À bientôt 34 ans, le Polynésien Maïti Rossoni est un chef d’entreprise et un entrepreneur infatigable. En seulement cinq ans, il a déjà créé ou racheté six entreprises dans des secteurs allant du marketing au digital, jusqu’à l’innovation sociale avec une application sport-santé. Le jeune homme a d’ailleurs été distingué il y a quelques mois par l’Institut Choiseul dans son Top 40 Outre-mer en partenariat avec la BRED, qui met en lumière les jeunes talents économiques de moins de 40 ans issus des territoires ultramarins. Élu récemment vice-président de la French Tech Polynésie, Maïti Rossoni nourrit une ambition claire : bâtir au cœur du Pacifique un écosystème d’innovation capable de répondre aux fragilités locales, de la santé à la formation, tout en projetant la Polynésie dans les réseaux économiques mondiaux.
C’est l’histoire d’un jeune qui ne savait pas quoi faire de sa vie professionnelle, alors il fit le choix de viser les filières les plus générales qui soient. Après son Bac, Maïti Rossoni se dirige vers un DUT à Toulouse. Il fera ensuite une licence en communication, puis un master en management. « À ce moment-là de mon parcours, je me suis ennuyé, c’était beaucoup trop théorique pour moi… J’avais besoin de concret. »
De retour à Tahiti, le jeune homme continue de chercher sa voie, passe plusieurs entretiens d’embauche et commence à travailler à l’âge de 21 ans. « J’ai été chargé de communication à la Chambre de commerce. Ça m’a beaucoup appris sur l’économie, le fonctionnement des entreprises… et aussi un peu sur la politique. » S’ensuivent d’autres expériences, dont une qui l’amène à devenir instituteur dans les îles Tuamotu, « parce que mon CDD s’était terminé et que je devais rebondir ». De là-bas, il reçoit une proposition pour rejoindre une petite agence de communication et marketing. « J’ai pris un poste de chef de projet événementiel. Je n’avais jamais travaillé en agence, je ne savais pas ce que c’était. Au bout de deux semaines, j’adorais déjà. » À l’époque, l’équipe compte six personnes. « Ma boss était hyper inspirante. Elle me donnait envie de tout gagner. On s’est beaucoup développés et entre 2014 et 2019, on a doublé l’effectif. » À force de travail, Maïti Rossoni prend de plus en plus de responsabilités. « Je m’occupais de presque tout : les clients, le management, les recrutements... Alors je lui ai proposé de devenir associé mais elle, elle m’a proposé de racheter. »

En 2020, en pleine crise Covid, le jeune entrepreneur se lance : « Non, je n’avais pas d’argent. J’ai emprunté à la banque », raconte-t-il. « Tout le monde croit qu’il faut avoir des fonds de côté pour racheter une société. En réalité, tu dois surtout démontrer que l’entreprise gagne de l’argent et qu’elle peut financer ton crédit. Je me rappelle la surprise de mon banquier qui m’a dit : tu es sûr ? Tu vois bien que la planète est à l’arrêt. Je lui ai répondu : si c’est la galère, ce sera la galère pour tout le monde. On y va. »
De salarié à patron
Le premier rachat de Maïti Rossoni n’a pas seulement changé sa carrière : il a bouleversé sa manière d’être. « Ce moment-là, ça a tout déclenché », confie-t-il. « Depuis, j’ai une espèce d’addiction à la création. Tous les six à douze mois, j’ai envie de créer ou de racheter. J’essaie de me réguler pour ne pas me disperser, mais c’est plus fort que moi. »
En cinq ans, il a développé un ensemble d’entreprises : une agence de marketing, une société d’événementiel, une structure digitale, une application sport-santé baptisée Ito Ito, et plus récemment une entreprise d’affichage extérieur, « l’équivalent local d’un JCDecaux », explique-t-il. « Et ce n’est pas fini ! ».
Derrière cette accumulation de projets, une stratégie claire : construire un écosystème. « Toutes mes entreprises sont reliées entre elles. L’agence de marketing, c’est le point de départ. De là, j’ai développé des structures connectées : l’événementiel, le digital, l’application, et aujourd’hui l’affichage. Chacune nourrit les autres. » Cette logique, il la compare à un mécanisme de sécurité. « Quand une société fonctionne moins bien, une autre peut compenser… Je ne vois pas ça comme de la dispersion, mais comme de la diversification intelligente. » Derrière les stratégies, un moteur personnel : l’instinct. « Je suis impatient. Je ne supporte pas d’attendre. Ça me pousse à avancer vite, parfois trop vite. Oui, il m’arrive de prendre la mauvaise décision et de m’en rendre compte trois semaines ou six mois plus tard. Mais globalement, ça me réussit. Je réfléchis vite, je fais confiance à mon intuition. »
Avec une équipe de 25 collaborateurs, Maïti Rossoni se voit aujourd’hui davantage comme un stratège que comme un exécutant. « Avant, j’étais dans l’opérationnel, aujourd’hui, je pilote, j’anticipe, je conseille, je donne une direction, je crée du lien entre mes entreprises… Je n’en serais jamais arrivé là si je n’avais pas osé ce pas fou en 2020. »

Innover pour la santé et préparer l’avenir
Parmi les projets de Maïti Rossoni, un tient une place à part : Ito Ito, une application sport-santé lancée après la crise Covid. « C’est quelque chose qui m’a beaucoup affecté… Mon père a perdu un de ses proches. À Tahiti il y a eu un millier de morts. Mais Tahiti c’est tellement petit que tout le monde connaît quelqu’un à ce moment-là. Je voulais utiliser mon métier pour aider les gens. » Il imagine alors un dispositif ludique autour d’une application. Le principe est simple : l’application récompense directement les utilisateurs pour leur activité physique. « En Polynésie, on a un vrai problème d’obésité et de sédentarité. J’ai pensé qu’il fallait une carotte, alors j’ai mis une carotte dans un téléphone. » En deux ans, près de 40 000 personnes ont téléchargé l’application. « C’est devenu un projet sociétal. On voulait quelque chose de simple et d’adapté, parce que si c’est trop compliqué, les gens abandonnent. » En 2023, l’application Ito Ito remporte le prix ‘santé et social’ au concours Innovation Outre-Mer. Le projet devait être soutenu par des institutions locales mais sera finalement repris par son fondateur. « Quand le gouvernement a changé, les accords que j’avais passés n’ont pas été renouvelés. Pour pérenniser l’outil, j’essaie de faire en sorte qu’il devienne au moins rentable. Aujourd’hui, Ito Ito est en cours de développement en marque blanche afin d’être déployé dans d’autres territoires ultramarins. On discute avec La Réunion, la Nouvelle-Calédonie, la Guadeloupe, la Guyane… »

Parmi les autres axes de développement, on retrouve aussi des objectifs d’expansion vers la Nouvelle-Zélande et l’Hexagone. « Le décalage horaire est un atout : on a déjà travaillé la nuit pour que les clients se réveillent avec leurs dossiers prêts. Chaque société a son calendrier. En événementiel, on prépare une grande finale e-sport. Et puis il y a cette société que je suis en train de reprendre, à quatre mois de la fin de l’année. »
Son engagement comme vice-président de la French Tech Polynésie s’inscrit dans cette même dynamique. Pour lui, ce qui est présenté comme des contraintes (marché restreint, isolement) doit être transformé en leviers. « On est un petit marché, c’est vrai. Mais ça veut dire aussi qu’il reste beaucoup à inventer. Je vois la Polynésie comme un territoire d’innovation. » Toujours en mouvement, Maïti Rossoni voit chaque nouvelle étape comme une occasion de bâtir et de relier. « Le jour où je n’aurai plus envie, j’arrêterai. En attendant, j’ai de l’énergie et des idées, alors je continue. »