Dans les territoires ultramarins, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) agit souvent loin des projecteurs, mais son empreinte est tangible dans le quotidien des ultramarins. Créée en 2020, cette agence publique a pour mission de soutenir la cohésion et l’équité entre les territoires. L’ANCT dont les préfets sont les délégués territoriaux, combine soutien à des programmes nationaux territorialisés et appui à l’ingénierie des collectivités pour l’élaboration et la mise en œuvre de leurs projets. Dans les outre-mer, identifiés par la loi comme des territoires prioritaires, son action prend une dimension particulière : répondre à des défis structurels où se mêlent contraintes géographiques, fragilités socio-économiques et besoins criants en ingénierie locale. Pour Outremers 360, Éric Lenoir, chef de projet Outre-mer à l’ANCT, de retour d’une récente mission en Guyane, revient sur les projets emblématiques menés par l’agence dans les territoires ultramarins et sur l’importance de développer un véritable réflexe Outre-mer dans l’action publique.
La singularité dans la pluralité
Parler des outre-mer, c’est évoquer un ensemble d’une richesse exceptionnelle mais également « des fragilités réelles », comme le rappelle Eric Lenoir. Chaque territoire compose avec ses propres rythmes, ses urgences et ses trajectoires. Entre la densité urbaine et le vieillissement accéléré des Antilles, l’immensité forestière de la Guyane ou le bouillonnement démographique de Mayotte, les besoins diffèrent et parfois radicalement.
La pluralité n’est pas un détail, mais la condition même de l’efficacité. Tout l’enjeu pour l’ANCT est d’« adapter nos interventions à des territoires à la fois singuliers et pluriels, pour mieux répondre à leurs spécificités. », précise-t-il.
La politique de la ville et ruralité
Dans les outre-mer, la politique de la ville occupe une place centrale. « La proportion de la population relevant de la géographie prioritaire est bien supérieure à la moyenne nationale », souligne Eric Lenoir. En Guyane, près de la moitié de la population vit dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV).
Autre dispositif clé, les Cités éducatives jouent un rôle majeur. Elles visent à soutenir la réussite éducative dans des territoires confrontés à de fortes inégalités. En Guyane, notamment à Saint-Laurent-du-Maroni et Cayenne, elles sont « parmi les plus importantes de France en termes de moyens financiers et humains ».
L’ANCT poursuit également le déploiement de l’accessibilité aux services publics avec « 130 France services » outre-mer, dont plusieurs itinérantes.
Revitalisation et développement : les programmes adaptés aux outre-mer
Dans les territoires ultramarins, l’ANCT s’efforce, lorsque cela est possible, d’adapter les grands programmes nationaux pour répondre aux spécificités locales et aux besoins des communes, qu’elles soient urbaines ou isolées.
Ainsi, le programme Action cœur de ville concerne seize communes ultramarines, dont Cayenne et Saint-Laurent-du-Maroni, avec un objectif de revitalisation des centres urbains.
À une échelle plus locale, Petites villes de demain accompagne 35 communes d’outre-mer dans leurs projets de développement. « Si on cumule Petites villes de demain et Action cœur de ville, cela représente déjà 51 communes sur 129 », précise Eric Lenoir, soulignant ainsi l’ampleur de l’intervention.
Dernier venu, le programme Villages d’avenir, issu du Plan France ruralités (juin 2023). Il s’adresse aux communes les plus petites, souvent isolées. « Une dérogation aux critères de population a été prévue pour les outre-mer, afin de tenir compte des écarts sur les fleuves et des populations disséminées, notamment en Guyane », explique-t-il.
Réinventer le service public en outre-mer : l’esprit du « aller vers »
Face aux défis géographiques, sociaux et économiques, les territoires ultramarins ne se contentent pas de résister : ils innovent. Grâce à l’accompagnement de l’ANCT, des projets locaux réinventent l’accès aux services publics, à l’inclusion et à la production, rapprochant concrètement le service public de ceux qui en sont le plus éloignés.
La « Pirogue France services » en Guyane
Dans les communes isolées le long du fleuve Oyapock, où aucune route ne relie les villages, le service public voyage désormais… en pirogue. Une fois par mois, une équipe France services pilotée par la sous-préfecture de Saint-Georges parcourt le fleuve pour offrir, sur place, un accompagnement administratif et social : délivrance de documents, démarches CAF, conseils santé ou emploi.


France Services pour sourds et malentendants à La Réunion
À La Réunion, à Saint-Louis, une autre innovation redéfinit la proximité. Une maison France services dédiée aux personnes sourdes et malentendantes accueille le public dans un espace où tous les agents maîtrisent la langue des signes.
Cette structure pionnière, portée par l’association AURA Médiation, accompagnée par l’ANCT, lève la double barrière linguistique et sociale qui tenait éloigné un public souvent invisible des services publics.

L’intelligence territoriale en action : deux projets guyanais emblématiques
En Guyane, l’ANCT soutient des initiatives qui, d’une part, combinent culture, éducation populaire, inclusion et numérique et d’autre part visent à la protection et restauration des eco-systèmes. Deux projets emblématiques illustrent cette dynamique : le Tiers lieu 32 bis et Solicaz.
Porté par une association locale et appuyé par l’ANCT, le tiers-lieu guyanais 32bis offre un espace de rencontre, de formation et de création à des publics en fragilité éloignés du numérique, notamment des femmes et des demandeurs d’asile.
Ici, la culture devient un levier d’émancipation : poésie, arts plastiques, ateliers numériques et dialogue interculturel s’y mêlent pour reconstruire des parcours de vie.

Autre réussite : celle d’une de la première start up écologique guyanaise créée par une jeune entrepreneure venue de l’Hexagone. Solicaz est spécialisée dans le diagnostic et la restauration du capital naturel des sols notamment agricoles dégradés.
Avec le soutien du fonds vert dans le cadre du programme Territoires d’industrie, Solicaz va pouvoir concrétiser son unité de production de biostimulants.
Le numérique, un enjeu structurant
Troisième grande famille d’intervention pour l’ANCT, le numérique à travers les programmes « France Très Haut Débit » et « France Mobile » pour finaliser la couverture fixe et mobile des territoires. Les écarts restent importants d’un territoire ultramarin à l’autre. « La Réunion est l’un des territoires les mieux couverts de France », tandis qu’en Guyane, les efforts se concentrent sur « la finalisation prochaine du déploiement de la fibre sur le littoral, la couverture satellitaire de l’intérieur et la couverture mobile des 2 routes nationales » précise Éric Lenoir. En parallèle, une attention forte est portée à l’accompagnement aux usages du numérique dans des territoires où l’illettrisme élevé nourrit l’illectronisme. Avec notamment la finalisation en cours de la Feuille de route France ensemble pour la Guyane.
Une attention transversale au soutien à l’ingénierie
Qu’il s’agisse des programmes qu’elle pilote ou de projets sur mesure, l’ANCT apporte un soutien en ingénierie aux collectivités, en articulation et complémentarité des opérateurs publics de l’ingénierie. Pour les outre-mer, ces prestations sont prises en charge de façon majorée (80% du coût). Depuis 2021, plus de 75 accompagnements ont été mis en œuvre au titre de son marché d’ingénierie, dont plusieurs au bénéfice des communes concernées par le programme Villages d’avenir.
Adopter le réflexe outre-mer
Avec un réseau, piloté par la Direction générale des outre-mer, d’environ 80 référents Outre-mer présents au sein des différentes directions et agences de l’État, l’ANCT participe à l’émergence d’un véritable « réflexe Outre-mer » dans les politiques publiques. « L’objectif, c’est que chaque service de l’État intègre pleinement les spécificités ultramarines dans la mise en œuvre de ses actions », souligne Éric Lenoir.
Fortement exposés aux défis démographiques et aux effets du changement climatique, les Outre-mer se distinguent aussi par leur capacité d’innovation. Souvent en avance, ces territoires développent des solutions originales qui, face à des risques spécifiques, deviennent autant de sources d’inspiration pour l’Hexagone. Leur créativité locale est, plus que jamais, une ressource précieuse
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