Covid-19 – Mirdad Kazanji, directeur de l’Institut Pasteur de Guyane : « Il ne faut pas penser que l’épidémie a disparu en Guyane, l’épidémie circule à bas bruit !

Covid-19 – Mirdad Kazanji, directeur de l’Institut Pasteur de Guyane : « Il ne faut pas penser que l’épidémie a disparu en Guyane, l’épidémie circule à bas bruit !

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Après avoir connu une première vague épidémique durant le mois de juillet, la Guyane dispose d’une situation sanitaire stable quand la France hexagonale s’apprête à être reconfiné. Le directeur de l’Institut Pasteur de Guyane Mirdad Kazanji, joint par Outremers 360, souligne que s’il est difficile de prévoir l’intensité de la seconde vague de Covid-19, le territoire de Guyane connaît un taux d’immunité cinq fois supérieur à la moyenne nationale. Mais la vigilance reste de mise car un relâchement se constate depuis quelques jours.

Outremers 360: A l’heure actuelle, quelle est la situation sanitaire sur l’épidémie de la Covid-19 en Guyane ?

Mirdad Kazanji : La situation est stable mais le virus circule quand même à bas bruit. Les semaines précédentes, nous avons 15 cas par jour avec la circulation de 39 cas pour 100 000 habitants en Guyane. On sait aujourd’hui que c’est un virus respiratoire et dont l’historique du virus respiratoire en Guyane s’amplifie avec la saison des pluies. Ce n’est pas seulement le cas du coronavirus mais cela vaut pour la grippe. On sait qu’il y a deux épidémies de grippe en Guyane, une première en février et puis une deuxième autour de mai-juin-juillet. Je suis convaincu que ce coronavirus, il va se comporter d’une façon semblable aux autres virus respiratoires. La circulation du virus va s’amplifier avec la saison des pluies. Il y a toujours un décalage autour de deux mois de ce qui se passe dans l’hémisphère nord, notamment la France et la Guyane. Avec l’arrivée des pluies, il y aura une amplification des cas. Il reste très difficile de savoir si cette épidémie sera plus forte ou moins forte que la précédente.
Actuellement, on constate que la situation dans l’Etat de l’Amapa est assez critique, il commence à avoir davantage de cas. On sait que la première vague est arrivée par l’Est, à Saint-Georges, il faut qu’on reste très vigilant d’une part à surveiller les voies d’entrée du virus mais aussi garder les gestes barrières car on constate un vrai relâchement, ce qui peut être dangereux pour la circulation du virus.

Lundi 26 octobre, le conseil scientifique territorial a évoqué la possibilité d’une deuxième vague de la Covid-19. Quelles sont les préconisations émises par le conseil scientifique pour cette seconde vague ?

Le conseil scientifique territorial est très vigilant. On maintient la vigilance avec la prévention avec le port du masque, le lavage des mains et, la distanciation physique. Nous maintenons l’accent sur le renforcement de contrôle des frontières qu’elles soient terrestres ou aériennes. Nous souhaitons aussi que l’ensemble des corps médicaux de Guyane, notamment les médecins de ville mais aussi les infirmiers participent à la surveillance de circulation du virus. Aujourd’hui, Nous souhaitons généraliser les tests antigéniques (dont le diagnostic s’effectue en une trentaine de minutes) chez les médecins généralistes et les infirmiers de façon à mettre en place un système d’alerte, de définir l’augmentation de cas.
Nous maintenons la stratégie qui’il faut continuer à tester et isoler. C’est un point essentiel et permet de diminuer l’impact de la propagation du virus en Guyane.

– Après avoir connu une première vague épidémique en juillet dernier, le personnel soignant est-il prêt à affronter une seconde vague ?

Les équipes de l’Institut Pasteur, du point de vue des techniciens sont fatigués. Je pense que les personnels soignants sont aussi fatigués. Heureusement, il y a une faible circulation du virus pour l’instant pour que le personnel puisse se reposer. Mais il est difficile de savoir quel ampleur pourrait avoir cette nouvelle épidémie. Elle pourrait être moins forte que la précédente. Toutefois, l’Institut Pasteur a conduit une enquête d’évaluation de tests sérologiques permettant de savoir l’immunité de la population. On constate qu’à Cayenne, il y a une immunité autour de 30% de la population. C’est un élément qui peut jouer sur le futur de l’épidémie. Cette immunité est beaucoup plus importante que dans l’Hexagone où le niveau national de l’immunité est de 4-5%, sur le territoire de Guyane, on est autour de 20/25% et ce pourcentage est encore plus important à Cayenne. Avec cette immunité, on espère vraiment que l’impact d’une deuxième vague sera moins importante que la première.

– Le Gouvernement prévoit un reconfinement du territoire national pour enrayer la circulation du virus. Au regard de la situation sanitaire calme en Guyane, la Guyane doit-elle se confiner alors comme au niveau national ?

Je n’espère pas. Je pense qu’il faut davantage prendre en considération la situation géographique de la Guyane que le rattachement au territoire national, car on a vu lors de la première vague que la Guyane a été plus influencée par l’hémisphère Sud avec le Brésil. Il y a un décalage de la courbe épidémique par rapport à l’Hexagone. Je pense qu’il faut maintenir la situation actuelle, c’est-à-dire un couvre-feu de minuit à 5 heures, maintenir les gestes barrières. S’il faut confiner la Guyane, il faut la confiner lors d’une vraie arrivée massive des cas avec un risque épidémique plus important. Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Nous avons montré que le couvre-feu était une mesure efficace lors de la première phase, il faut adopter ces mêmes mesures lors de la future vague.

– Comment mobiliser la population guyanaise à continuer à pratiquer les gestes barrières et éviter un relâchement ?

Il faut rappeler ce qui passe en France qui va être confiner. Il y a aussi une augmentation très importante des cas et de la mortalité en Guadeloupe. La Guyane n’est pas à l’abri d’une deuxième vague vu la proximité avec les pays où le virus circule fortement. Tant au niveau du conseil scientifique de la CTG que l’Institut Pasteur, on insiste vraiment sur ce volet-là pour minimiser au maximum l’impact de cette épidémie.

– L’Institut Pasteur a récemment découvert des cas d’oropouche et un cas de fièvre jaune. Ces virus peuvent-ils compliquer la situation sanitaire de la Guyane ?

Effectivement. Nous avons identifié pour la première fois en Guyane le virus Oropouche dans la commune de Saül où la moitié d’un village (soit 41 cas recensés) a été touché par ce virus. Nous avons également alerté les autorités sur la circulation d’un virus qui s’appelle Mayaro, c’est un arbovirus transmis par les piqûres de moustique. C’est un virus forestier, c’est la première fois qu’on constate la circulation de ce virus en milieu urbain ou périurbain. Il y a eu aussi un décès de fièvre jaune, le deuxième cette année, le quatrième depuis 2017. De plus, le virus de la dengue 1, de la dengue 2 et plus récememnt quelques cas de la dengue 3 continuent de circuler.
Il est évident que ces virus qui sont tous transmis par le moustique et qu’avec la pluie, la présence de moustique s’amplifie, il est possible qu’on observe une amplification de ces virus. D’où l’importance de prévenir à la protection des populations avec l’élimination des gîtes larvaires autour de la maison, la protection contre les piqûres des moustiques. Il y a un ensemble d’actions qui doit être mené pour diminuer l’impact et la circulation de ces virus.

Quel message souhaitez-vous adresser aux Guyanais ?

Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est le certain relâchement de la part de la population. Il ne faut pas penser que l’épidémie a disparu en Guyane, non, l’épidémie circule à bas bruit ! Dès que les conditions climatiques, ou humaines, de circulation de virus présentes, il est possible qu’on se retrouve devant une phase épidémique. Il faut rester vigilant sur cela.