Démissionnaire deux ans après sa nomination surprise à Matignon en juillet 2020, Jean Castex s'est taillé une place par sa gestion pragmatique de la crise du Covid, tout en essayant de combler les angles morts de la macronie, avec ses déplacements incessants dans la France des sous-préfectures. Il s’était aussi rendu en Guyane et à La Réunion.
Trois SMS arrivent coup sur coup sur le téléphone de Jean Castex, qui enfile ses lunettes et soupire : un maire du sud lui écrit pour évoquer le contournement routier de sa ville, un dossier débloqué à Matignon mais aussitôt menacé d'échouage, faute de « documents administratifs nécessaires ». « Voilà ce que j'ai à gérer », témoigne-t-il auprès de l'AFP. Auto-proclamé « Premier ministre de l'intendance », Jean Castex n'a pas quitté le costume en vingt mois de mandat, creusant ainsi son propre sillon après avoir repris le flambeau d'Édouard Philippe, parti au zénith de sa popularité et animé d'ambitions politiques.
Inconnu du grand public, qui a découvert le 3 juillet 2020 l'accent du sud-ouest et la mise un peu désuète de ce quinquagénaire issu de la droite, Jean Castex a suivi une stratégie modeste dans l'ombre d'Emmanuel Macron, évoquant à tout bout de champ son expérience de maire de la petite ville de Prades et ses 6 000 âmes dans les Pyrénées-Orientales. Mais ce père de quatre filles, formé à l'ENA et passé par la Cour des comptes, est aussi un techno rompu aux rouages de l'État, ancien directeur de cabinet de Xavier Bertrand aux ministères de la Santé et du Travail, secrétaire général adjoint de l'Élysée sous Nicolas Sarkozy, puis délégué interministériel aux JO-2024.
De quoi se forger une réputation de « couteau-suisse », pragmatique et habile à la concertation. En avril 2020, il est chargé de mettre en œuvre le premier déconfinement et tape dans l'œil d'Emmanuel Macron, à la recherche d'un nouveau visage pour un pays bouleversé par le Covid et ses conséquences. Des mois durant, Jean Castex égrène devant des millions de téléspectateurs les restrictions en tous genres. Un paradoxe pour ce « libéral », désormais « obligé de dire aux gens comment ils doivent réveillonner ».
« Croque-mémé »
Messager des mauvaises nouvelles, il fait office de paratonnerre pour Emmanuel Macron et l'assume. Un ministre s'étonne encore d'avoir entendu Jean Castex se réjouir de sondages défavorables : « tu as vu, je perds trois points, le président en gagne deux. Je tiens mon rôle ». Surtout, il s'attache à constater lui-même sur le terrain l'application des mesures, sillonnant les hôpitaux de France – « Je pourrais écrire un Gault et Millau », s'amuse-t-il - puis les centres de vaccination, pharmacies, cabinets de médecin...
Un activisme forcené dont il fait sa marque de fabrique : « les déplacements, c'est moi, ma conception de la fonction », clame-t-il. Au total, il se targue d'en avoir cumulé 350, visitant ici une scierie bénéficiaire du plan de relance dans le Jura, coupant là le ruban pour un pylône apportant la 4G au fond de l'Ariège. Le Premier ministre s’était d’ailleurs rendu en Guyane, quelques jours après sa nomination en juillet 2020, pour son premier déplacement Outre-mer, en pleine épidémie. Une visite pour faire le service après-vente de la mobilisation de l’État sur ce territoire.
Si Emmanuel Macron a triomphé en 2017 sur l'image d'une start-up nation urbaine biberonnée à la modernité, Jean Castex a, lui, tenté de suturer une relation dégradée avec les territoires, qu'il s'agisse des élus locaux comme des habitants, en se présentant comme l'un d'entre eux. Et tant pis pour les railleries parisiennes : « en se foutant de sa gueule, c'est des Français qu'on se moque », prévient une ministre.
Avec ses maximes frappées au coin du bon sens – « il n'y a que les gens qui ne font jamais la vaisselle qui n'ébrèchent jamais les assiettes », aime-t-il à répéter - son tutoiement facile, ses tapes dans le dos et ses ruses de « croque-mémé », Jean Castex s'épanouit dans la proximité, autant qu'il peut parfois paraître emprunté face aux caméras. D'ailleurs, confie-t-il en privé, sa principale « fierté » médiatique est d'avoir décroché la Une des revues Historia, dont il est un collectionneur méticuleux, et de la Vie du Rail, bible des passionnés de train.
« Grains de sable »
Rétif à faire prospérer son image et sa propre chapelle, Jean Castex a davantage peiné à investir son rôle de chef de la majorité, plus que jamais occupé par Emmanuel Macron. Mais ministres et collaborateurs ont aussi pu éprouver ses éruptions de colère et ses arbitrages rendus sans ménagement, comme à l'heure d'évincer sans ménagement le puissant secrétaire général du gouvernement Marc Guillaume.
A l'heure du bilan, il prédit que « les quelques lignes » qui lui « seront consacrées dans les livres d'histoire » l'associeront à « la crise sanitaire ». « Moi je rappellerai aussi tout le reste », souffle-t-il à l'AFP, évoquant l'augmentation du budget de la Justice, « les conséquences du Brexit », « la réforme de la PAC », « la Nouvelle-Calédonie », sans compter le flot des affaires courantes qui font de Matignon « une maison d'action ».
« Je passe ma vie à gérer des grains de sable, je pourrais en faire un désert », ironise-t-il. « Avant d'ajouter : « Mais c'est le sel de l'action publique. Si c'est pour enfiler des perles ce n'est pas la peine ». Jean Castex, qui écarte de figurer dans le prochain gouvernement, se verrait par exemple mettre son expérience au service des « décrocheurs », notamment les plus jeunes, dans une association, une fondation. « Agir, et être utile », résume-t-il. À la toute fin de son mandat, pendant l’entre-deux tours, Jean Castex s’était rendu à La Réunion pour faire campagne mais aussi fermer la page de ses nombreux déplacement en tant que chef du gouvernement.
Avec AFP.