Interview. Patrick Cazaban, directeur régional Outre-mer chez TotalEnergies, « Notre ambition : devenir leader de la production d’électricité décarbonée dans les Outre-mer. »

Patrick Cazaban (à gauche) inaugurant une borne de recharge  © Romain Philippon - Capa - TotalEnergies

Interview. Patrick Cazaban, directeur régional Outre-mer chez TotalEnergies, « Notre ambition : devenir leader de la production d’électricité décarbonée dans les Outre-mer. »

Dans un contexte de forte dépendance des Outre-mer aux importations énergétiques, TotalEnergies mise sur la production locale d’électricité décarbonée pour contribuer à renforcer l’autonomie énergétique des territoires. Dans cette interview exclusive pour Outremers 360, Patrick Cazaban présente les projets phares de l’entreprise à La Réunion et aux Antilles : parc solaire et éolien, systèmes de stockage par batteries, bornes de recharge haute puissance, et formation des jeunes aux métiers de l’électricité. Une stratégie pensée pour créer de l’emploi, soutenir le développement local et réduire la facture énergétique, tout en accélérant la transition des territoires ultramarins.



L’autonomie énergétique, un enjeu vital pour les Outre-mer

Les territoires ultramarins sont fortement dépendants aux énergies fossiles. Qu’il s’agisse du transport maritime, aérien ou terrestre, mais surtout de la production d’électricité, leur mix énergétique repose encore massivement sur l’importation d’hydrocarbures. Cette dépendance structurelle pèse sur les économies locales et alimente la vie chère, un enjeu social toujours brûlant.

Au cœur de ces défis, l’énergie est déterminante. Comme le souligne Patrick Cazaban, « les enjeux sont à la fois énergétiques et socio-économiques, car avoir la maîtrise d’une production locale d’énergie sera forcément bénéfique pour les territoires ».

Pour y parvenir, deux leviers s’imposent. « Le premier, précise-t-il, c’est le développement d’une production d’énergie décarbonée locale, éolien, solaire ou hydroélectricité, selon les ressources propres à chaque territoire. Le second, c’est la mobilité électrique, qui permettrait de réduire la dépendance aux carburants fossiles et d’équilibrer le mix énergétique global. »

Ces deux leviers combinés renforceraient l’autonomie énergétique tout en diminuant les émissions de carbone. Une vision que Patrick Cazaban résume à travers un concept simple : « de la pale à la roue » ou « du panneau à la roue ». Autrement dit, l’électricité produite localement à partir d’énergies renouvelables est injectée dans le réseau électrique qui, lui-même, alimente les bornes de recharge installées dans les stations-service, les parkings privés et la voie publique. Un modèle vertueux qui incarne concrètement l’ambition du groupe : « devenir un leader de la production et de la distribution d’électricité bas carbone sur l’ensemble du territoire français, y compris dans les Outre-mer. »

Un ancrage fort dans les territoires ultramarins

Présente dans les Outre-mer depuis plus de soixante ans, TotalEnergies s’appuie sur une implantation profondément locale : sur place 95 % de ses collaborateurs sont ultramarins. L’entreprise emploie près de 400 salariés en direct et génère environ 2 000 emplois indirects à travers un réseau de 180 stations-service réparties dans l’ensemble des territoires ultramarins. Elle y propose non seulement du carburant et des produits spécialisés, mais aussi de nouveaux services comme la recharge électrique, avec des bornes haute puissance encore rares sur ces marchés : « La Réunion bénéficie d’une vingtaine de stations-service équipées de points de rechargeSur une île où les trajets quotidiens dépassent rarement 120 km, ces stations complètent la recharge domestique et professionnelle, facilitant la transition vers la mobilité électrique ».

Mais la dynamique reste fragile. « Le marché (du véhicule électrique) a marqué un net ralentissement ces derniers mois », observe-t-il. En cause, selon lui, la fin progressive des aides gouvernementales combinée au coût encore élevé de ces modèles. Résultat : après une première vague d’équipement des entreprises et des particuliers les plus aisés, la croissance s’essouffle. « Il faut désormais proposer des véhicules plus petits, plus légers et plus abordables, pour toucher un nouveau segment de population », insiste-t-il. « Les entreprises, déjà bien dotées, renouvellent leur flotte tous les cinq à dix ans, mais le marché reste limité, surtout dans les Outre-mer, où le pouvoir d’achat est souvent plus contraint qu’en métropole. »

© Romain Philippon - Capa - TotalEnergies

Un modèle énergétique complet à La Réunion

A La Réunion, l’entreprise dispose aujourd’hui d’une capacité installée d’environ 65 mégawatts, soit l’équivalent de la consommation d’environ 55 000 habitants. Un volume significatif à l’échelle ultramarine, les territoires comptant en moyenne 300 000 habitants.

Symbole de cette réussite : le parc de la Perrière à Sainte-Suzanne. Cette installation combine un parc photovoltaïque, des éoliennes de nouvelle génération et un système de stockage par batteries SAFT. Ces batteries permettent de pallier l’intermittence du vent et du soleil, garantissant une fourniture d’électricité continue sur le réseau, y compris la nuit. Résultat : la production d’électricité décarbonée couvre désormais 35 000 habitants grâce à 9 éoliennes, faisant de Sainte-Suzanne une commune à énergie positive.

Parc éolien à La Réunion

Café Cholet et centrale solaire de Beaugendre en Guadeloupe

En Guadeloupe, TotalEnergies accompagne des projets mêlant transition énergétique et développement local. Aux côtés de la famille Cholet, torréfacteurs depuis 1860, l’entreprise contribue à la relance d’une variété de café endémique disparue. Des panneaux photovoltaïques surélevés protègent les plants et produisent une électricité d’origine renouvelable générant des revenus pour les jeunes agriculteurs durant les années de maturation.

Dans la commune de Vieux-Habitants, la centrale solaire de Beaugendre associe cette fois-ci production d’électricité photovoltaïque et soutien à l’économie locale en revalorisant une ancienne carrière. Elle couvrira les besoins annuels en électricité de plus de 2 400 habitants tout en réduisant chaque année de 2 600 tonnes les émissions de CO₂. Sa mise en service est prévue fin 2026.

 Centrale solaire de Beaugendre en Guadeloupe

Le retrait du projet Maya en Guyane

Le projet Maya en Guyane était conçu comme l’un des plus ambitieux en France, il devait produire 20 mégawatts-crête grâce à 160 mégawatts de panneaux photovoltaïques et 300 mégawatts de batteries, alimentant ainsi le réseau guyanais en continu. L’investissement total était estimé à 200 millions d’euros, dont 100 millions injectés localement. Le chantier promettait un impact direct sur l’emploi : 100 postes temporaires pendant la construction et 40 emplois pérennes, tout en générant des retombées pour les entreprises locales. Cependant, malgré son potentiel, le manque de consensus local a freiné cette initiative, au point de voir le projet abandonné.

Photovoltaïque, éolien, hydraulique : l’efficacité du mix énergétique

Pragmatique, Patrick Cazaban propose une vision gradualiste : « Il n’y aura pas de grand soir.  La transition énergétique ne repose pas sur une seule solution technologique : il n’existe pas de substitut unique aux hydrocarbures. Cependant l’électricité est clé pour les territoires ultramarins car elle est la seule énergie pouvant être produite localement et de manière décarbonée. C’est la combinaison de plusieurs technologies qui permettra, progressivement, de produire une énergie plus durable et de réduire la dépendance aux importations. » 

Le coût est également un facteur clé : « Aujourd’hui, les ressources naturelles exceptionnelles des territoires ultramarins font que l’éolien et le photovoltaïque peuvent être moins chers pour la production d’électricité que les énergies fossiles : il est essentiel d’accélérer », souligne-t-il.

Planification et formation : les deux leviers de la transition énergétique

La dynamique politique est essentielle pour initier et soutenir la transition énergétique : « À partir du moment où il y a la volonté politique, les entreprises associées au secteur des renouvelables sont capables de trouver les financements nécessaires et de répondre aux besoins du territoire », souligne Patrick Cazaban. Pourtant des obstacles subsistent notamment l’absence de stratégie nationale et le retard pris dans la publication du décret de la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), attendue depuis des mois par les filières : « Les territoires doivent aller au-delà du soutien à de petites initiatives locales et construire une vision de long terme pour soutenir dans la durée le passage vers un système énergétique plus durable. Les entreprises auront ainsi la visibilité dont elles ont besoin pour investir efficacement. Une bonne planification est indispensable ».

Autre élément clé : la formation. Les technologies de production d’électricité renouvelable ne se déploient pas seules : elles impliquent des professionnels formés capables de les maîtriser au quotidien. « Nous pensons que la formation constitue un pilier essentiel de la transition énergétique. La Fondation TotalEnergies soutient d’ailleurs la création de la première École de Production d’Outre-mer. Elle sera inaugurée cette année en Guadeloupe et préparera efficacement à deux diplômes dans les métiers de l’électricité qui seront reconnus par l’Éducation Nationale et les entreprises » partage Patrick Cazaban. Ce réseau créé par la Fédération Nationale des Ecoles de Production compte environ 80 établissements qui proposent à des jeunes de 15 à 18 ans des formations professionnelles qualifiantes, basées sur une pédagogie du « faire pour apprendre ».