Interdit à deux reprises d'embarquer pour l'Hexagone, Dylan Chainon, étudiant guyanais, est bloqué depuis Noël à Cayenne. Il a fait les frais du "100% contrôle", un dispositif de filtrage systématique à l'aéroport censé enrayer le trafic de cocaïne depuis le territoire français d'Amérique du Sud.
En place depuis octobre 2022, le "100% contrôle" permet à la police, sur la base d'un faisceau d'indices, d'interdire l'embarquement à un passager soupçonné de transporter de la drogue. Un arrêté administratif suffit.
C'est ainsi que Dylan, 20 ans, a vu ses projets basculer. À deux reprises, alors qu'il voulait regagner l'Hexagone, il a fait l'objet d'un arrêté de cinq jours lui interdisant d'embarquer depuis l'aéroport Félix-Éboué, unique porte de sortie vers l'Europe depuis la Guyane. "La première fois, la compagnie m'a fait payer 30 euros pour modifier le billet. La deuxième, j'ai trop tardé et il a fallu racheter le billet", déplore-t-il. Étudiant à Toulouse, il était venu passer les fêtes de fin d'année en Guyane. Faute de moyens pour racheter un billet, il est hébergé chez des proches à Cayenne.
Sur le papier, le "100% contrôle" affiche de bons résultats. Les saisies ont baissé drastiquement, passant de 982 kg de cocaïne en 2022 à 571 kg en 2023, les derniers chiffres connus.
Quant aux interdictions d'embarquement, elles sont passées d'environ 9.000 arrêtés en 2023 à "grosso modo 4.500" en 2024, selon le sous-préfet Jérôme Millet, directeur de cabinet et directeur général de la sécurité auprès du préfet de Guyane. "On pense que les voyageurs qui seraient tentés de prendre l'avion avec des stupéfiants sont dissuadés", affirme-t-il pour expliquer ces chiffres.
Délits de faciès ?
Mais si le trafic a diminué au départ de Cayenne, il semble s'être déplacé vers les Antilles françaises, où les saisies sont en hausse. Mi-mars, plus de 200 kilos de cocaïne avaient été saisis à Roissy dans 12 valises en provenance de Martinique.
Début mars, Serge Letchimy, président de la Collectivité territoriale de Martinique (CTM), a demandé au ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau "un dispositif 100% contrôle, comme en Guyane", au port et à l'aéroport de Fort-de-France.
Pourtant, en Guyane, le dispositif est loin de faire consensus. Ces dernières semaines, des associations et certains élus ont dénoncé de supposés délits de faciès, accusant la police guyanaise d'empêcher arbitrairement certains passagers d'embarquer.
Depuis la mise en place du "100% Contrôle", seuls 36 recours ont été déposés, répond Jérôme Millet. La plupart ont été rejetés. "Au regard du très faible nombre de recours et des résultats des décisions administratives, je ne suis pas sûr que le désaccord avec le dispositif soit si profond", estime-t-il.
Mais pour Me Christine Charlot, bâtonnière de l'Ordre des avocats de Guyane, cette faible contestation ne signifie pas adhésion. «La priorité [des voyageurs], c'est de pouvoir embarquer, pas de faire un recours », avance-t-elle. Selon elle, les voyageurs se sont "habitués" au système plus qu'ils ne l'acceptent réellement.
Les arrêtés d'interdiction d'embarquement mentionnent pourtant les voies de recours et Me Charlot dit avoir reçu plusieurs Guyanais ayant fait l'objet d'un arrêté, mais qui n'ont pas entamé de procédure.
Si elle ne nie pas l'efficacité du dispositif, elle alerte sur un risque d'arbitraire. "Il y a des profils qui se dégagent, qui sont plus contrôlés que d'autres", estime-t-elle.
Jérôme Millet rejette tout soupçon de profilage racial. Il assure que "la police nationale réfléchit à des systèmes de contrôle automatisé pour contrecarrer cette accusation infondée".
En attendant, Dylan Chainon est toujours à Cayenne, loin des amphis de Toulouse. "Je révise dans mon coin", confie-t-il, résigné et conscient que son année universitaire est compromise.
Avec AFP et Radio Peyi