Les acteurs du monde économique de l’archipel ont convié la presse, ce jeudi à Ducos, zone frappée de plein fouet par les émeutes, pour alerter les Calédoniens et les institutions sur la gravité de la crise vers laquelle plonge le pays. Pour stopper cette hémorragie, les aides de l’État « ne suffiront pas ». Ces professionnels appellent les élus à reprendre au plus vite le dialogue et demandent à être pleinement associés aux discussions qui sont le préalable à toute relance et reconstruction économique du pays. Un sujet de notre partenaire Les Nouvelles Calédoniennes.
Un vaste complexe commercial ravagé par les flammes, qui menace désormais de s’écrouler. L’endroit choisi ce jeudi matin pour alerter la presse est à la hauteur du « drame » économique et social qui se profile. Représentants de fédérations et syndicats, organisations patronales et chefs d’entreprise ont réuni la presse au pied de Ducos Factory pour alerter de la « situation gravissime » dans laquelle ils s’enlisent, « jour après jour » depuis le déclenchement des émeutes, le 13 mai, qui ont mis à bout de souffle le poumon économique du pays.
Alors que l’État, représenté par le ministre Bruno le Maire en personne, vient de dévoiler les mesures d’urgence qui seront débloquées pour les Calédoniens, cet arsenal ne permettra pas d’enrayer la crise sans précédent qui s’annonce à en croire ces professionnels. Pour rappel, près de 500 sociétés ont été détruites par les émeutiers, soit des dégâts pour l’heure estimés à 1,5 milliard d’euros (près de 180 milliards de francs). Dans ce contexte, 5 000 personnes devraient perdre leur emploi « dans les jours à venir » et près de 15 000 salariés devraient être touchés par ces exactions (chômage partiel, etc.).
« On ne reconstruira pas sur des braises encore fumantes »
« On peut souligner la rapidité avec laquelle ces mesures sont mises en œuvre pour toucher un maximum d’entreprises avec une procédure la plus simple possible et un paiement très rapide. En revanche, les sommes engagées et la participation semblent à ce stade très insuffisantes par rapport au désastre économique en Nouvelle-Calédonie », annonce d’emblée Mimsy Daly, à la tête du Medef, qui salue « la rapidité » de l’État mais lance désormais un appel aux élus locaux.
« On ne reconstruira pas sur des braises encore fumantes. La situation n’est pas du tout réglée tant au niveau de la sécurité que de la circulation. On a donc besoin que nos politiques s’engagent sur le chemin du dialogue pour nous trouver une solution pérenne et nous trouver des solutions afin de financer ce qui relève de leurs compétences dans la reconstruction du territoire », a-t-elle réclamé.
En clair, les acteurs du monde économique attendent en priorité que « toutes les parties prenantes » dans cette crise « appellent à la fin des hostilités » et à la levée des barrages. Quant aux discussions, elles ne peuvent plus se tenir sur le plan uniquement politique, estiment ces professionnels. « Aujourd’hui, force est de constater qu’on ne voit rien venir et ça nous inquiète énormément », poursuit Mimsy Daly.
« Le président de la République a tracé une route qui permet d’intégrer plus d’interlocuteurs dans ce débat. Je crois que maintenant, il faut poser une méthode, pour que les Calédoniens se rassemblent et envisagent un débat beaucoup plus large sur cette sortie de crise, car sinon la situation va s’enliser. Or nous ne sommes qu’au début de la destruction de notre système économique et social. »
Car ces milliers d’emplois d’ores et déjà perdus et les nombreux licenciements que risque d’engendrer cette crise (d’autant plus si la filière du nickel reste dans l’impasse) et « la perte dramatique de pouvoir d’achat » dans les mois à venir sont autant de cotisations en moins pour financer la Cafat, le Ruamm ou encore les retraites. « Les Calédoniens, toutes sensibilités confondues, doivent avoir conscience que tous ces systèmes de prestations sociales ne sont plus financés aujourd’hui et que nous ne repartirons probablement pas avec le même niveau de prestations qui étaient extrêmement avantageuses », insiste la patronne du Medef.
« Chaque jour qui passe, on continue de couler »
Car l’ensemble du tissu économique calédonien s’attend à être durablement touché par les conséquences en cascades de ces émeutes, comme l’explique ce chef d’entreprise d’une enseigne de jardinage et d’animalerie, inquiet pour le devenir de sa société et ses 40 salariés.
« On a perdu quasiment tout le chiffre d’affaires de mai et celui de début juin. On ne peut rien payer. On a demandé des aides pour verser les salaires et on a reçu un arrêté nous indiquant que nous recevrions 15 % de ce que l’on a demandé. Nos marchandises continuent d’arriver, il faudra honorer les fournisseurs, mais on ne sait vraiment pas comment faire », assure un patron, dont la situation est jugée « représentative » de centaines d’autres entreprises.
« Notre enseigne n’a pas été brûlée, mais on ne sait pas du tout comment on va poursuivre notre activité. Tant que les gens feront la queue sur le trottoir pour acheter à manger dans la peur en rentrant vite à la maison, il n’y aura aucune reprise de l’activité économique. Chaque jour qui passe, on continue de couler », a-t-il ajouté.
Si cet entrepreneur s’est déjà penché sur les dispositifs de chômage partiel, ce qui est « extrêmement violent pour les salariés concernés », il redoute de devoir prendre prochainement des mesures encore plus drastiques. « Il est tout à fait possible que l’économie dans son ensemble aille vers des plans de licenciements économiques et pour cas de force majeure de manière massive dans les prochaines semaines si des annonces fortes ne sont pas faites. »
Anthony Tejero pour Les Nouvelles Calédoniennes