Alors que le mois de novembre, traditionnellement dédié à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), vient de s’achever, l’heure est au bilan. Dans les Outre-mer, les Chambres Régionales de l’Économie Sociale et Solidaire (CRESS) se positionnent désormais comme des acteurs incontournables de la transition sociale et écologique. Dix ans après le vote de la loi relative à l’ESS, les faits sont là : les Outre-mer sont des terreaux fertiles pour le développement d’économies alternatives. Mieux encore, de nouvelles coopérations se mettent en place à travers les territoires, sous le signe du développement économique, social et solidaire. Pour Djémilah Hassani, co-déléguée à l’Europe et à l’International pour ESS France Outre-mer, 2025 sera une année de consolidation et de déploiement pour les territoires ultramarins.
Avec plus de 200 événements organisés dans les Outre-mer à l’occasion de cette nouvelle édition du Mois de l’ESS, 2024 marquera un tournant pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Au fil des années, l’ESS s’est imposée et est devenue un levier majeur pour répondre aux défis économiques et sociaux de ces territoires.
À Mayotte, par exemple, les initiatives ont pris de l’ampleur avec plus de 90 événements, réunissant associations, entreprises et institutions publiques autour de projets variés. « Nous avons vu des initiatives locales se transformer en solutions viables et inspirantes, que ce soit dans l’agriculture, le tourisme ou encore l’insertion sociale », indique Djémilah Hassani, co-déléguée à l’Europe et à l’International ESS France Outre-mer. « Et c’est cela qui est important : imaginer des modèles économiquement pérennes, mais qui permettent aussi d’avoir un impact positif sur les autres et sur la planète ».
Car oui, derrière la loi sur l’Économie Sociale et Solidaire de 2014 se cache une réponse au modèle économique capitaliste financier mondialisé. Il s’agit de promouvoir un modèle d’entrepreneuriat centré sur l’humain, qui s’interroge sur la finalité et les moyens de la production. À Mayotte, cette année, un des moments marquants aura été la conférence régionale organisée sur l’île, en présence de la ministre chargée de l’ESS, Marie-Agnès Poussier-Winsback. « La venue de la ministre à Mayotte montre que les Outre-mer ne sont pas seulement des bénéficiaires de l’ESS, mais des contributeurs actifs à sa réussite. Cette reconnaissance est essentielle pour continuer à mobiliser les énergies locales », a expliqué Djémilah Hassani.
Dans cette même dynamique, la Polynésie française a organisé sa première Semaine de l’ESS. Bien que ce territoire ne soit pas encore pleinement intégré au réseau en raison de contraintes législatives, cette initiative témoigne de la volonté des acteurs locaux de s’inscrire dans cette mouvance. « Nous travaillons main dans la main avec les autorités locales pour adapter le cadre juridique afin que la loi puisse s’appliquer », précise Djémilah Hassani. « Ce territoire peut devenir un modèle unique dans le Pacifique ».
Des initiatives autour de l’éducation, la santé, la biodiversité et la culture ont également émergé à La Réunion, en Guadeloupe ou encore en Martinique. « L’ESS n’est pas un modèle figé », rappelle Djémilah Hassani. « C’est une économie vivante, qui s’adapte aux réalités locales tout en proposant des solutions aux défis globaux ».
Une économie de résistance au service d’une diplomatie économique mondiale
Fort de ce bilan plus que positif, ESS France Outre-mer - dont la mission est de représenter les CRESS ultramarines auprès des instances et réseaux de l’ESS - continue de vouloir créer des connexions entre les territoires du monde entier. « Nous avons plusieurs projets que nous portons. Celui qui va se concrétiser très vite, dès l’année prochaine, c’est la création d’un consortium d’îles et de certains pays européens », indique Djémilah Hassani. « Le projet se nomme Overseas et aura pour objectif, pendant quatre ans, de favoriser le partage de pratiques entre ces territoires. Chaque territoire pourra apprendre des autres. Par exemple, la Guadeloupe et Mayotte, très ambitieuses en matière de stratégie ESS, pourront partager leur expertise avec Chypre pour influencer leurs politiques de développement rural ». Parmi les autres territoires impliqués, on retrouve également le Portugal ou encore l’île d’Aruba.
Un autre rendez-vous clé sera le Forum mondial de l’Économie Sociale et Solidaire, prévu pour la première fois en France, à Bordeaux, en octobre 2025. « Ce sera une opportunité pour ESS France Outre-mer de rassembler d’autres îles et d’amplifier cette transition mondiale que nous avons déjà initié avec des territoires comme la Jamaïque, la République dominicaine ou encore les États-Unis. Cela permettra aussi à nos territoires ultramarins de démontrer leur pertinence dans un espace mondialisé. C’est là que l’on voit que l’Économie Sociale et Solidaire est un vecteur de diplomatie économique mondiale ».
Les Outre-mer, aux avant-postes de l’ESS ? Une évidence pour la co-déléguée à l’Europe et à l’International pour ESS France Outre-mer. Du fait de leur histoire et de leurs pratiques de solidarité séculaires, ces territoires s’imposent comme des acteurs clés de l’ESS. « Les Outre-mer ont toujours été des terres de résilience, » rappelle Djémilah Hassani. « La solidarité y est une réalité quotidienne, que ce soit à travers les tontines, les coopératives ou les associations. La loi de 2014 a permis de donner un cadre à ces pratiques, mais aussi de leur ouvrir de nouvelles perspectives ». Mayotte, notamment, a joué un rôle précurseur. « Il y avait une tradition très forte de l’ESS à Mayotte. Grâce à la loi de 2014, nous avons créé des outils concrets pour accompagner les entreprises ESS, comme des dispositifs d’achat socialement responsable et des clauses environnementales dans les marchés publics. Cela a permis d’insérer des personnes éloignées de l’emploi et d’étendre la coopération régionale. En 2021, Mayotte était la plus grosse et la plus active CRESS de France ».
Cette dynamique a inspiré, peu de temps après, la création de l’ESS France Outre-mer, avec pour mission notamment l’appui à la gestion des CRESS dans leur création ou leur consolidation, ainsi que leur renforcement dans leurs missions régaliennes et leur inscription régionale.
Un agenda ambitieux
Pour Djémilah Hassani, la feuille de route des prochaines années est claire et ambitieuse : multiplier la création d’entreprises sociales, développer des projets innovants et renforcer l’impact humain et environnemental. « L’un de nos principaux objectifs est qu’il y ait un maximum de créations d’entreprises sociales. Nous voulons aller au-delà de l’image de la petite association de quartier pour inclure des coopératives agricoles, des crèches et même des banques ».
Des initiatives comme le dispositif Cap ESSor, qui préfinance les fonds européens pour compenser le manque de trésorerie des entreprises ESS, illustrent cette volonté de soutenir des projets d’envergure. ESS France Outre-mer met également l’accent sur la mesure de l’impact social et écologique. « Nous commençons à intégrer des instruments pour évaluer des éléments essentiels, comme le bien-être des habitants, l’emploi, ou encore l’impact environnemental des entreprises ESS. Cela permettrait d’affiner nos stratégies et d’assurer un développement durable et inclusif », souligne Djémilah Hassani. Enfin, l’un des projets phares sera la création de chaires dédiées à l’Économie Sociale et Solidaire par bassin, en partenariat avec des universités. « Ces chaires permettraient de produire de la connaissance sur l’ESS, en rassemblant les chercheurs autour de thématiques sociologiques, démographiques et économiques propres aux Outre-mer ».
Avec près de 5 029 entreprises ESS réparties dans les Outre-mer, représentant un demi-milliard d’euros de masse salariale brute annuelle et plus de 50 000 emplois recensés, les ambitions sont à la hauteur des enjeux pour consolider et étendre ce modèle économique qui place la solidarité, le mieux-vivre, ainsi que la protection et la préservation des ressources naturelles au cœur de ses préoccupations.
Abby Said Adinani