Le jeudi 20 janvier 2022, le Comité économique et social européen (CESE) a adopté un avis intitulé : Les atouts des régions ultrapériphériques (RUP) pour l'Union européenne (UE). Le travail présenté par la section « Union économique et monétaire et cohésion économique et sociale » a été plébiscité en plénière avec 217 votes pour, 3 votes contres et 6 abstentions.
Joël Destom, rapporteur de cet avis, le résume en une phrase : « Le CESE aspire à ce que les régions ultrapériphériques soient accompagnées pour devenir des modèles de transformation, pour vivre les transitions à venir sans prendre de retard supplémentaire ! ». L’expertise du rapporteur sur cet avis permet, entre autres, d’en savoir plus sur sa préparation et sur le regard de la société civile européenne pour l’avenir des régions ultrapériphériques.
L’organisation des réflexions au sein du comité
Les membres du CESE sont répartis en trois groupes. Le premier, dénommé « Groupe Employeurs » est composé des entrepreneurs et représentants d’associations d’entrepreneurs qui exercent leurs activités dans l’industrie, le commerce, les services et l’agriculture. Le deuxième, dénommé « Groupe Travailleurs » est composé de représentants des organisations syndicales, confédérations et fédérations sectorielles nationales. Le troisième, dénommé « Groupe Diversité Europe » est composé de représentants des secteurs de l’artisanat, de l’économie sociale, des consommateurs, des familles, des bénévoles, des jeunes, des groupes minoritaires et défavorisés, des personnes handicapées, des professions libérales et des communautés scientifiques.
En poursuivant un dialogue et un consensus entre les trois groupes, le Comité veille à ce que ses avis reflètent les intérêts économiques et sociaux des citoyens. S’agissant des régions ultrapériphériques, il a choisi de confier l’initiative de la réflexion et la rédaction de l’avis à Joël DESTOM, membre français du groupe « Diversité Europe ». Le groupe d’étude était composé comme suit :
- Florian Marin, membre du groupe « Travailleurs », Président de la Fédération des syndicats libres de Roumanie ;
- Gonçalo Lobo Xavier, membre du groupe « Employeur », Directeur général de l’association portugaise des entreprises de distribution ;
- María del Carmen Barrera Chamorro, membre du groupe « Travailleurs », Secrétaire confédéral de l’Union générale espagnole des travailleurs ;
- Jean-Michel Pottier, membre du groupe « Employeur », Représentant de la Confédération des Petites et Moyennes Entreprises de France ;
- Ricardo Serra Arias, membre du groupe « Diversité Europe », Président de l'Association des jeunes agriculteurs de Séville et d'Andalousie ;
- Carlos Manuel Simôes Da Silva, membre du groupe « Employeur », Secrétaire général de l'Union générale portugaise des travailleurs ;
- Juraj Sikpo, membre du groupe « Diversité Europe », Directeur de l'Institut de recherche économique et de l’académie des sciences slovaque ;
- Jože Smole, membre du groupe « Employeur », Secrétaire général de l’association des employeurs de Slovénie ;
Le groupe d’étude a choisi de recourir à l’expertise de Maryse Coppet, originaire des Antilles. Cette avocate au barreau de Bruxelles et lobbyiste auprès de l’Union Européenne est diplômée en droit européen (Londres), en droit privé (Lille et Bruxelles) et en commerce (Solvay).
Les principaux apports de l’avis du Comité
Un contexte révélateur des priorités alimentaires et énergétiques dans les RUP
Les RUP sont considérées comme des régions vulnérables sur le plan économique. La pandémie de COVID-19 a renforcé les niveaux de prise de conscience concernant les éventuelles conséquences d’une préparation insuffisante aux chocs traduisant des situations exceptionnelles (crises économique, environnementale, sociale, sanitaire, ...). Le CESE considère qu’il n’existera jamais aucun vaccin permettant de prémunir les populations des effets d’une forme de fragilité alimentaire et énergétique.
Le Comité demande à la Commission européenne de prendre en compte la spécificité des RUP dans le calendrier de travail relatif à la stratégie « De la ferme à la table » et de s’assurer que les programmes nationaux du Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité (POSEI) respectent l’objectif central de promotion d’une agriculture durable. Les RUP disposent des atouts indispensables pour incarner une transition porteuse d’activité économique et de cohésion sociale. Il y existe un ancrage culturel fort au service d’une relation à la nature qui serait favorable à l’émergence d’écosystèmes privilégiant une production alimentaire saine et durable.
Le Comité demande également à la Commission de s’assurer de la mise en œuvre de la directive énergie et d'accélérer la livraison dans les RUP de projets européens visant à identifier des sources d'énergie produites localement, durables, abordables. L’accès aisé aux énergies renouvelables les plus courantes (hydraulique, biomasse, éolienne, thermique, géothermique, photovoltaïque) ouvre le champ des possibles. La transition énergétique n’est pas seulement une question de technologie. Elle représente un enjeu social majeur auquel il est indispensable d’associer la société civile. Les RUP peuvent devenir des régions pionnières pour rendre l’Union européenne plus résiliente.
Le CESE a formulé d’autres recommandations sur ces priorités. Il a trouvé de l’intérêt à considérer les retours d’expérience de Maryse COPPET sur le projet européen INSULAE, dans le cadre du programme H2020, sur le projet Marie-Galante Île Durable.
Des lignes de fractures et d’inégalités amplifiées
Les RUP sont traversées par des inégalités persistantes. Le renforcement de la cohésion économique, sociale et territoriale est l’un des principaux objectifs de l’UE. Un budget significatif est consacré à la réduction des écarts, et les RUP en sont largement bénéficiaires. Le CESE considère que la pandémie COVID-19 impacte les efforts engagés pour réduire ces inégalités. La conférence des Présidents des RUP du 19 novembre 2021 s’est d’ailleurs prononcée sur ces conséquences.
Dès lors, le CESE demande à la Commission de mettre en place un pacte sur la compétence dans les RUP comme elle l’a fait pour plusieurs écosystèmes industriels. La transition écologique des RUP ne peut réussir que si ces régions disposent de ressources qualifiées pour rester compétitives. Avec la stratégie européenne en matière de compétences en faveur de la compétitivité durable, de l’équité sociale et de la résilience, la Commission met en œuvre des actions phares visant à doter les citoyens des compétences adéquates que requiert la transition écologique et numérique. Les RUP doivent être pleinement intégrées à ces actions phares de la Commission avec la mise en place d’un programme spécifique de travail portant sur la reconversion professionnelle et le renforcement des compétences dans tous les écosystèmes.
Le CESE demande également à la Commission d'intensifier les efforts visant à garantir l'accès au numérique. Dans les RUP, et plus qu'ailleurs, l'incapacité à assurer un accès généralisé et fiable au numérique et l'utilisation efficace des ressources associées aggrave les inégalités. Les fractures numériques préexistantes se sont creusées et la pandémie a exacerbé certaines disparités, laissant certaines personnes de côté alors que la numérisation accélère. L'emploi, l'éducation, la santé et les services publics deviendront certainement de plus en plus dépendants des technologies numériques.
Le CESE a formulé d’autres recommandations sur la réduction des inégalités. Maryse Coppet a présenté plusieurs applications concrètes inspirées par ses travaux comme ambassadrice du Pacte Climatique et experte du Plan de relance de l’Union européenne 2021 : « Erasmus Plus », la coalition « Éducation pour le climat ». Son initiative de création du premier fournisseur d’accès Internet haut débit, par satellite du bassin caribéen et de la Guyane a été utile à la projection.
L’impérieuse nécessité de renforcer l’implication de la société civile ultramarine
Le déploiement des plans de relance dans les RUP doit permettre d’expérimenter de nouvelles pratiques pour le suivi des affectations, des fonds et des ressources. Selon le CESE, les partenariats noués peuvent être assortis de l’obligation de créer des comités de suivi. Ils pourraient représenter un large éventail des parties prenantes, issues des organisations de la société civile. Les atouts des RUP (et les difficultés que l’actualité de certains territoires met en relief) appellent un large consensus entre les partis politiques, les acteurs sociaux, les entrepreneurs, les syndicats et la société civile, en vue de garantir la plus grande réussite possible de ces régions.
Le Comité pense qu’aucune transition ne sera possible si les communautés locales ne sont pas pleinement engagées dans ces changements, car le développement des RUP repose sur des écosystèmes exceptionnels, mais fragiles. Les RUP doivent anticiper la transformation globale de leurs économies pour répondre aux exigences futures et le faire en portant la plus grande attention à l’impact social de ces transitions.
Aussi, il demande à la Commission de repenser son mode de consultations publiques, afin que tout citoyen ou toute entreprise puisse y répondre de façon très simple. L’association de la société civile à l’élaboration des programmes européens doit devenir une réalité.
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Le degré réel de participation des citoyens ultramarins dans les phases de mise en œuvre et d’évaluation des plans pour la reprise et la résilience doit être renforcé. Le Comité propose de mettre en place un point de contact de la Commission européenne, accessible directement par la société civile.
La Guyane, la Guadeloupe, La Réunion, Mayotte, la Martinique et Saint-Martin (France), les Açores et Madère (Portugal) et les îles Canaries (Espagne) représentent l’Europe dans le monde, offrent à l'Europe un espace maritime inégalé et de multiples atouts géostratégiques. La contribution du Comité économique et social européen autorise à imaginer une façon originale d'interpréter les relations avec l’ultra-périphérie. Une démarche qui doit s’éloigner du dogmatisme et de la théorie en impliquant activement toutes les parties prenantes de la société civile. Cette façon de penser revient à mettre la périphérie au centre.
Joël Destom, rapporteur de l'avis sur les atouts des régions ultra-périphériques.