Les peuples autochtones ont fait leur entrée dans l’UICN comme membres de pleins droits, c’est-à-dire avec le droit de vote. Ils n’ont plus le statut de simple observateur, peuvent exprimer leurs exigences, leurs doutes et leur défiance.
Nombre sont ceux, qui venus de Colombie, du Brésil ou d’ailleurs ont fait remarquer que souvent les zones protégées par les gouvernements avaient simplement été usurpées aux territoires des communautés, qui se revendiquent comme peuple et nation. « Nous critiquons sévèrement la façon dont la préservation de la nature a été gérée pendant toutes ces années » rappelait à l’AFP, Relmu Namku, indigène Mapuche argentine et activiste. Leur demande principale concerne bien sûr la mise en protection de 80% de l’Amazonie d’ici 2025.
En Polynésie, en Guyane, en Nouvelle-Calédonie… Les autochtones sont aussi Français et ce qui se dessine concerne davantage un rapprochement des connaissances. « Cela n’a pas de sens que des consultants, des entreprises viennent enseigner aux indigènes ce qu’ils doivent faire », déclare ainsi José Gregorio Diaz Mirabal, de la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien.
Le chemin est encore long pour rapprocher le monde scientifique de la conservation et celui des savoirs traditionnels. Cependant les choses avancent. Nous avons pu discuter avec les chercheurs de VIGILIFE qui ont développé une méthode d’inventaire de la biodiversité basée sur les traces d’ADN trouvées dans l’environnement, l’ADNe, qui remplace les longs inventaires.
Leurs équipes se préparent pour une expédition sur le fleuve Maroni en Novembre prochain. Le bateau partira de l’embouchure et remontera le plus près possible des sources en terres surinamiennes. « Tous les organismes perdent des cellules », nous explique Sébastien Brosse, chercheur et professeur à l’Université de Toulouse. « Cet ADN, dans le milieu, se dégrade vite, se segmente à l’infini. On récupère, on détecte les fragments. La partie du génome reconstituée nous permet de reconnaître et distinguer les espèces. Elles « matchent » avec une base de références et on établit ainsi une liste d’espèces qui vit actuellement », ajoute-t-il.
Un peu plus de connaissances direz-vous ? Et bien non, cela permet aussi des analyses, des bilans. L’équipe pourra voir où en est la ressource, et peut-être détecter où et pourquoi elle s’est raréfiée. En retournant faire cette photographie du fleuve quatre ans après une première mission, et en discutant avec les anciens, s’élaborera une cartographie du « maintenant ».
Plusieurs fois dans les conférences, les progrès des années 70 ont été rejetés et le retour aux savoirs ancestraux a été prôné. Mais attention, les temps ont changé. Parfois la pression démographique est telle que la tradition ne peut perdurer. Ainsi à Mayotte, les pratiques ancestrales de ramassage des coquillages ou de poulpe étaient devenues trop agressives. Grâce à des échanges avec les Bretons, les pêcheurs mahorais ont respecté une interdiction de ramassage durant la période de reproduction, et la ressource est de retour.
On a beaucoup parlé à Marseille d’aires marines protégées. L’archipel des Tuamotu n’a pas attendu les recommandations internationales pour protéger ses espaces marins. Le lagon de Fakarava est déjà découpé en quatre zonages en accord avec les habitants de l’atoll, et la zone de « rahui » pourrait être ce que nous appellerons la protection « dure ».
Durant la période précoloniale, le rahui était le droit de décréter une zone ou une espèce taboue, « tapu », pendant un certain temps. Aucun prélèvement ne pouvait être effectué sur les ressources pendant le rahui. L’espace rahui de Fakarava est découpé en deux zones, dont l’ouverture ou la fermeture à la pêche s’inverse tous les deux ans. Il est complété par un rahui terrestre (TR) qui porte sur les espèces de homards et de crabes des cocotiers (kaveu) et qui, selon le même principe, sont interdits à la pêche sur 2 ans dans la partie nord de l’atoll, puis c’est à la partie sud de « faire rahui ».
En Polynésie, les différents peuples polynésiens avaient un rapport vital mais aussi spirituel à la nature. Ils donnaient, par exemple, des noms différents à une même espèce de poisson en fonction de la croissance de celui-ci. Il est grand temps de faire correspondre ces mémoires aux données fournies par les outils modernes. Nous sommes entrés dans une ère de datas auxquelles il faut donner du sens. En se reposant sur certaines traditions, l’administration fera mieux comprendre ses messages : ils ne sont pas toujours gratuits.
Dominique Martin Ferrari