Énergies en Outre-mer : « Trouver le chemin de crête qui préserve le climat, la sécurité énergétique, l’emploi et le prix », Jean-François Carenco, président de la Commission de Régulation de l’Énergie

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Énergies en Outre-mer : « Trouver le chemin de crête qui préserve le climat, la sécurité énergétique, l’emploi et le prix », Jean-François Carenco, président de la Commission de Régulation de l’Énergie

Avec la guerre en Ukraine, la question de la fourniture en énergie s’est imposée au fil des semaines. Pénuries, augmentation des prix : en Outre-mer aussi, ces questions sont naturellement au cœur des préoccupations. Jean-François Carenco, président de la Commission de Régulation de l’Énergie, a répondu aux questions d’Outremers360. Il explique le rôle de la CRE, rappelle ce qui a été mis en place en Outre-mer pour faire face à la flambée des prix, et évoque plus généralement la question de la production énergétique en Outre-mer, une « somme de contradiction », obligeant à « trouver le chemin de crête qui préserve le climat, la sécurité énergétique, l’emploi et le prix ».

Quel est votre rôle, quelles sont les missions de cette commission ?

Notre rôle est de protéger le consommateur : sur les prix, la sécurité et la qualité des approvisionnements. Ça veut dire, protéger le consommateur individuel ou industriel, et le protéger à court, moyen et long terme. Pour le faire, nous avons un certain nombre de compétences réglementaires, obligatoires, législatives et nous avons un rôle de rassembleur, et d’influenceur, sur l’ensemble du système énergétique. Ce rôle légal et réglementaire, pour l’Outre-mer, il y a notamment la fixation des prix et le mix énergétique via la programmation pluriannuelle de l’énergie. 

On parle bien de tous les Outre-mer ou est-ce qu’il y une différence entre les statuts ?

Oui, il y a une différence selon les statuts. D’abord, on parle du gaz et de l’électricité, et je ne parle pas de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie, qui ont un statut particulier et ne sont pas la « France énergétique ». Ceci dit, nous avons un rôle particulier, spécifique puisque la CRE, par convention, joue un rôle de conseil auprès des gouvernements de Polynésie et Nouvelle-Calédonie. On essaye de les aider dans leurs compétences énergétiques.

Aujourd’hui, avec la guerre en Ukraine et avant déjà avec la crise sanitaire, la question énergétique est étroitement liée à celle du pouvoir d’achat. Quelles ont été les recommandations, les moyens mis en place pour protéger les consommateurs ? 

Il faut en premier lieu préciser quelque chose que les gens ne savent pas forcément. Il y a en Outre-mer, un premier sceau de la République française qui s’appelle la péréquation tarifaire. L’ensemble des Outre-mer français, hors Nouvelle-Calédonie et Polynésie, bénéficient désormais de la péréquation tarifaire. C’est-à-dire que lorsque vous êtes à Saül, en Guyane, au milieu de la forêt équatoriale, ou à Saint-Pierre et Miquelon, vous payez le même tarif que si vous habitez Paris, alors que le prix de production est supérieur en Outre-mer. C’est l’honneur de la République.

Quand je suis arrivé à la présidence de la CRE, trois territoires n’en bénéficiaient pas. Je me suis attaché, attelé à cette tâche pour que Wallis et Futuna, Saint-Barthélemy et Saint-Martin bénéficient de cette péréquation. Pour Saint-Martin, tout est prêt, il suffit que le nouveau président de la Collectivité territoriale acte le document. C’est d’abord cela l’Outre-mer français, c’est d’abord cela la CRE : s’assurer de cette péréquation partout. 

La centrale du Moule, alimentée en bagasse, qui fournit l'énergie de la sucrière Gardel (Albioma)

Concernant la crise, il y a eu une envolée des prix sur l’électricité d’abord. La CRE a milité, avec d’autres élus, pour que le gouvernement décide de bloquer les prix à 2% en 2021, puis 4% en 2022. Tous ceux qui vous diront qu’il y a une envolée des prix pour les consommateurs sont des menteurs. C’est 4% pour tout le monde, y compris les Outre-mer car la CRE a milité pour cette mesure soit aussi appliquée en Outre-mer. S’agissant du gaz, c’est un peu plus compliqué, car on l’importe partout. Mais là aussi, à notre demande, le gouvernement a, jusqu’à fin 2022, bloqué le prix du gaz. C’est fondamental. Imaginez que le prix de l’électricité ne soit pas péréqué. La Grèce a, par exemple, pris 60% d’un coup.

Il y a aussi la crise écologique, la CRE réfléchit, avec les Collectivités, sur quel mix énergétique aller pour faire face à cette crise.

Justement sur ce mix énergétique, le développement des énergies renouvelables produites localement serait une bonne solution pour que les Outre-mer, dépendants du fioul, puissent faire face à ce genre de crise à l’avenir ? 

La situation des Outre-mer français par rapport au fioul est vraie sur l’ensemble des îles mondiales. Nous avons par exemple demandé une étude sur ce qui se passe dans les ZNI, les Zone non-interconnectées comme les îles Salomon, Hawaii, les îles du Danemark, d’Italie... Partout, la dominante, c’est « trop sale ». Le changement est donc évident et les Outre-mer ont la chance que le changement ne leur coûte rien : la CRE met en place ce qu’on appelle la CSPE (la Contribution sur le Service public de l’Énergie) qui absorbe tout cela. 

Il faut se demander vers quoi nous allons ? Il y a plusieurs pistes pour changer. D’abord, aller vers le décarbonné, ensuite, aller vers une certaine indépendance ou autonomie énergétique. Troisièmement, il y a une chose qu’il ne faut pas oublier dans les Outre-mer, c’est l’emploi. Ce sont donc des équilibres qu’il faut trouver.

Je prends l’exemple de la Guadeloupe, ou les usines fonctionnent avec des mécaniques de production différentes notamment la biomasse-bagasse-CSR et le bio-liquide. Un des enjeux est aussi la préservation de l’emploi. Si on met du solaire partout, il y a deux inconvénients : en premier lieu, il n’y a pas d’emplois dans le solaire et en deuxième lieu, c’est intermittent. Il n’y a pas la base qui assure la stabilité et la sécurité. Pour faire 20 MW de solaire en Guyane sécurisés et à 100% garantie, il faut 200 MW de production, et du foncier.

Ce contre quoi je me bats, c’est la simplicité des choses. Les choses, les objectifs sont faciles à énoncer, mais le chemin est une somme de contradictions et la CRE est là pour discuter avec chacun pour essayer dans ce monde de contradiction, de trouver le chemin de crête qui préserve le climat, la sécurité énergétique, l’emploi et le prix. Nous naviguons en permanence entre ces quatre prérequis, et le modèle énergétique idéal n’existe pas. 

On évoque beaucoup la maîtrise de l’énergie, et notamment de la consommation, pour faire face à l’augmentation des prix. Que peut-on faire en Outre-mer à ce sujet ? Comment maîtriser l’énergie en Outre-mer ?

Dans tous les territoires, la CRE a imposé et apporté un financement à hauteur de 500 millions sur une période sur cinq ans pour que nous puissions définir des mesures qui font que la consommation baisse, au sein de comités de Maîtrise de l’Énergie (MDE) qui réunissent les réseaux EDF, les élus, l'État, et des associations. Un exemple simple est de bouger les taux de l'octroi de mer sur les produits qui consomme trop d'énergie d'avoir un octroi de mer plus fort sur les ampoules d'hier que sur les LED. L’autre exemple, c’est le développement des véhicules électriques, un vrai sujet en Outre-mer où on ne peut pas les développer avec de l'intermittent, il vous faudra une petite base du stockage. Le stockage étant compliqué en Outre-mer. Donc partout, nous avons mis en place des comités MDE qui proposent aux élus, à la population des moyens de réduire un petit peu leur consommation d'énergie. 

Vous parliez des sommes de contradiction, est-ce qu'il y a un exemple, un territoire qui arrive bien à les intégrer dans son mix énergétique ? 

Tous les territoires sont des exemples où on avance à des vitesses différentes parce qu'on ne parle pas de la même solution partout. Il y a vraisemblablement une île en Polynésie où on produit de l’énergie avec de l'huile de coco et un peu de solaire. C'est bien, ce n’est pas reproductible partout. 

Il y a un sujet qu'il faut avoir en tête : il nous faut maintenant faire ce qu'on appelle la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), avec l'État, les élus, le gestionnaire du réseau, c’est-à-dire, le garant de l'équilibre, celui qui fait qu'à chaque instant, la demande d'électricité est égale à la fourniture d'électricité. Mon souci, c'est que pour des raisons diverses et variées, selon les territoires, les élections et la politique locale, on est en retard. Mais il faut que chacun s’y mette et qu’on fasse ensemble une programmation pluriannuelle de l'énergie.

Il y a un autre sujet, ce sont les écarts. Il y a des endroits où il n'y a rien. Vous avez des populations qui sont Françaises, comme vous et moi, mais qui n’ont pas accès à l’énergie. Je pense à des tribus en Guyane ou des îlots éloignés de Polynésie. L’objectif, c’est d’amener l'électricité dans chaque tribu, dans chaque îlot, et si possible une électricité décarbonée. C'est ça notre objectif, et c’est ce qu’amène la République en Outre-mer. La CRE n’étant qu'un élément du système.