La loi de finances pour 2019 a instauré une nouvelle formule de dispositif zoné en lieu et place de l’ancien dispositif de ZFA : la zone franche d’activités nouvelle génération (ZFANG). Ce nouveau régime comporte des avancées. Toutefois, en Guadeloupe, des associations de commerçants, des experts comptables, et des avocats alertent sur les effets négatifs de cette nouveau dispositif. Isabel Michel-Gabriel, avocat fiscaliste au Barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy met en garde sur la suppression des dispositifs zonés ZFU et ZRR au profit d’une nouvelle génération de ZFA qui pour elle s’accompagnera d’effets pervers en outre-mer. Ce sont en particulier les centre-ville des capitales de ces régions, déjà largement en proie à un phénomène de désertion et d’abandon, qui perdraient dès lors un de leurs tous derniers facteurs d’attractivité. Explications:
Pourquoi avoir supprimé les ZFU et les ZRR uniquement en Outre-mer ?
L’information a déjà été largement diffusée, la loi de finances pour 2019 a instauré une nouvelle formule de dispositif zoné en lieu et place de l’ancien dispositif de ZFA : la zone franche d’activités nouvelle génération (ZFANG). Mais c’est cette nouvelle formule qui est appelée à se substituer aux dispositifs d’exonération d’impôt sur les bénéfices dans les zones franches urbaine (ZFU) et dans les zones de revitalisation rurale (ZRR) qui se trouvent corrélativement supprimés pour les activités créées à compter du 1 er janvier 2019 (Loi 2018-1317 du 28 décembre 2018 art. 19).
S’il est indéniable que ce nouveau régime de ZFANG comporte des avancées, en particulier au regard de sa pérennisation, comme au regard de l’augmentation des taux d’abattement (taux normal 50%, taux renforcé 80%), de la fin de l’obligation de contribution à la formation professionnelle ou encore de l’extension de son champ d’application à certaines entreprises et à de nouvelles activités (nautisme, transformation de produits destinés à la construction et production cosmétique et pharmaceutique), il semble parfaitement légitime d’en appréhender certains effets pervers sur la base de constats aisément vérifiables.
C’est une évidence, la suppression pure et simple des dispositifs de ZFU 1 et de ZRR (Cayenne,Saint-Denis) uniquement en Outre-Mer n’est pas neutre d’un point de vue économique,social et fiscal. Pour rappel, le dispositif actuel ZFU (2) consiste en une exonération totale d’impôt sur le revenu ou d’impôt sur les sociétés pendant cinq ans, puis dégressive, plafonnée à 50.000 euros par période de 12 mois et s’appliquant aux bénéfices provenant des activités professionnelles implantées dans une ZFU (CGI art. 44 octies A).
Il ne s’agit donc pas d’une exonération liée principalement à l’exercice d’une activité particulièrement soutenue, mais bien à une implantation dans une zone urbaine défavorisée, qui nécessite une incitation fiscale à l’installation.
Et alors que la ZFANG exclut de son champ d’application un nombre très important d’activités, dont le commerce, les professions non commerciales et la restauration (sauf maître-restaurateurs), le champ d’application du dispositif ZFU est beaucoup plus large puisqu’il concerne toutes les activités, sauf celles de crédit-bail mobilier et de location d’immeubles à usage d’habitation, les activités civiles et les profits non commerciaux sans caractère professionnel, et certaines activités de l’article 35 du CGI, notamment l’activité de construction-vente.
Ainsi, la ZFA ancienne génération, tout comme la nouvelle génération qui lui a succédé, exclut de façon générale l’activité de commerce, de restauration et des professions libérales alors que la ZFU l’inclut (3).
Ce simple comparatif du champ d’éligibilité permet de comprendre en quoi la suppression du dispositif de ZFU engrange son lot de « perdants », à savoir tous ceux qui ne sont pas éligibles à la ZFANG, donc les commerçants, les professions libérales et les restaurateurs qui souhaitaient s’implanter en ZFU (4).
De même, le bénéfice de l’exonération ZFU est subordonné à l’emploi d’au moins 50 % de salariés résidant dans ladite zone ou dans un quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV) de l’unité urbaine dans laquelle est située la ZFU ou à la condition que la moitié des salariés embauchés remplisse ce critère de résidence. Ainsi, ce dispositif de ZFU s’apparentait en Outre-Mer à un puissant levier qui permettait de favoriser l’emploi de salariés résidant dans des zones abandonnées ou défavorisées.
Quand on connaît le phénomène de désertion qui affecte l’activité des centre-ville et des zones rurales au profit des centres commerciaux (dans l’Hexagone comme en Outre-Mer), l’intention du législateur de supprimer les dispositifs ZFU et ZRR uniquement en Outre-Mer n’est absolument pas lisible.
Le fait qu’il ait pu exister des abus de la part d’entreprises demandant à bénéficier des dispositifs de ZFU et de ZRR bien que n’étant pas réellement implantées dans ces zones, n’apparaît pas comme un motif suffisant pour aboutir à ces suppressions (5). La question de savoir si ces abus n’existent pas dans les 100 autres zones de France concernées par ces dispositifs fiscaux de faveur mériterait d’ailleurs d’être posée à ce titre…
Dans le cas particulier de la Guadeloupe, le dispositif ZFU visait les deux centre-villes de Pointe-à-Pitre et de Basse Terre qui, sans besoin de faire un constat d’huissier, sont dans un état de délabrement avancé.
L’on pourrait se risquer à dire que les entrepreneurs qui s’y implantent s’acquittent d’une mission de service public en faisant le choix d’assumer les désagréments liés à l’état de ces zones pour continuer à y développer une activité génératrice d’emplois.
Alors il reste à s’interroger sur la compatibilité de la suppression des ZFU/ZRR uniquement en Outre-Mer au regard du principe constitutionnel d’égalité devant la loi fiscale, puisque désormais un contribuable basé en France hexagonale pourra continuer à bénéficier de ces dispositifs alors que ce ne sera plus possible en Outre-Mer.
Une fois le lecteur prévenu que les dispositifs ZFU/ZRR et ZFA ancienne génération ont coexisté sur nos territoires d’Outre-Mer pendant plus de 10 ans sans aucune difficulté, la seule question qui demeure est la suivante : pourquoi alors avoir décidé de supprimer ces dispositifs uniquement en Outre-Mer ?
Isabel Michel-Gabriel, avocat fiscaliste au Barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélémy
Notes
(1) En Guadeloupe (Basse-Terre, Pointe-à-Pitre), Martinique (Fort-de-France), Guyane (Cayenne, Saint Laurent du Maroni) Réunion, (Saint André, Bras-Panon, Saint-Benoit, Saint-Denis)
(2) Le dispositif ZRR étant marginale en Outre-Mer, seule la ZFU a été ici examinée.
(3) Il est à noter que le législateur a supprimé du champ d’application de la ZFANG les activités de Conseil aux entreprises, comptabilité et ingénierie ou études techniques à destination des entreprises ; son champ devient donc identique à celui de
la réduction d’impôt Outre-Mer de l’article 199 undecies B du CGI. A la lecture des débats parlementaires, cette suppression est justifiée par le fait que ces activités ne seraient pas soumises à une forte concurrence internationale.
(4) Le dispositif ZFU étant supprimé à compter du 1 er janvier 2019, il demeure pour les activités implantées avant cette date.
(5) Motif avancé par le législateur dans son exposé des motifs de l’article portant suppression des ZFU et ZRR uniquement en Outre-Mer.