégie pour les outre-mer peine à voir le jour. Il est vrai que la Marine nationale a multiplié ces dernières années, des exercices avec les Marines australienne et néo-zélandaise.

Alors que leurs missions sont très variées et les menaces très diverses, les forces armées françaises en outre-mer subissent depuis une quinzaine d’années un sous-dimensionnement. Le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013 fait état « [du] risque important de rupture capacitaire à court et moyen terme, qui pourrait entraîner l’État à ne plus pouvoir remplir de façon appropriée l’ensemble des missions qui lui incombent dans les outre-mer. […] Le dispositif militaire implanté dans les outre-mer doit être dimensionné pour tenir compte des problèmes de sécurité et de défense de chaque territoire ».

En 2017, la Revue stratégique de défense et de sécurité nationale affiche la nouvelle ambition française face aux enjeux que représentent les territoires d’outre-mer et l’immensité de la zone économique exclusive en réclamant un effort en direction du dispositif prépositionné. L’intention sera reprise dans la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025 qui prévoit « des effectifs suffisants et des équipements adéquats ».

Néanmoins, les forces de la Marine nationale sont confrontées à des enjeux capacitaires considérables pour ce qui est du dispositif prépositionné et la Marine nationale est la plus touchée (ruptures temporaires de capacité qui subsisteront jusqu’en 2025 et la fin du remplacement des patrouilleurs P400); mise en service de bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer (BSAOM) à la place des Bâtiments de transport léger (Batral) qui s’est accompagnée d’une diminution par deux des capacités de transport et de la perte de la capacité amphibie. Un « trou » capacitaire est donc toujours prévu entre 2020 et 2024, mettant en péril la capacité de la France à assurer sa souveraineté sur ses zones économiques exclusives.

Le renforcement capacitaire de la Marine nationale paraît d’autant plus nécessaire qu’en 4 ans, la Chine a construit l’équivalent de l’ensemble de la flotte de la Marine nationale française. Si les ambitions de la Chine restaient auparavant régionales, avec pour objectif le contrôle de la mer de Chine (elle participait elle-même aux efforts contre les pirateries dans l’océan Indien), l’ouverture en 2017 d’une base chinoise à Djibouti démontre ses ambitions maritimes, dans le but notamment de sécuriser les nouvelles routes de la soie. 

Face à l’accroissement de ces menaces, les territoires ultramarins regorgent plus que jamais d’atouts stratégiques. Il reste à mettre en adéquation les moyens (augmentation des forces capacitaires pour la Marine nationale ; concrétisation du rôle des outre-mer dans la stratégie indopacifique) avec les ambitions aujourd’hui affichées. Les valeurs portées par la France en matière de Liberté, d’Égalité et de Fraternité doivent se répandre dans cette zone Indopacifique comme de vrais modèles politiques et individuels.

Il ne s’agit pas de faire de l’ingérence dans les pays de la zone, en revanche, il s’agit d’apporter une nouvelle voie, un autre regard et d’autres possibles aux territoires de cette zone. Il existe déjà de nombreuses coopérations dans cette région du monde, faisons-en sorte que ces coopérations puissent continuer à se développer et à prendre de l’ampleur au-delà des coopérations militaires. Faisons-en sorte de valoriser nos acquis territoriaux, économiques et nos talents humains pour faire de cette idée d’axe Indopacifique une réalité et une alternative. Faisons-en sorte que ce que certains veulent déjà voir jouer comme une fatalité ne le devienne pas.

En janvier 2022, la France va assurer la présidence de l’Europe, ce sera plus que jamais l’occasion pour nous, de renforcer la place de la France et de donner encore plus de poids à cet axe avec le concours de l’Union Européenne. En embarquant nos partenaires européens avec nous dans ce nouveau chemin mondial, nous aurons une fois encore la possibilité de faire de nos Territoires (de nos « Pays d'Outremers ») la piste de lancement et d’atterrissage d’un nouvel équilibre mondial.

Cette année, Outremers360 avec la participation de plusieurs acteurs socio-économiques, et politiques, va créer un Think Tank dédié à l’étude du Pacifique. Il aura vocation à conduire des recherches sur l’actualité diplomatique, économique, et militaire régionale afin d’enrichir les réflexions des acteurs privés et publics français dans la région. Appelé à devenir le nouveau centre du monde au sein duquel la France doit tenir le rang qui est le sien, le Pacifique ne peut être l’angle mort de la recherche française.

Une piste pour conclure : Le rôle de la France ne doit-il pas s’inscrire dans une stratégie, peut-être vieille, mais efficace des non-alignés ? Entre deux mondes qui émergent : les États Unis et le reste du monde anglo-saxons d’un côté, et la République Populaire de Chine de l’autre…