Quelques semaines après la tenue des Premières Assises nationales des violences faites aux femmes d’Outre-mer au Musée de l’Homme, l’ancien bâtonnier de Guyane,spécialiste de droit public Patrick Lingibé revient pour Outremers 360 sur ces problématiques en Outre-mer et sur les différents dispositifs de protection civile et les sanctions pénales encourues en cas de violences conjugales.
En 2017, on a recensé au niveau national 109 féminicides, c’est-à-dire meurtres de femmes en raison de leur sexe. Ces chiffres sont quasiment du même ordre que ceux enregistrés en 2015 et 2016. La grande majorité de ces meurtres concernent des femmes victimes de leur conjoint ou partenaire de vie. Les coups et blessures volontaires dans la sphère familiale sont tout autant inquiétants. Ainsi en 2017 pour 1 000 habitants, il était de 1,5 pour la France hexagonale. Il est supérieur et de 2,5 pour l’ensemble de l’Outre-Mer avec des chiffres contrastés : 2,22 pour la Guadeloupe, 2,1 pour la Martinique, 2,9 pour la Guyane, 2,4 pour La Réunion, 1,1 pour Mayotte et 3,9 pour la Polynésie Française et pour la Nouvelle-Calédonie (Source : Insécurité et délinquance en 2017 : premier bilan statistique – Janvier 2018). Ces chiffres révèlent un véritable problème sociétal, à savoir celui des violences et brutalités qui peuvent exister au sein de couples mariés ou non mariés. Ainsi, où commencent les violences conjugales et que peut-on faire pour agir ? Le présent article fait le point sur le droit applicable et les mesures qui permettent aux victimes de violences au sein des couples d’agir et de se protéger.
La définition des violences conjugales
Pour qu’il y ait violence conjugale, il faut qu’il y ait violence, et qu’un lien spécifique existe entre la victime et l’auteur de la violence.
Les violences peuvent être de différents ordres : physiques (coups, blessures), psychologiques (insultes, menaces, harcèlement moral), sexuelles (viols, attouchements), ou encore économiques
(maintien dans la dépendance, privation de ressources financières).
La victime et l’auteur de la violence doivent par ailleurs être liés sentimentalement, c’est-à-dire par un mariage, un Pacs ou être concubins. Les faits sont également punis si le couple est divorcé,
séparé ou a rompu son Pacs.
Il faut préciser qu’autant les femmes que les hommes peuvent être touchés par les violences conjugales.Si une personne se trouve dans cette situation, plusieurs mesures de protection s’offrent à elle.
Les mesures de protection pour la victime de violences conjugales
L’ordonnance de protection, consacrée aux article 515-9 du code civil, article 515-10 du code civil, article 515-11 du code civil, article 515-12 du code civil, article 515-13 du code civil), permet avant tout à la victime d’interdire à l’auteur des violences de la contacter.
Le juge aux affaires familiales est alors compétent. Il vérifie s’il existe un faisceau d’indices permettant d’établir des faits deviolence allégués et le danger immédiat auquel la victime est exposée. Il peut alors prononcer plusieurs types de mesures :
– l’éloignement du défendeur,
– l’interdiction du défendeur de porter une arme,
– la dissimulation du domicile de la victime,
– prononcer une admission provisoire à l’aide juridictionnelle,
– statuer sur la résidence séparée des époux, pacsés ou concubins, en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement conjugal et sur les modalités de prise en charge des frais afférents à ce logement,
– statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants (article L. 515-11 du Code pénal).
La victime de violences peut ensuite porter plainte au commissariat. Elle dispose pour se faire d’un délai de six ans. Des constatations médicales pourront être utiles pour étayer la plainte. A la suite du dépôt de plainte, si une instruction est ouverte, le juge peut décider de placer l’auteur des violences sous contrôle judiciaire afin de protéger la victime.
Il est aussi possible de demander un hébergement d’urgence. En effet, il existe des structures dédiées aux personnes victimes de violences conjugales.
Les sanctions envisageables lors de violences conjugales
D’après l’article 132-80 du Code pénal, le cadre des violences conjugales est considéré comme une circonstance aggravante pour plusieurs délits ou crimes.
Le procureur de la République peut décider de ne pas poursuivre l’auteur des violences dans le cas de violences légères et isolées. Il peut ordonner un rappel à la loi, un stage de responsabilisation pour a prévention et la lutte des violences conjugales, ou encore une médiation pénale.
Les violences physiques ayant entraîné une incapacité totale de travail (ITT) de moins de 8 jours peuvent être punies de 3 ans de prison ou 45 000 euros d’amende, tandis que pour celles ayant entraînées une ITT de plus de 8 jours, l’auteur encourt 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende (article 222-11 du code pénal, article 222-12 du code pénal, article 222-13 du code pénal).
Si les violences conjugales sont fréquentes, elles peuvent être qualifiées de violences habituelles. La peine maximale est alors de 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende en cas d’ITT inférieure ou égale à 8 jours, et de 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende en cas d’ITT supérieure à 8 jours (article 222-14 du Code pénal).
Le viol au sein du couple est puni de vingt ans de prison (article L. 222-14 du Code pénal).En cas de meurtre ou de tentative de meurtre, la peine encourue est la prison à perpétuité (article L. 222-4 du Code pénal).
Les violences psychologiques sont elles-aussi punies : en cas de harcèlement moral, la peine encourue est de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende (article L. 222-33-2-1 du Code pénal).
L’obligation majeure imposée à l’Etat dans la lutte contre violences conjugales
Il faut savoir que l’Etat a un rôle majeur à jouer pour réprimer les violences conjugales. En effet, l’Etat a une obligation positive de protection de la vie et de l’intégrité physique des personnes (articles 2 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme CESDH). La Cour européenne des droits de l’Homme a ainsi pu sanctionner en 2017 l’Italie en considérant que la passivité ou la tolérance des autorités à l’égard des violences conjugales constituent un traitement discriminatoire à l’égard des femmes (CEDH, 2 mars 2017, affaire Talpis c. Italie, requête n° 41237/14):
« 141. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, le manquement – même involontaire – d’un État à son obligation de protéger les femmes contre les violences domestiques s’analyse en une violation du droit de celles-ci à une égale protection de la loi (Opuz, précité, § 191). La Cour a en effet déjà conclu que la « passivité généralisée et discriminatoire [de la police] » créant « un climat propice à cette violence » entraînait une violation de l’article 14 de la Convention (ibid, §§ 191 et suiv.). Elle a par ailleurs constaté qu’un tel traitement discriminatoire avait lieu lorsqu’il était possible d’établir que les actes des autorités s’analysaient non pas en un simple manquement ou retard à traiter les faits de violence en question mais en une tolérance répétée à l’égard de ces faits et qu’ils reflétaient une attitude discriminatoire envers l’intéressée en tant que femme (Eremia c. République de Moldova, n o 3564/11, § 89, 28 mai 2013). »
Comme on peut le constater, il existe un dispositif juridique pertinent sur le plan civil et pénal qui permet de manière efficace à la personne victime de violences conjugales de se protéger.
Patrick Lingibé
Associé- Gérant de la SELARL JURISGUYANE
Ancien bâtonnier de Guyane
Spécialiste en droit public
Médiateur Professionnel
Membre du réseau international d’avocats GESICA
Membre de l’Association des Juristes en Droit des Outre-Mer (AJDOM)
www.jurisguyane.com
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