C’est une petite phrase au détour d’un communiqué qui pourrait bien tout changer pour l’observation des baleines en Polynésie : « l’instauration d’un temps de quiétude pour pallier aux abus de certains prestataires » est envisagée dans le cadre de la protection des mammifères marins. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
C’est à l’occasion d’une rencontre, le 28 août dernier, entre Éliane Tevahitua, vice-présidente, et ministre de la Culture, de l’Environnement, Taivini Teai, ministre du Secteur primaire, en charge de la recherche, et le Dr Agnès Benet, représentante de l’Ifrecor, que l’observation des baleines est venue sur le tapis.
La biologiste, spécialisée en éthologie et en écologie, experte dans la protection des coraux, fondatrice et directrice de l’association Mata Tohora (association de protection des cétacés en Polynésie), a fait la demande d’instaurer « un temps de quiétude » pour les baleines. Déjà au début de la saison des baleines, le gouvernement indiquait trouver trop nombreux les prestataires qui proposent des observations de baleines, souvent accompagnées de mises à l’eau. Pour Moorea, île voisine de Tahiti, la Direction de l’environnement (Diren) avait calculé « un prestataire tous les 2 kilomètres de côte ».
Pas question donc pour cette saison 2023 de créer de nouvelles dérogations au code de l’environnement (le sésame pour pouvoir faire ces sorties d’observation) et la Diren annonçait qu’elle se montrerait particulièrement stricte sur les renouvellements. Le nombre de professionnels est « encore beaucoup trop conséquent » pour le gouvernement. Et voilà qu’un pas de plus va peut-être être franchi car il est envisagé « un temps de quiétude ».
« Au vu des résultats faits sur Moorea et Tahiti en 2019, il n’y a que 28 minutes de repos pour les baleines à bosse sur 12 heures, de 6h du matin à 18h », explique Agnès Benet. « Dans un sanctuaire ça paraît inacceptable. Pourquoi ont-elles si peu de temps de repos, c’est parce qu’il y a énormément de va-et-vient même si les bateaux ne restent pas longtemps, c’est un chassé-croisé de bateaux. Vu ces résultats, j’ai proposé un temps de quiétude pour les baleines. »
Ce temps de quiétude reviendrait « à limiter, voire interdire les observations, à partir d’une certaine heure. Le plus raisonnable serait l’après-midi car les baleines reviennent près des côtes pour se reposer la nuit et éviter les prédateurs avec leurs baleineaux ».
Plus de la moitié des baleines montrent des signes significatifs de dérangement
Agnès Benet a des chiffres très précis sur l’impact de l’observation des baleines en Polynésie française, une activité commerciale qui a commencé en 1992 avec un seul opérateur et qui en compte aujourd’hui 45, dont 29 pour Moorea. Auteure d’une étude pour la Diren, elle indique qu’en moyenne, « dans 64% (Tahiti) et 57% (Moorea) des cas, les baleines montrent des signes de dérangement significatifs ».
Ces signes de dérangement sont la fuite, le déplacement vers le large, la sonde suivie d’un déplacement, le changement de direction, la mise en déplacement, la mise en sécurité du baleineau et le saut suivi d’un déplacement. « Ça pose problème car la plupart du temps elles repartent en direction du large alors qu’elles viennent là pour se reposer. Elles viennent, biologiquement parlant, pour se reproduire et mettre bas et le comportement le plus courant qu’on peut observer c’est le repos. Ces déplacements provoqués par l’homme sont inutiles parce qu’elles vont griller des calories alors qu’elles en ont besoin pour le retour. »
Le Dr Agnès Benet a également observé des actions interdites : « Par ailleurs, 42% (Tahiti) et 46% (Moorea) des observateurs se rapprochent à moins de 50 m, 31% des observateurs en bateaux à Tahiti dépassent la vitesse des 3 nœuds et 68% des jet-skis se déplacent, arrivent et repartent à plus de 3 nœuds. Les règles d’approche du code de l’environnement interdisent toutes ces actions depuis 2002 ».
Sea Shepherd Tahiti souhaiterait voir les mises à l’eau purement et simplement interdites, selon Yves-Michel Denis, son président. Agnès Benet temporise, en expliquant que c’est la masse qui pose problème : le nombre de bateaux et le nombre de nageurs sur l’eau et dans l’eau.
Lucie Rabréaud pour Radio 1 Tahiti
Pour rappel, l’ensemble de la ZEE polynésienne, soit près de 5 millions de km2, est sanctuarisé depuis 2002, pour les baleines, cétacés et autres mammifères marins. Il est notamment interdit de mutiler, harceler, capturer ou enlever, chasser ou consommer, transporter, importer et exporter les animaux concernés.
« Par harcèlement, on entend toute manœuvre ou activité d’observation qui aurait pour conséquence de modifier le comportement des animaux, de les contraindre à changer de direction ou de vitesse, de durée d’immersion, de les faire fuir ou de les bloquer contre le récif ou le rivage », précisé l’arrêté du 13 mai 2002 pris par le gouvernement polynésien. Plus tard, la sanctuarisation a été élargie à toutes les espèces de requins en Polynésie, ainsi qu’à certaines espèces de raies.