©État-major des Armées
L’épidémie de coronavirus prend de l’ampleur en Outre-mer, mais les contours de la réponse sanitaire restent encore très flous et donnent un sentiment d’impréparation pour de nombreux spécialistes du dossier. C’est le cas notamment pour le déploiement du Mistral et du Dixmude, dont les missions restent floues.
Les Outre-mer sont pour l’instant bien moins touchés que l’Hexagone, avec plus de 650 cas et dix décès, mais la fragilité de leurs infrastructures sanitaires, leur insularité (pour la quasi majorité d’entre eux) et leur éloignement font craindre une catastrophe sanitaire. Même si le Premier ministre Édouard Philippe a promis samedi une augmentation du nombre de lits de réanimation Outre-mer, « ça va être une catastrophe », s’inquiète une source proche des discussions interministérielles.
L’opération militaire « Résilience » lancée mercredi par le président Emmanuel Macron comprend un volet d’aide aux populations ultra-marines. Deux porte-hélicoptères amphibie (PHA), le Mistral et le Dixmude, doivent notamment être déployés courant avril respectivement vers l’île de la Réunion, non loin de Mayotte, et dans la zone Antilles/Guyane. Mais si la mobilisation de ces deux navires de guerre, disposant chacun d’un hôpital à bord, est acquise, les militaires peinent à savoir quels moyens médicaux (matériel de réanimation, masques, blouses…) ils sont censés embarquer avec eux.
« L’envoi des PHA est complètement déclaratoire pour l’instant. On n’a pas de réponse à la question des besoins », se désespère un haut gradé. La mission des navires devait être définies avec les préfectures, avait-on appris dans un communiqué des Forces armées de l’Océan Indien. L’ARS Mayotte qui avait précisé que le navire n’avait pas « vocation à disposer d’équipes médicales ou de matériels à bord ». « Il va surtout permettre d’acheminer du matériel médical et de rapatrier les Français isolés à l’étranger ». En outre, le Mistral, qui se trouvait en Mer rouge lors de l’annonce du Président de la République, ne dispose pas d’hôpital embarqué dans sa configuration actuelle.
« Je n’ai pas du tout le sentiment que les choses soient faites pour nous épargner la catastrophe et le cataclysme », déplore le député GDR (Gauche démocrate et républicaine) de Guyane Gabriel Serville dans une lettre ouverte à l’ARS de son territoire. « On a le sentiment qu’il n ‘y a pas de pilote à bord », confirme-t-il, alors qu’il faut « des moyens en personnels, en matériels, en lits de réa ». Même si la Guyane ne compte à l’heure actuelle que 46 cas, « je crains le pire dans un territoire en retard en termes de santé et avec des poches de misère, où la population vit dans une profonde promiscuité où la distanciation sociale n’est pas possible ».
« Tergiversations »
A Mayotte, « il n’y a pas d’organisation ou d’anticipation » de cette crise, renchérit le député LR Mansour Kamardine. « On a plutôt l’impression que tout se gère au fil de l’eau ». Alors que l’épidémie a commencé en février dans l’Hexagone, le premier cas n’a été recensé que le 1er mars à Mayotte. « On avait plusieurs semaines de décalage pour anticiper, dans une collectivité où la santé est à l’abandon, mais on n’a rien fait. Maintenant on a 84 cas ». « Quand j’ai souligné que si on attendait trop il n’y aurait plus les moyens d’acheminer des renforts, on m’a traité de ‘marchand de tristes nouvelles’ », ajoute l’élu, qui déplore aussi « un discours pas uniforme entre le préfet et l’ARS ». Quant au porte-hélicoptères promis, le Mistral, « on ne sait toujours pas s’il sera armé pour un hôpital ou pour de la logistique ».
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« Les Outre-mer ont de très fortes attentes sur les bateaux que nous envoyons », reconnaît une autre source militaire. Mais « il y a des tergiversations autour de la nature de la mission ». « On a une boîte à outils, on attend maintenant que le politique nous dise comment l’utiliser », ajoute cette source. Mais « si on n’a pas de toubibs et de respirateurs, on ne pourra pas faire grand-chose ». Des décisions pourraient être prises mercredi lors du prochain Conseil de défense.
Le Dixmude, dont l’appareillage pour les Antilles est programmé « dans les prochains jours », est « en cours de reconfiguration » à Toulon, souligne l’état-major, sans pouvoir donner de détail. Le dossier de presse de l’opération Résilience publié lundi reste vague. Ainsi le bâtiment « pourrait livrer du fret, soulager les hôpitaux en fonction de sa configuration » ou encore « projeter des forces de sécurité entre les départements de Martinique, de Guadeloupe et de Guyane ». Le Mistral, lui, pourrait « être utilisé comme hôpital de délestage » mais « à condition de bénéficier d’un renfort sanitaire pour armer l’hôpital ».
La tension dans l’Hexagone sur les moyens sanitaires disponibles ne facilite pas l’équation. Le scénario d’un démontage au profit de la Guyane de quelques lits de réanimation de l’hôpital militaire de campagne récemment déployé à Mulhouse, saturé de malades, a été rejeté, a-t-on appris de source proche du dossier.
Avec AFP.