Kora Bernabé, l'excellence du cacao martiniquais chez Weiss et au service des plus grands chefs du monde, de Monaco à Dubaï

Kora Bernabé, l'excellence du cacao martiniquais chez Weiss et au service des plus grands chefs du monde, de Monaco à Dubaï

Reprendre l’exploitation de son grand-père au Piton du Carbet pour en faire une référence mondiale du cacao, c’est le pari audacieux et réussi de Kora Bernabé. A tout juste 36 ans, cette ingénieure agronome, présidente de l’association Valcaco, a su structurer et hisser la filière cacao de Martinique vers l’excellence, grâce à une approche fondée sur l’agro-écologie et l’agro-foresterie. Une quête couronnée de succès, notamment en février 2024, avec l’obtention du prestigieux titre de « meilleur cacao du monde » aux Cocoa Awards d’Amsterdam.

Dans cette interview pour Outremers360, Kora Bernabé revient sur son héritage familial, son parcours et son rôle clé dans la renaissance du cacao martiniquais. Elle évoque la reconstruction de la filière, l’émergence de la Martinique comme nouveau terroir du chocolat d’exception, ainsi que ses collaborations avec les plus grands maîtres chocolatiers internationaux. « L’objectif est de garantir une exigence de qualité et un positionnement haut de gamme », précise-t-elle. Rencontre avec une jeune entrepreneure portée par ses racines et son amour indéfectible pour la Martinique.

La renaissance du cacao en Martinique : une filière en plein essor

En 2015, alors que la production de cacao en Martinique est pratiquement inexistante, Kora Bernabé, à seulement 26 ans, décide de s’engager pleinement dans sa relance. Déterminée, elle fonde et prend la présidence de l’association de producteurs de cacao martiniquais Valcaco. La replantation commence en 2017-2018, marquant le premier pas vers la reconstruction de la filière. En 2019, la région renforce cette dynamique en lançant un programme de redynamisation du cacao, piloté par le pôle agroalimentaire.

Dans le même temps, le Parc Naturel de Martinique (PNM), avec le soutien du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) de Montpellier, entreprend un travail d’identification des anciennes cacaoyères encore présentes sur l’île. Les résultats sont prometteurs : une grande diversité génétique est préservée, et les variétés locales, particulièrement rustiques, ont su s’adapter aux conditions agronomiques martiniquaises.

Parallèlement, les producteurs bénéficient de formations aux techniques de culture et de transformation du cacao. Un savoir-faire précieux est également acquis auprès de pays où la tradition cacaoyère s’est maintenue, comme la Grenade, Trinidad ou le Brésil. Très vite, il apparaît que les variétés locales, une fois travaillées avec des méthodes rigoureuses de fermentation et de séchage – essentielles pour développer les arômes du chocolat – répondent aux standards internationaux de qualité définis par l’International Cocoa Organization (ICCO).

« Aujourd’hui, la production est passée de zéro à quatre tonnes, avec une prévision de huit à dix tonnes cette année et une croissance continue dans les années à venir. À terme, avec 130 hectares plantés et en cours de maturation, la production pourrait atteindre entre 400 et 500 tonnes annuelles. » précise Kora Bernabé.

Mais au-delà de la production, une question centrale demeure : le cacao martiniquais peut-il trouver preneur sur le marché ?

La réponse ne tarde pas à venir. Grâce à une conjoncture favorable et l’intérêt porté par des consommateurs soucieux de l’origine et de la qualité des produits, la demande explose. Le cacao martiniquais, produit selon des principes d’agroécologie et sans intrants phytosanitaires, attire rapidement l’attention des chocolatiers et des chefs du monde entier, prêts à payer jusqu’à 23 000 € la tonne, bien au-delà des prix du marché traditionnel (3 000 à 4 000 $ la tonne).

Fèves de cacao séchées ©Valcaco

Aujourd’hui l’association Valcaco regroupe une cinquantaine de producteurs, structurés autour d’une équipe de cinq bénévoles particulièrement engagés : « L’engouement est bien réel. Chaque semaine, l’association reçoit de nouvelles candidatures de producteurs souhaitant intégrer la structure. » L’entrée dans l’association repose sur des critères stricts : une terre adaptée à la culture du cacao et un engagement total envers une production responsable, sans intrants chimiques ni pesticides. Cette rigueur permet le retour du cacao martiniquais dans l’univers du chocolat d’exception.

Un chocolat grand cru martiniquais chez Weiss

La collaboration entre la filière cacao de Martinique et la chocolaterie Weiss repose sur une relation de confiance et de partage de valeurs communes. Séduits par la qualité exceptionnelle du produit, les chefs pâtissiers Christophe Devaux et Jonathan Chauve ont développé des recettes spécifiques, menant à la création du premier grand cru de Martinique signé Weiss.

Kora Bernabé revient sur cette alliance stratégique :« Depuis 3 ans, les échanges se sont renforcés, et après plusieurs années de tests et de mise au point, Weiss a lancé son premier grand cru martiniquais, [ndlr : chocolat Madinina - Dark Milk 50%]. Cette entreprise, bien que rattachée au groupe Savencia, conserve un esprit artisanal et familial, ce qui facilite une coopération équilibrée et respectueuse entre producteurs et transformateurs. Un des axes majeurs de cette collaboration est la mise en place d’un préfinancement pour aider les producteurs à stabiliser leur trésorerie. Par ailleurs, des recherches sont en cours pour approfondir la caractérisation des arômes du cacao martiniquais. »

L’ampleur du partenariat s’est révélée lors du lancement officiel du grand cru Martinique, où Weiss a mobilisé ses réseaux internationaux. Lors du Salon International de la Restauration, de l'Hôtellerie et de l'Alimentation (SIRHA) à Lyon, des chocolatiers du monde entier ont pu découvrir ce nouveau chocolat, attirant l’attention de grandes figures de la gastronomie, dont les chefs pâtissiers Marcel Ravin du Blue Bay à Monte Carlo et Christophe Devoille du Royal Atlantis à Dubaï, qui a acquis à lui seul la moitié de la production.

 Tablette de chocolat Madinina - Dark Milk / SIRHA LYON 2025 De gauche à droite : Christophe Devaux, Kora Bernabé et Jonathan Chauve ©WEISS

Des partenariats sur mesure

En France, Valcaco a mis en place un maillage territorial avec des artisans à Lille, Paris, Nantes, Bayonne et Bordeaux. À l’international, Londres compte parmi les partenaires de longue date. Ces partenariats sur mesure renforcent le caractère d’excellence de la production martiniquaise : « L’un des aspects les plus marquants de ces collaborations est la relation étroite avec des chocolatiers qui adaptent leurs créations en fonction des spécificités aromatiques des différentes plantations martiniquaises. Par exemple, le chocolatier de l’ambassade de France à Londres, avec qui nous collaborons depuis cinq ans, commande désormais des lots spécifiques auprès de nos producteurs, en fonction des notes aromatiques qu’il souhaite mettre en valeur. »

De nouvelles opportunités émergent également en Belgique grâce à un partenariat avec un chocolatier belgo-japonais, ouvrant la voie au marché japonais. Parallèlement, des discussions sont en cours avec les Etats-Unis. Aujourd’hui, la demande dépasse largement l’offre actuelle. La totalité de la production est déjà réservée jusqu’en 2028.

La Maison du Cacao : une vitrine d’excellence pour le cacao martiniquais en 2025

Prévue pour juin 2025, l’ouverture de la Maison du Cacao marque une étape clé dans la structuration de la filière cacao en Martinique : « Avec plus de 2 millions d’euros d’investissement et le soutien des meilleures entreprises locales, ce projet ambitieux vise à valoriser le savoir-faire des producteurs et à transmettre leur passion. » ajoute Kora Bernabé.

Située au cœur de l’exploitation cacaoyère, cette structure de 400 m² offrira une immersion complète dans l’univers du cacao martiniquais. Un parcours pédagogique permettra aux visiteurs de découvrir les différentes étapes de production, de la fève à la tablette, en observant directement le travail des producteurs : récolte, fermentation, séchage et torréfaction. Un atelier de transformation mettra en lumière les techniques de broyage, de tempérage et de moulage du chocolat. Kora Bernabé précise que d’autres initiatives viendront compléter le projet : « La Maison du Cacao proposera également une boutique dédiée aux produits locaux (chocolat, miel, vanille…) et un espace de dégustation, où les visiteurs pourront savourer chocolat chaud, glaces et pâtisseries à base de cacao martiniquais. À terme, un restaurant viendra compléter l’offre en sublimant le cacao sous toutes ses formes. »

Weiss création ©WEISS // Cacao Martiniquais valorisé à l'ambassade de France à Londres, 2021 ©Valcaco

En s’engageant dans la renaissance du cacao martiniquais, Kora Bernabé ne se contente pas de réhabiliter une culture oubliée et de participer au développement économique et patrimonial de la Martinique, elle œuvre aussi pour une réconciliation : « Lorsqu’on prend conscience de l’histoire et de l’héritage du cacao, on mesure toute la portée symbolique de ce produit. Aujourd’hui, nous aimons tous ces cacaos d’exception, et c’est une richesse que nous avons en partage. D’ailleurs, beaucoup de personnes se reconnaissent dans cette histoire : certains racontent que leurs grands-parents cultivaient déjà le cacao, qu’ils participaient à cette tradition ancienne. Finalement, pourquoi ne pas voir cette dynamique comme une forme de réconciliation avec notre passé ? »

Le cacao martiniquais à la cour de Louis XIV

Autrefois, la Martinique était un territoire majeur de production de cacao, avec des volumes dépassant ceux de la banane et de la canne à sucre aujourd’hui. Introduit dès le XVIIe siècle, notamment pour approvisionner la cour de Louis XIV, le cacao martiniquais était destiné à un marché haut de gamme. Contrairement à la canne, souvent associée à l’histoire de l’esclavage, le cacao ne porte pas le même poids symbolique dans l’imaginaire collectif, bien qu'il en soit aussi imprégné.

Avec l’industrialisation de la production mondiale et l’essor du cacao africain, axé sur la quantité plutôt que sur la qualité, la Martinique a peu à peu perdu sa place sur ce marché. Dans les années 1960, les choix gouvernementaux ont favorisé l’agriculture intensive, au détriment des cultures patrimoniales comme le cacao. À l’époque, la priorité était la productivité, dans un contexte où la qualité et la traçabilité des produits n’étaient pas encore des préoccupations majeures des consommateurs.

Ce n’est que vers la fin du XXe siècle et le début du XXIe que les mentalités ont évolué, avec une prise de conscience croissante des enjeux du développement durable et de la valorisation des productions locales. Aujourd’hui, la relance de la filière cacao en Martinique s’inscrit dans cette dynamique, visant à redonner à cette culture une place d’excellence sur la scène internationale.

EG