Deux ans après l’engagement pris par le gouvernement de restituer pour la première fois 400.000 hectares de terres aux Amérindiens de Guyane, le dossier peine à avancer, à quelques semaines de la venue du Premier ministre Edouard Philippe sur place.
Les « peuples premiers » de Guyane demandent historiquement la « restitution des terres » au titre d’une réparation des méfaits de la colonisation et afin de maintenir leurs modes de vie et coutumes qui sont dépendants de la nature.
Suite au mouvement social du printemps 2017 qui a paralysé le territoire français du continent sud-américain pendant cinq semaines, le gouvernement Valls avait promis, avec l’accord de Guyane du 21 avril 2017, d' »attribuer » en « urgence » aux « peuples autochtones » « 400.000 hectares », soit moins de 5% du territoire guyanais. A titre de comparaison, en 2018, 300.000 hectares de terres étaient sous le coup d’exploitations d’activités minières en Guyane.
Mais alors que Edouard Philippe est attendu les 23 et 24 mars dans ce territoire d’Amazonie couvert à 96% par la forêt amazonienne, cette restitution « est en stand-by », affirme Jean-Philippe Chambrier, membre du grand conseil coutumier des populations amérindiennes et bushinengues de Guyane.
La préfecture, la collectivité territoriale de Guyane (CTG) et les représentants autochtones achoppent autant sur le fond que sur la forme dans ce dossier foncier hors normes qui aura un impact sur plusieurs codes législatifs et réglementaires (minier, environnemental, etc.)
Le rapport d’une mission « de haut niveau » mandatée par le gouvernement se fait attendre. Annoncées pour « novembre 2017 », les conclusions n’ont toujours pas été rendues. La préfecture justifie ce retard par « la complexité et l’ampleur du travail ». Mais ce « report » handicape le travail de localisation des terres à céder.
La préfecture n’a organisé aucune réunion mensuelle de concertation depuis le début de l’année, mais reporte une partie de la faute sur le grand conseil coutumier, qui n’a « transmis aucun élément pour entamer les travaux ». « On a demandé du foncier mais on n’a pas été assez précis dans nos demandes. Et la préfecture s’est engouffrée dans cet oubli », maugrée Claudette Labonté, présidente de la fédération des Pahikwene, une des sept nations amérindiennes, de Guyane.
Exemple kanak
Ces dernières décennies, des zones de vie spécifiques ont été peu à peu accordées en Guyane aux communautés et associations d’habitants qui tirent traditionnellement leurs moyens de subsistance de la forêt.
Au total, 760.000 hectares (9% du territoire) de forêts, savanes ou zones péri-urbaines sont à ce jour mis à disposition des 13.000 natifs: des zones de droit d’usage collectif, des concessions décennales renouvelables ou non et des cessions collectives. Les habitants peuvent y exercer un droit collectif pour chasser, pêcher, bâtir, mais ils ne sont pas propriétaires des terres, qui demeurent communales ou du domaine privé de l’Etat.
Le gouvernement veut intégrer les terres à rétrocéder dans ces périmètres existants. Ce que refusent les habitants. « On les veut en plus », s’agace Jean-Philippe Chambrier, qui craint sur le long terme la non-reconduction des concessions décennales.
C’est la deuxième fois qu’une telle restitution foncière est accordée par Paris. L’autre peuple autochtone de France, les Kanak, ont obtenu en Nouvelle-Calédonie le retour de 167.000 hectares (9% de l’archipel), depuis le début d’une réforme foncière entamée dans les années 1980.
Autre point de discorde, les Amérindiens et la CTG refusent l’opérateur public proposé dans la loi sur l’Egalité réelle outre-mer (2017), au motif que la gouvernance envisagée, qui serait partagée entre tous les acteurs (Etat, CTG, grand conseil coutumier), les désavantage.
« L’établissement public (EP) ne sera donc pas créé, mais il est absolument nécessaire qu’un EP foncier amérindien et bushinengue soit gestionnaire pour les communautés qui n’ont aucune existence juridique dans le droit français », explique la préfecture.
Or le grand conseil coutumier et la commission foncière de la CTG, qui « doivent faire des propositions sur la gouvernance et le fonctionnement », n’en ont fait « aucune » pour l’instant, selon la préfecture. Interrogée, la CTG n’a pas souhaité s’exprimer.
Avec AFP