« Au combat ! En avant ! » lance à la télévision le président vénézuélien Nicolas Maduro, montrant des images d'avions de chasse et de frégates militaires se déployer près du Guyana voisin, auquel il réclame l'autorité sur le territoire de l'Essequibo.
Cette démonstration de force entend répondre à l'arrivée vendredi dans les eaux de l'ex-colonie britannique d'un patrouilleur de la Royal Navy mais ne devrait pas déboucher sur un conflit armé, selon les experts, qui pointent un calendrier national pour Nicolas Maduro qui brigue sa réélection en 2024 et des tractations avec les États-Unis pour alléger le régime de sanctions pesant sur le Venezuela.
Le Venezuela a mobilisé 5682 combattants dans le cadre de ce déploiement de « défense » qui comprend des chasseurs F-16 et des Soukhoï, des navires de guerre, des patrouilleurs de haute mer, des bateaux lance-missiles et des véhicules amphibies. Nicolas Maduro considère l'arrivée du navire de guerre britannique HMS Trent dans les eaux territoriales guyaniennes, confirmée à l'AFP par le ministère des Affaires étrangères de l'ex-colonie britannique, comme une « provocation et une menace du Royaume-Uni contre la paix et la souveraineté » de son pays.
Manœuvres « injustifiées »
Londres a répondu que les manœuvres vénézuéliennes étaient « injustifiées et devaient cesser ». Le Guyana avait déjà tenté d'atténuer l'importance de la venue du patrouilleur, affirmant qu'il s'agit d'exercices de « routine » prévus de longue date, sans toutefois annuler les manœuvres militaires conjointes. Le Brésil a exprimé vendredi son « inquiétude » et appelé ses deux voisins à « éviter les démonstrations militaires ».
La présence du patrouilleur est « une imprudence qui oblige le Venezuela à répondre comme il l'a fait jusqu'à présent », analyse Rocio San Miguel, experte militaire, pourtant souvent critique du pouvoir vénézuélien. « L'escalade militaire dépend des mouvements de ce navire britannique dans des eaux qui n'ont pas encore été délimitées », estime-t-elle. Pour Gary Best, ancien chef d'état-major des forces de défense guyaniennes, au contraire « il n'y a rien d'inhabituel et ce n'est pas une menace pour la souveraineté du Venezuela ». « D'autres navires ont traversé la région dans le cadre du système de sécurité régionale », a-t-il déclaré à l'AFP, disant toutefois « comprendre que le Venezuela y voit une provocation ».
La tension entre Caracas et Georgetown est montée après le lancement en septembre d'appels d'offres pétroliers par le Guyana, puis le référendum organisé en réaction le 3 décembre au Venezuela sur un rattachement de l'Essequibo, territoire de 160 000 km² riche en pétrole et ressources naturelles, administré par Georgetown et revendiqué par le Venezuela. Quelque 125 000 personnes, soit un cinquième de la population du Guyana, vivent dans l'Essequibo, qui couvre les deux tiers de la superficie du pays. Le Venezuela soutient que le fleuve Essequibo doit être la frontière naturelle, comme en 1777 à l'époque de l'empire espagnol. Le Guyana argue que la frontière, datant de l'époque coloniale anglaise, a été entérinée en 1899 par une cour d'arbitrage à Paris. Ce que Londres défend également.
Une procédure de règlement est en cours devant la Cour internationale de justice (CIJ) mais le Venezuela ne reconnaît pas la plus haute juridiction de l'ONU. Le président Maduro et son homologue guyanien Irfaan Ali se sont engagés lors d'une rencontre le 14 décembre à ne pas utiliser la force, mais les deux pays ont campé sur leurs positions.
Un sujet de politique intérieure
Selon Gary Best, le coup d'éclat de Nicolas Maduro est aussi un sujet de politique intérieure, alors qu'il briguera un troisième mandat à la présidentielle de 2024 : « Il s'agit d'une démonstration de force, d'une grandiloquence pour entretenir le feu » face à l'opposition. Et ainsi occuper le terrain médiatique avec une cause mobilisatrice. Autre acteur important de ce bras de fer : les États-Unis, avec qui le Venezuela négocie ces dernières semaines pour tenter de lever définitivement les sanctions qui pèsent sur le pays possédant parmi les plus grandes réserves de pétrole au monde.
L'échange de prisonniers la semaine dernière montre que le dialogue est permanent. Cela venait après la levée temporaire des sanctions américaines pour six mois, à la suite d'un accord pouvoir-opposition sur la présence d'observateurs lors du scrutin de 2024, dont la date n'a pas encore été fixée. Les États-Unis sont le principal opérateur pétrolier au Guyana et étaient omniprésents avec Chevron au Venezuela.
Avec AFP