Polynésie : Une évasan vers l'Hexagone pour «permettre à d’autres patients d’être pris en charge»

Docteur François Braun, président du SAMU-Urgences de France et Professeur Pierre Carli, chef du service anesthésie et réanimation de l’hôpital Necker © TNTV

Polynésie : Une évasan vers l'Hexagone pour «permettre à d’autres patients d’être pris en charge»

Un vol French bee, opéré par un appareil de la compagnie Air Caraïbes, est arrivé mercredi soir pour soulager le service de réanimation. Examinés par des soignants spécialisés, une dizaine de patients devraient embarquer pour l'Hexagone dès ce vendredi (samedi pour l'Hexagone). Une opération délicate détaillée par les invités de notre partenaire TNTV Docteur François Braun, président du SAMU-Urgences de France et Professeur Pierre Carli, chef du service anesthésie et réanimation de l’hôpital Necker lors du JT. 



Cette évacuation sanitaire, c’est une première en Polynésie mais pas dans les Outre-mer. Le modèle d’avion est important dans ce type de prise charge. Comment l’appareil d’Air Caraïbes est-il aménagé ?

Dr. François Braun : “En fait, cet avion est aménagé comme un service de réanimation à l’hôpital, avec une dizaine de lits, et dans lequel les patients vont avoir des soins qui sont exactement les mêmes que dans le service de réanimation. Ce n’est pas un transfert habituel d’évasan, c’est vraiment une continuité des soins, entre deux services fixes de réanimation. C’est un véritable service mobile, avec des soignants spécialisés”.

Concrètement, à quoi ressemble l’intérieur de l’appareil ?

Dr. François Braun :  “Concrètement, vous avez des sièges qui sont remplacés par des civières spéciales aéronautiques, sur lesquelles les patients vont être installés sur un matelas qui les stabilise, avec notamment un dispositif très médical, anti-escarre, pour éviter que l’allongement prolongé soit néfaste, exactement comme dans le service de réanimation. Avec un petit plus qui est un soignant affecté à chaque patient et un médecin pour chaque patient, dans des normes qui sont bien sûr supérieures à celles habituelles des services de réanimation, mais ça se comprend facilement vu le contexte”.

Quelles sont les contraintes liées à l’aéronautique ?

Dr. François Braun : “Le choix de l’appareil est important parce que tous les appareils ne permettent pas d’avoir ces possibilités. L’oxygène est bien sûr la quantité importante et limitante sur l’extension du vol, c’est d’ailleurs pour cela que le vol se fera avec une étape au retour, même si les capacités de l’appareil auraient permis de le faire d’une seule traite. Ca c’est un travail qui a été fait et testé avec des vols précédents. L’alimentation électrique, c’est exactement la même chose. Nous avons l’ensemble des conditions d’un service de réanimation”.

Il est question de 10 patients dans un état grave. Est-ce que vous avez pu vous rendre au CHPF aujourd’hui pour constater par vous-même ?

Pr. Pierre Carli : “Par moi-même, mais surtout nos équipes, le chef médical de la mission, celui qui est chargé de la sélection des patients, a travaillé toute la journée avec les équipes du CHPF. Il y a une douzaine de patients qui sont éligibles, probablement une dizaine que l’on pourra prendre en charge. C’est un travail qui est précis, méticuleux, car les critères qui permettent de faire ce transport en toute sécurité sont fixés. Ils sont fixés parce que nous avons maintenant l’expérience de la Réunion, l’expérience des Antilles où nous avons, les semaines précédentes, transféré plus de 100 patients vers la métropole”.

Et quels sont les critères justement ?

Pr. Pierre Carli : “Ce sont des critères qui touchent à la maladie, proprement dit, c’est-à-dire des critères de la ventilation, l’état des poumons, et ce sont des patients qui sont tous intubés, ventilés artificiellement, endormis ; c’est un point très important. D’autres critères sont des critères qu’on appelle de comorbidités ou de défaillance d’organes, qui imposent un certain nombre de limitations, mais qui permettent aussi de sélectionner les patients qui vont bénéficier très efficacement de ce transfert”.

Quelles seront leurs prises en charge une fois dans l'Hexagone ?

Pr. Pierre Carli : “Une fois en métropole, ils vont continuer à bénéficier des meilleurs soins, c’est-à-dire ceux que leur aurait donné le CHPF dans des conditions où il n’y a pas autant de patients à prendre en charge. C’est donc une continuité et c’est un critère de qualité. Mais surtout, ces patients permettent à d’autres de bénéficier de votre centre de référence. Ce centre qui s’est battu avec à la fois courage et grande efficacité – on en reparlera peut-être parce que c’est vraiment quelque chose qui marque cette crise. Ils ont donc la possibilité d’ouvrir des lits à de nouveaux patients en réanimation. Comme vous l’avez dit, la crise est en train de baisser, mais les admissions à l’hôpital vont encore produire des cas graves pendant encore plusieurs semaines. Il faut tenir”.

Donc ça va permettre de soulager le service de réanimation ?

Pr. Pierre Carli : “Soulager le service de réanimation, permettre à d’autres patients d’être pris en charge et permettre aussi – et c’est là le plus important – que très vite le CHPF reprenne son rôle d’hôpital de référence du cœur du Pacifique. C’est fondamental, parce que le covid n’a pas chassé les autres maladies. Il les a mises en pause, cette pause il faut qu’elle cesse et que tous les parcours de soin s’ouvrent. C’est un des objectifs”.

On a du mal à comprendre tout de même pourquoi ces évacuations sanitaires arrivent maintenant et qu’elles n’aient pas eu lieu durant le pic épidémique.

Pr. Pierre Carli : “C’est une question qui est très bonne et qu’il faut bien comprendre. En fait, une évacuation, c’est quelque chose qui est une brique qui participe à une action globale. La lutte contre le covid, on la connaît malheureusement maintenant beaucoup mieux. Nous avons été confrontés nous-mêmes, à Paris, exactement à la situation que vous vivez. Et là on sait que les choses qui payent, c’est la vaccination. Il faut vacciner, mais vacciner ça prend du temps pour développer l’immunité. Pendant ce temps-là, il faut confiner. Confiner durement. Quand on dit durement, c’est vraiment durement car c’est quelque chose qui nous impacte tous, qui est vraiment difficile et qu’on a vécu. Il faut aussi augmenter les capacités de soin et pour ça, il faut mobiliser toutes les ressources, toutes les filières de soin sont converties vers le covid et des renforts viennent pour augmenter cette capacité, créer de nouvelles réanimation, de nouveaux lits. Mais tout ceci a une limite, et cette limite c’est la saturation de la réanimation puisque les patients s’y accumulent, ils restent longtemps en réanimation. Ce que nous faisons avec ce transfert, c’est permettre à un nombre de patients sortant de cette réanimation de redonner au système la possibilité d’évoluer et de tourner vite. C’est ça l’objectif, et c’est un objectif qui bénéficie à tout le monde”.

La méfiance envers les médecins du Taaone, elle est très présente en ce moment en Polynésie. Ils sont accusés notamment de pratiquer l’euthanasie par un élu local. On imagine que cela vous fait réagir.

Pr. Pierre Carli : “Dans cette crise, il y a toujours des réactions irrationnelles. Nous n’étions pas là au moment que vous évoquez, au moment où des centaines de patients se présentaient à l’hôpital, mais nous avons vu le travail qu’ils ont fait, nous les avons suivi à distance et nous avons vu le résultat aujourd’hui. Vous avez des équipes formidables de soignants en Polynésie. Des aides soignantes, des infirmières, des infirmières spécialisées, des médecins réanimateurs : ils ont donné tout ce qu’ils pouvaient dans cette crise. Et croyez-moi, quand on voit nous ce que nous avons fait et ce qu’ils ont fait, ils ont très vite assimilé de nombreuses notions, ils ont très vite utilisé des astuces, des constructions qui permettent d’aller très vite et de faire un résultat fantastique en terme de qualité”.

Dr. François Braun : “Vous savez, nos collègues de Polynésie ont mieux travaillé que nous pendant cette première vague. Il faut être très clair : moi je ne travaille pas à Paris, je travaille dans l’Est de la France. C’est nous qui avons pris le début de cette crise. Notre réaction a été beaucoup plus lente. Là nous avons des collègues qui ont réagi très vite, en moins de deux semaines, qui ont mis l’hôpital en marche, qui ont travaillé sans compter. Franchement, nous avons été très impressionnés par la réactivité et par le travail qui a été mené sur place”.