Quelques jours après le dernier conseil d'administration de l'année 2025, qui s'est tenu les 20 et 21 novembre à Montreuil au siège de l'ODEADOM, Outremers360 fait le point avec Joël Sorrès, président du conseil d'administration de l'ODEADOM, et Jacques Andrieu, directeur de l'ODEADOM. L'occasion pour eux de faire le bilan de l'année marquée par la reconstruction post-cyclonique à Mayotte et La Réunion, mais aussi sur la préservation du programme européen POSEI, ou encore sur l'adaptation des politiques agricoles aux spécificités ultramarines. Pour les acteurs du monde agricole, l'un des prochains rendez-vous à suivre sera bien évidemment le Salon de l'agriculture 2026.
Outremers360 : Le dernier conseil d'administration de l'année 2025 s'est tenu la semaine dernière. Qu'en est-il ressorti ?
Joël Sorrès : Le conseil d'administration a d'abord été l'occasion de rappeler unanimement tout l'intérêt que les membres portent à l'ODEADOM. Tous ont réaffirmé que nous sommes le seul espace de dialogue, d'échange et de concertation pour l'agriculture outre-mer. C'était important de le dire, notamment parce que nous avons dû affronter cette année une menace de suppression pure et simple de l'office par une commission sénatoriale. Mais le conseil a porté sur d'autres sujets aussi. Nous avons notamment évoqué l'évolution des outils d'appui européens à la politique agricole commune, et là, tous les collègues ont exprimé une grande préoccupation. Dans la dernière communication de la présidente de la Commission européenne, on ne voyait plus du tout le mot POSEI, on ne voyait plus du tout le mot "régions ultrapériphériques". Les acteurs de la profession sont très inquiets car ils ont le sentiment qu'il y a une recentralisation des aides au niveau national et qu'on perdrait en visibilité. Avec les projets de perspectives financières européennes et cette nouvelle architecture proposée, tout le monde est sur le qui-vive. Une fois encore, il n'y a pas de concertation avec les régions ultrapériphériques, il n'y a pas de concertation avec le monde agricole en particulier.
Jacques Andrieu : La demande forte du conseil, c'est une adaptation de tous ces exercices dans leur méthode même, pour que les préoccupations de l'Outre-mer soient dûment prises en compte et relayées. On ne peut pas appliquer les mêmes recettes partout.

Vous avez mentionné une menace de suppression de l'ODEADOM. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s'est passé cette année ?
Joël Sorrès : La ministre en charge du redressement des comptes publics avait évoqué à certains moments de l'année des discussions sur une concentration des offices d'État de façon générale. C'est à partir de ce moment-là que le Sénat s'est engouffré dans la brèche pour proposer purement et simplement de supprimer l'ODEADOM. Mais nous n'avons même pas été consultés par le Sénat. On a parlé de nous sans nous. Il a fallu sensibiliser les uns et les autres, réexpliquer le rôle de l'ODEADOM.
Jacques Andrieu : Sur la raison de cette proposition, je crois que c'est de l'incompréhension issue d'une vision lointaine. D'ailleurs, il n'y a aucun parlementaire des Outre-mer qui a demandé ou regardé positivement la fermeture de l'ODEADOM. Au conseil d'administration, il y a eu un tour de table unanime pour dire que tous les membres étaient extrêmement attachés à l'ODEADOM et franchement agacés par le fait que cette question revienne encore. Leur demande, c'est : comment fait-on maintenant en sorte qu'on passe notre énergie sur du développement agricole des Outre-mer plutôt que sur des questions aussi éloignées de nos réalités ?
Au-delà de cette menace institutionnelle, comment dressez-vous le bilan agricole de cette année 2025 ?
Joël Sorrès : Ça a été une année compliquée pour l'agriculture des Outre-mer en général et plus particulièrement pour La Réunion et Mayotte. Nous avons vécu une période climatique difficile avec les cyclones Chido à Mayotte en décembre 2024 et Garance à La Réunion, et il a fallu du temps pour remettre en place les productions.
Jacques Andrieu : Nous avons fait une mission en juin 2025 pour rencontrer les Mahorais après que tout a commencé à se remettre en place. Ce qui a été encourageant, c'est de voir la manière dont le secteur agricole est reparti. Les gens ont retroussé leurs manches et ont mis une énergie considérable dans la reconstruction. 2025, c'était aussi le Salon de l'agriculture. On avait souhaité faire un focus Mayotte avec des tables rondes parce que c'était un des événements majeurs de l'année. Et le cyclone Garance à La Réunion est tombé pendant le Salon. Donc cette année marquée par ces deux gros phénomènes climatiques a été une année d'activité intense dès le début.
Vous avez aussi évoqué les conférences sur la souveraineté alimentaire lancées par Annie Genevard, ministre de l’Agriculture…
Joël Sorrès : Nous avons rappelé au ministère que cet exercice, adapté au territoire national, devait faire l'objet d'un exercice dédié pour nos territoires ultramarins… Plusieurs professionnels ont été invités à Rungis pour une journée, mais nous n'avons pas forcément les moyens de monter à Rungis pour entendre ce que va dire la ministre. Donc nous lui avons demandé officiellement qu'elle fasse une visio avec nous pour échanger sur ces thèmes importants.
Jacques Andrieu : C'est une demande forte d'adaptation de l'exercice dans sa méthode elle-même, pour que les préoccupations de l'Outre-mer soient dûment prises en compte, relayées, et que l'exercice soit utile.
Outremers360 : L'adaptation des politiques agricoles aux spécificités ultramarines semble être un sujet récurrent...
Joël Sorrès : En très peu de temps, nous avons eu six ou sept ministres, et à chaque fois, il faut réexpliquer tout l'intérêt que la profession agricole porte à l'ODEADOM. On le fera, on va le refaire si nécessaire. Nous avons l'habitude de rappeler à chaque fois que le réflexe Outre-mer n'est pas toujours présent dans tous les ministères. Là, je prends ma casquette agriculture, mais sur d'autres sujets, c'est pareil. Notre rôle, c'est de repréciser à chaque fois que l'agriculture outre-mer n'est pas la même que celle de l'Hexagone et que quelques adaptations sont nécessaires si on veut un développement et si on veut parler de souveraineté alimentaire. Il faut continuer à expliquer que ce qui est décidé à Paris pour la France hexagonale ne peut pas être la même décision pour nos territoires ultramarins concernant l'agriculture.
Vous avez également mené une mission importante en Guyane dernièrement. Qu'en avez-vous retenu ?
Jacques Andrieu : C'était du 13 au 18 novembre, juste avant le conseil d'administration. Joël Sorrès voulait vraiment y aller parce qu'il n'avait pas encore eu l'occasion au cours de son mandat de se rendre en Guyane. C'était une grosse mission qui a été très appréciée, dans cet esprit de connaissance, de partage et de confrontation entre la réalité de terrain et les orientations un peu générales que l'on peut avoir depuis la capitale.
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Joël Sorrès : La Guyane, c'est un immense territoire avec une attente forte sur l'accompagnement technique. J'ai vu un territoire dynamique qui veut vraiment se mettre dans une démarche de production répondant à la souveraineté alimentaire, même s'il y a beaucoup de concurrence avec les pays voisins. J'ai vu des femmes et des hommes qui avaient le courage, l'envie de faire, mais qui demandaient un soutien plus accru des pouvoirs publics sur l'accompagnement technique de leurs exploitations. J'ai vu de belles exploitations, mais aussi des petites exploitations qui souhaitent se structurer. J'ai vu des interprofessions qui veulent vraiment prendre ce sujet à bras-le-corps avec des unités de transformation, avec une réelle volonté de produire plus et de produire mieux. Le Guyanais veut manger guyanais. Mais il faut que le Guyanais se retrouve en termes de diversification de produits et qu'il s'y retrouve aussi en termes d'attractivité des prix.
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Quelles sont les priorités et les rendez-vous importants pour les mois à venir ?
Jacques Andrieu : Les thèmes évoqués au conseil d'administration vont structurer la réflexion de 2026. C'est aussi l'année de concertation au niveau européen sur la PAC et le programme POSEI. Ça va durer au moins toute l'année, mais il y a une vraie mobilisation à atteindre des Outre-mer sur ce volet de la structure européenne d'appui, notamment dans le secteur agricole. C'est un élément fort qui a démarré et qui va nous occuper. Et puis il y a l'exercice sur les conférences de souveraineté alimentaire. On va avoir assez rapidement un point d'orgue puisque, traditionnellement, le Salon de l'agriculture, c'est un moment de rassemblement fort. Il arrive fin février. L'ODEADOM aura son stand, et ce sera, comme d'habitude, une semaine intense. Enfin, le prochain conseil d'administration aura lieu la veille de l'ouverture du Salon.

Joël Sorrès : Notre grande joie, c'est de voir une vache égérie venant de nos territoires, venant de la Martinique. Biguine va faire danser tout le monde au Salon ! D'ailleurs, j'avais visité l'exploitation d'où vient Biguine lors de notre mission en Martinique. C'était un grand moment.
Pour conclure, quelles sont vos priorités concrètes pour l'agriculture ultramarine en 2026 ?
Joël Sorrès : Nous serons force de proposition pour que les dispositifs nationaux restent adaptés à nos réalités agricoles ultramarines. Il faut aussi revoir tous les outils qui peuvent être mis en œuvre localement à travers les fonds européens, à travers le FEADER par exemple. Comment fait-on en sorte que le FEADER puisse répondre pleinement à la demande des agriculteurs ? Il y a une réflexion à avoir dans nos territoires sur ce sujet. Et puis, il faut accompagner Mayotte et la Guyane. Ils ont besoin d'un coup de main pour structurer notamment la filière fruits et légumes, même si les autres filières sont un peu plus en avance. Mais globalement, toutes les filières ont besoin de se renforcer pour pouvoir répondre à l'objectif qui a été fixé par le président de la République sur la souveraineté alimentaire. Notre message est clair : les Outre-mer ont besoin d'adaptations spécifiques des politiques agricoles nationales et européennes. Nous continuerons à porter cette voix auprès des décideurs.























