État d’urgence sanitaire aux Antilles : Des tensions et une sortie de crise incertaine, selon la Commission des lois de l’Assemblée nationale

Vue de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe ©G. Clément/AFD

État d’urgence sanitaire aux Antilles : Des tensions et une sortie de crise incertaine, selon la Commission des lois de l’Assemblée nationale

Suite à une mission effectuée en Guadeloupe et en Martinique, la Commission des lois de l’Assemblée nationale vient de publier un rapport sur le bilan et la gestion de l’état d’urgence sanitaire aux Antilles. Celui-ci constate que ces territoires ont dû faire face à une vague épidémique sans précédent, et que la crise a révélé et exacerbé les tensions qui les traversent. La délégation de la commission était conduite par sa présidente Yaël Braun-Pivet (LaREM), accompagnée de deux vice-présidents, Philippe Gosselin (LR) et Stéphane Mazars (LaREM).

Les causes de l’ampleur de la quatrième vague aux Antilles sont clairement établies, selon la Commission des lois : la virulence et la contagiosité du variant Delta, une prévalence de comorbidités au sein de la population (diabète, obésité et affections de longue durée) et un faible taux de vaccination (20 % de taux de schéma vaccinal complet à cette période). Ainsi, « la Guadeloupe et la Martinique ont subi en l’espace d’un mois ce que l’Hexagone a connu en quatre vagues étalées sur dix-huit mois. En Martinique, qui compte 375 000 habitants, 516 décès ont été enregistrés depuis le 5 juillet, contre 90 sur les trois premières vagues. Au 26 septembre, 505 personnes étaient décédées en Guadeloupe (près de 400.000 habitants) depuis le début de la quatrième vague. La tragédie qu’elle a causée s’est trouvée décuplée dans des îles à la fois faiblement et densément peuplées. »

Le rapport salue la mobilisation exceptionnelle des autorités de santé pour faire face : appel à la réserve sanitaire et à la solidarité nationale des soignants de l’Hexagone, envoi de matériels par avion-cargo, opérations d’évacuation sanitaire… Toutefois, « l’addition progressive de ces efforts n’a malheureusement pas empêché une phase de saturation des capacités des services de réanimation, nécessitant une priorisation de leur accès », notent les parlementaires. En outre, « le traumatisme subi par les familles a été considérable, tout comme celui des médecins rencontrés par la mission dont certains demeurent « hantés » par le cauchemar « abominable » qu’ils ont vécu ».

« Le souci majeur concerne la vaccination »

La mission évoque la menace principale qui pèse sur l’éventualité d’une sortie durable de la crise. « Le souci majeur concerne la vaccination qui est à ce jour trop faible pour contrer l’éventuelle arrivée d’une nouvelle vague de Covid-19 », écrit-elle clairement. En Martinique, le taux de première injection chez la population de plus de douze ans était de 37,6% au 28 septembre (33,1% pour le schéma complet). Pour la Guadeloupe, le taux de couverture vaccinale de la population éligible en première dose venait de franchir, à la date de la visite de la délégation fin septembre, le seuil de 40%. Dans ces conditions, poursuivent les députés, « tous les acteurs auditionnés par la mission ont prédit l’arrivée certaine et prochaine d’une cinquième vague épidémique. La seule chance pour la Guadeloupe et la Martinique de l’éviter réside dans la vaccination, mais son déploiement est freiné par un contexte complexe que la crise sanitaire est venue exacerber. »

Le rapport souligne un bon niveau d’acceptation et de respect des mesures de l’état d’urgence sanitaire par les populations, mais que « la situation dans les deux îles demeure néanmoins tendue, voire violente, et se cristallise autour de la vaccination obligatoire ». Le climat est « préoccupant », s’inquiète la mission, avec des tensions amplifiées « par certains activistes dans le contexte de la crise sanitaire », surtout en Martinique. Dans ce territoire, alerte le document, « au 20 septembre 2021, 55% des podologues, 46% des sages-femmes, 45% des infirmiers, 32% des orthophonistes, 24% des kinésithérapeutes, 14% des médecins généralistes, 11% des dentistes et 10% des médecins spécialistes n’étaient pas vaccinés, soit 899 membres du corps médical sur 2 900 personnes ». Et la situation est encore plus critique dans les centres hospitaliers universitaires (CHU) des deux îles. 

Quelles solutions ?

La délégation a fait le constat d’une défiance généralisée vis-à-vis de l’action de l’État, ce qui appelle selon elle deux types d’initiatives. Premièrement, continuer de « répondre à la demande de concertation, de pédagogie et de patience qui s’exprime fortement, sur la vaccination comme sur d’autres sujets ». Deuxièmement, développer et soutenir « le mouvement visant à permettre une meilleure adaptation des politiques publiques aux spécificités des territoires, et notamment ultramarins », avec la mobilisation des crédits budgétaires afférents. En revanche, affirment les représentants de la Commission des lois, « il est important que les dispositifs qui ont vocation à lutter efficacement contre l’épidémie, telles que l’obligation vaccinale pour les soignants et le passe sanitaire, puissent s’appliquer pleinement en Outre-mer ».

Enfin, la mission préconise d’ « insuffler une vision de long-terme pour l’après-crise ». Si cette demande n’est pas nouvelle, admettent les parlementaires, « le nouveau contexte posé par la crise sanitaire qui a perduré dans la quasi-totalité des territoires (…) plaide néanmoins pour que les Outre-mer puissent le plus rapidement possible se projeter, aux côtés de l’État, vers un nouvel horizon. » « Il est essentiel que nos concitoyens d’Outre-mer et leurs problématiques soient considérés par l’ensemble des élus de la Nation. La Commission des lois n’aura de cesse d’œuvrer en faveur de cette marque d’intérêt et de respect », concluent-ils.

A noter qu’au Palais du Luxembourg, la Délégation sénatoriale aux Outre-mer participe de son côté aux travaux de la Mission commune d’information destinée à évaluer les effets des mesures prises ou envisagées en matière de confinement ou de restrictions d'activités, qui comprend des analyses spécifiques aux Outre-mer. La présentation du rapport est prévue à partir de la mi-novembre 2021.  

PM