Emmanuel Macron a débuté jeudi matin sa visite éclair en Nouvelle-Calédonie en souhaitant un retour « le plus vite possible » à « la paix, au calme, à la sécurité », mais aussi au « dialogue » après une semaine d'émeutes qui ont laissé l'archipel profondément meurtri et dans l'impasse politique. Le chef de l’État s’entretient actuellement avec les délégations politiques, non indépendantistes puis indépendantistes.
« Ma volonté (..) est d'être aux côtés de la population pour que le plus vite possible, ce soit le retour à la paix, au calme, à la sécurité. C'est la priorité des priorités », a déclaré le chef de l'État dès sa descente de l'avion à l'aéroport de Nouméa. Alors que depuis le début des émeutes sur l'archipel, six personnes ont été tuées, dont deux gendarmes mobiles, il a observé une minute de silence en préambule d'une réunion de plus de trois heures et demie avec des élus et acteurs économiques poursuivie par un déjeuner informel.
Arrivé aux côtés des ministres Gérald Darmanin (Intérieur et Outre-mer), Sébastien Lecornu (Armées) et Marie Guévenoux (Outre-mer), Emmanuel Macron a promis des « décisions » et des « annonces » à « l'issue de cette journée », même s'il a assuré n'avoir « pas de limite » de temps sur place. Le président a souligné que « beaucoup de populations souffrent aujourd'hui », évoquant les difficultés d'accès aux soins, mais aussi « l'approvisionnement », dix jours après une éruption de violences inédites sur l'archipel depuis près de 40 ans, qui laissent encore des quartiers entiers difficilement accessibles.
Déterminé à rétablir l'ordre, Emmanuel Macron a assuré que les quelque 3 000 membres des forces de sécurité déployés sur place d’ici la fin de la semaine « resteront aussi longtemps que nécessaire, même durant les Jeux olympiques et paralympiques » de Paris qui prennent fin début septembre. Quant à l'état d'urgence en vigueur depuis une semaine, il « pense » qu'il « ne devrait pas être prolongé » au-delà des 12 jours légaux, à condition que « tous les dirigeants » de l'archipel « appellent à lever les barrages ».
« Apaisement constructif »
Accompagné des trois hauts fonctionnaires -Rémi Bastille, Frédéric Potier et Éric Thiers- qui auront pour mission de renouer le dialogue avec les indépendantistes et non indépendantistes, Emmanuel Macron a appelé à un « apaisement constructif » et à la recherche d'une « solution » politique.
Mais sans revenir sur le résultat des trois référendums qui ont acté le maintien du territoire ultramarin dans la République, malgré le boycott du 3ème référendum par les indépendantistes, car « l'apaisement ne peut pas être le retour en arrière, ne peut pas être de ne pas respecter l'expression populaire qui s'est déjà jouée, ne peut être de nier un chemin qui a déjà été fait », a-t-il plaidé.
Il n'a toutefois pas dit clairement comment il entendait déminer ce qui fut le détonateur des émeutes, à savoir le vote à l'Assemblée nationale du dégel du corps électoral de l'archipel. Une réforme constitutionnelle décriée par les indépendantistes et qui doit encore être votée par les députés et sénateurs réunis en Congrès avant la fin juin, sauf si un accord sur un texte global entre indépendantistes et non indépendantistes intervient d'ici là.
Une gageure alors que le dialogue est au point mort, incitant une grande partie de la classe politique, jusqu'au sein du camp macroniste, à demander un report du Congrès. Dans cette perspective, Emmanuel Macron, qui tente avec ce déplacement surprise un vrai coup de poker, a dit venir avec « beaucoup de respect, d'humilité ». Son dernier déplacement dans l'archipel, en juillet 2023, avait été boycotté par une partie des indépendantistes kanak.
« Toute cette violence, ces pillages sont le résultat d’une incompréhension »
Jeudi, les indépendantistes Roch Wamytan, président du Congrès de Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou, président du gouvernement calédonien, et Jacques Lalié, président de la province des Îles, étaient présents à la première réunion autour du chef de l'État. Un second rendez-vous, plus axé sur les questions politiques et institutionnelles, d’abord avec des groupes non indépendantistes puis indépendantistes, se tient à l’heure actuelle. Auparavant, Emmanuel Macron a eu une discussion bâtons rompus avec une vingtaine de jeunes calédoniens, de tous horizons confondus.
« De la fenêtre de la salle d'examen, à Ducos, on voyait des incendies, on entendait des coups de feu », raconte une élève en prépa au chef de l’État. Certains ont déploré un sentiment « d’insécurité », et une jeunesse possiblement « manipulée ». D’autres soulignent la « colère » d’une « jeunesse découragée », des revendications « légitimes » mais « qu’ils défendent en pillant ». « Comment envisager un destin commun ? », s’interroge un autre jeune qui souligne toutefois « la solidarité » dans les quartiers et entre les communautés.
« Toute cette violence, ces pillages sont le résultat d’une incompréhension », renchérit une étudiante, « peut-être que les jeunes ne sont pas assez entendus qu’ils voient l’avenir différemment pour le pays ». « Je ne pense pas que le dégel soit la cause » des violences, a estimé le chef de l’État qui a aussi évoqué ce sujet avec les jeunes sur place, faisant un parallèle avec le droit de vote des étrangers dans l’Hexagone. « Le troisième référendum a créé de la frustration », a-t-il ajouté, appelant à « revenir sur un chemin d'avenir ».
« Le critère de citoyenneté ne peut pas s'ethniciser » a aussi poursuivi Emmanuel Macron. Le corps électoral spécial est en effet la base de la construction de la citoyenneté calédonienne. « L'acquis des accords, c'est la reconnaissance du peuple kanak comme le peuple premier. C'est un intangible et la question du dégel ne le remet pas en cause », a aussi assuré le président de la République. Les « 40 dernières années ne nous ont pas permis de résorber certaines béances », constate Emmanuel Macron. « On a réussi la reconnaissance du passé et ça, il ne faut pas lâcher. Mais on n’a pas encore réussi la construction de l’avenir ».
Sur le terrain, « la nuit a été calme », a indiqué jeudi matin le Haut-commissaire Louis Le Franc à l'AFP. « Il n'y a pas eu de dégâts supplémentaires mais il y a tellement de choses qui sont détruites », a-t-il encore fait valoir, alors que 281 personnes ont été placées en garde à vue depuis le 12 mai, à une écrasante majorité pour des atteintes aux biens, selon une source judiciaire.
« Non au dégel »
Sur la route qui relie Dumbéa, au nord de la capitale, à Nouméa, de nombreux barrages filtrants et des carcasses de voitures incendiées continuent de hacher la circulation, a constaté un journaliste de l'AFP jeudi matin. Dans le Grand Nouméa, ces barrages se sont même renforcés dans la nuit. Les indépendantistes y ont hissé leurs drapeaux et tendu des banderoles « Non au dégel » ou « Darmanin assassin ».
Un retour à la vie normal s'est amorcé dans le centre de Nouméa, quadrillé par une forte présence policière, mais où de nombreux magasins ont rouvert leurs portes. Dans un communiqué, le gouvernement a toutefois rappelé à l'ordre « certains commerçants (qui) profitent des circonstances pour augmenter de manière exagérée les prix de leurs produits dont certains sont réglementés, rendant cette pratique totalement illégale ».
Et pour ajouter à l'instabilité, l'archipel a aussi été visé par une cyberattaque « d'une force inédite » visant à « saturer le réseau calédonien », a annoncé Christopher Gygès, membre du gouvernement collégial calédonien. Une attaque stoppée « avant qu'il y ait des dégâts importants », a-t-il assuré.
Avec AFP