Alors que le président de la République est attendu dans les prochains jours à Mayotte, c’est depuis Paris que les acteurs du tourisme mahorais tirent la sonnette d’alarme sur la situation du secteur, quatre mois après le passage du cyclone Chido. Ce 17 avril, dans l’enceinte stratégique du ministère des Outre-mer, Zaounaki Saindou, présidente de l’Agence d’Attractivité et de Développement Touristique de Mayotte (AaDTM), Michel Madi, son directeur, Charles-Henri Mandailaz, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) Mayotte, et Zainaba Mohamed, présidente de l’office de tourisme du Centre-Ouest, ont présenté un état des lieux préoccupant. Le constat est clair : un retour à la normale semble encore bien lointain. Inquiets, les acteurs lancent un appel : il y a urgence à agir.
Fatigué. Épuisé. Déprimé. Usé. Vide. Voilà quelques-uns des mots qui revenaient dans la bouche des professionnels du tourisme fin janvier, à Mayotte. Plusieurs mois plus tard, force est de constater que la situation a peu évolué sur le terrain. « Oui, mais on a aussi entendu des mots comme optimisme, envie, motivation », nuance Michel Madi, venu présenter à la presse nationale un état des lieux, chiffres à l’appui, de ce qui se joue actuellement sur le territoire.
Fatigués, les visages le sont bel et bien, du côté de la délégation qui a fait le déplacement jusqu’à Paris pour alerter sur l’inertie administrative qui menace de décourager les derniers acteurs encore debout, dans une filière qui subit crise après crise depuis près de quinze ans. « On a eu le mouvement contre la vie chère en 2011, contre l’insécurité en 2018, la pandémie en 2020, la crise de l’eau, les blocages, et maintenant les catastrophes climatiques à répétition », énumère Michel Madi, évoquant Chido mais aussi Dikeledi, qui a frappé Mayotte en début d’année 2025. Pour la délégation, cette énième crise doit être un déclencheur qui permettra enfin d’impulser une véritable politique touristique pour le territoire. Mais si cette ambition semble faire consensus dans les discours, la réalité sur le terrain est autrement plus contrastée.
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En effet, les chiffres livrés par l’AaDTM laissent peu de place à l’optimisme : 45 millions d’euros de dégâts estimés, 68 % du bâti touristique hors d’usage ou fortement abîmé, 21 millions d’euros de pertes économiques déclarées par les 60 premiers opérateurs interrogés. Parmi les 81 % d’hébergements qui ont pu rouvrir, parfois partiellement, 57 % des chambres sont aujourd’hui réquisitionnées. Du côté de la restauration, seuls 43 % des établissements ont pu reprendre leur activité. Et au-delà des dégâts matériels, les restaurateurs subissent toujours d’importantes difficultés d’approvisionnement. Selon les zones et les activités, la reprise complète du secteur est estimée à deux ans.
Un casse-tête administratif
Face au drame, l’État avait pourtant pris le parti de réagir rapidement en déclarant d’abord un état de calamité naturelle exceptionnel, puis l’état de catastrophe naturelle. Cette double reconnaissance devait permettre une gestion accélérée de l’après-crise, ainsi qu’un accès facilité aux aides, aux indemnisations, et à d’autres formes de dédommagements. Mais sur le terrain, la promesse d’efficacité s’est vite heurtée à un mur. « Il y a un frein à main chez les assureurs », dénonce Charles-Henri Mandailaz, président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie de Mayotte. « On est en très grande difficulté sur ce sujet. On demande que ce problème soit enfin pris au sérieux, et que l’État attrape par le col les groupements d’assurance pour qu’ils fassent leur travail. Il faut qu’ils mettent la main à la poche et qu’ils remboursent sinon, on ne s’en sortira pas. » La lassitude se ressent aussi dans les démarches administratives, jugées sans fin, lourdes, désorganisées. « Pourquoi je perdrais encore du temps ? Je préfère me débrouiller seul », lit-on dans les retours de terrain. « On nous a promis de l’aide, et on attend toujours. Pourquoi cette fois serait différente ? », interroge un autre professionnel. « À chaque crise, on recommence tout. Les formulaires, les diagnostics, les demandes d’aides… Et pendant ce temps, les clients ne viennent plus. » Selon l’enquête menée par l’AaDTM, 54 % des professionnels de l’hôtellerie-restauration déclarent n’avoir reçu aucune réponse satisfaisante de la part de leur assurance. Certains établissements en bord de mer, pourtant assurés, se sont vu refuser toute indemnisation. D’autres ont vu leurs dossiers bloqués pour des détails techniques. Le découragement est palpable. Complexité des procédures, opacité des dispositifs, lenteur des réponses : autant de barrières qui s’ajoutent aux dégâts matériels. « Ce qui tue les opérateurs, ce n’est pas seulement l’absence d’aides. C’est l’épuisement administratif », entend-on encore.
Trente mesures pour relancer le secteur
C’est dans ce contexte que l’AaDTM a présenté un plan de relance structuré, articulé autour de trente mesures concrètes, pensées pour répondre à l’urgence immédiate mais aussi amorcer une transformation durable du secteur.
Parmi les premières actions activables figurent les « chèques tourisme » d’une valeur de 100 euros, destinés à 21 000 salariés du secteur privé, à dépenser dans les structures mahoraises. Un programme de « séjours seniors » viendra également encourager la consommation touristique intérieure, en misant sur des séjours intergénérationnels porteurs de lien et de reprise économique. Autre mesure immédiate : l’installation de pontons provisoires à Mamoudzou et à Petite-Terre, pour permettre la reprise des activités nautiques.
Dans cette période de fragilité, les Mahorais eux-mêmes deviennent les premiers visiteurs potentiels. « On oublie trop souvent que les résidents aussi ont envie de découvrir leur île. Mais il faut une offre adaptée, et un signal clair que les structures sont ouvertes », rappelle la présidente de l’Agence d’Attractivité et de Développement Touristique de Mayotte, Zaounaki Saindou. Au-delà de ces mesures de relance rapide, le plan prévoit la structuration de la filière autour d’une fédération des offices de tourisme, une meilleure coordination des acteurs, et une professionnalisation accrue. Un programme d’aide à l’investissement est également proposé pour permettre aux opérateurs de moderniser leurs équipements, de les rendre plus durables, plus accessibles, et plus résilients face aux chocs.
La transition écologique et numérique est un autre pilier du plan. Un programme de digitalisation de l’offre touristique est proposé, ainsi qu’un observatoire du tourisme durable, un processus de certification environnementale, et un diagnostic des vulnérabilités face aux aléas climatiques. Des outils qui devraient permettre à la filière de se transformer en profondeur, dans un souci d’exigence environnementale.
Enfin, le plan s’inscrit dans une logique de valorisation du patrimoine naturel et culturel. Plusieurs pôles thématiques sont prévus : la mise en valeur du patrimoine sucrier à Soulou, des îlots du Nord, de la mangrove de Dzoumogné, des cratères volcaniques de Petite-Terre, ou encore de la route touristique du Sud et des sites emblématiques du front de mer. Parmi les autres mesures : un fonds Agri-Écotourisme pour réhabiliter les fermes pédagogiques, restaurer les sentiers, et soutenir les exploitations agricoles ouvertes au public.
L’objectif est de coordonner l’ensemble de ces initiatives par une gouvernance dédiée, appuyée sur un protocole d’urgence prêt à être activé à chaque nouvelle crise
Des difficultés structurelles
Dans ce combat pour relancer le tourisme, d’autres obstacles demeurent néanmoins, à l’instar de la question du foncier. La situation complexe du territoire ne favorise pas l’émergence rapide de projets d’hébergements. Or, l’AaDTM indique que le territoire ne dispose que de 650 chambres. Un programme d’accompagnement au foncier et à la simplification des règles d’urbanisme piloté par l’établissement public de reconstruction est à ce titre inscrit dans les mesures de relance. L’objectif est de soutenir l’extension ou la rénovation des structures existantes, mais aussi de favoriser l’émergence de nouveaux projets, notamment en zones rurales, en diversifiant l’offre par des hébergements alternatifs : gîtes, chambres d’hôtes, lodges, structures insolites.
L’enclavement est une autre des problématiques évoquées. La fameuse « piste longue », réclamée depuis des années, est toujours en cours de débat. Et si l’image de marque du territoire a été peu abordée lors de la conférence, elle reste un frein pour de nombreux touristes. Aujourd’hui encore, le tourisme à Mayotte demeure essentiellement affinitaire.
Les acteurs du secteur sont conscients des obstacles. Ils préfèrent se focaliser sur le potentiel de « leur joyau », un territoire qui possède un atout de taille : l’un des plus beaux et des plus grands lagons fermés au monde, qu’ils espèrent voir un jour inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Abby Said Adinani