L'inceste, fréquent et mal pris en charge en Polynésie française

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L'inceste, fréquent et mal pris en charge en Polynésie française

Les assises de l'aide aux victimes, qui se tiennent cette semaine en Polynésie française, ont mis en évidence une « prévalence énorme » des viols intrafamiliaux sur mineurs dans cette collectivité ultramarine du Pacifique et un manque de moyens face à l'inceste.

Les quelque 460 participants de ces Assises consacrées à l'aide aux victimes regrettent le manque de structures adaptées à la prise en charge de l'inceste. La Polynésie française ne dispose ainsi pas de numéro d'appel d'urgence, ni de CRIAVS, ces centres rattachés aux hôpitaux qui coordonnent la ligne STOP (Service téléphonique d'orientation et de prévention) dédiée aux personnes attirées sexuellement par les mineurs.

La collectivité manque aussi de travailleurs sociaux formés et de places en hébergement d'urgence à Tahiti, soulignent-ils. La dernière étude sur les violences intrafamiliales sur mineurs sur ce territoire, conduite en 2023 par Lucile Hervouet, sociologue à l'université de la Polynésie française, établit pourtant une prévalence très supérieure de l'ensemble des viols sur mineurs par rapport à l'Hexagone, à 3,4 pour 10 000 habitants contre 2,6 en 2021.

Pour Cécile Moreau, directrice de l'Association polyvalente des actions judiciaires (Apaj), qui organise ces Assises, « la très grande majorité des viols sur mineurs, au moins 70%, sont incestueux ». « Parmi les détenus du centre de détention Tatutu (à Tahiti, ndlr), il y a une prévalence énorme des violences sexuelles, en particulier incestueuses », confirme à l'AFP Philippe Fournier, le directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) en Polynésie.

Le nombre des viols d'enfants, en particulier incestueux, est pourtant très minoré dans les statistiques, selon les spécialistes. « On a un chiffre noir énorme de la violence faite sur les enfants, des viols commis sur les enfants, parce qu'on n'a pas les moyens de détection », constate Katia Szklarz, magistrate, conseillère à la cour d'appel de Papeete et déléguée à la protection de l'enfance.

Elle regrette des moyens sous-dimensionnés par rapport à la métropole. « Chaque éducateur a 80 ou 90 familles : comment voulez-vous qu'il puisse s'en occuper ? », demande-t-elle, ajoutant que la promiscuité de grands groupes familiaux dans de petits logements favorise le passage à l'acte.

Légitimité de la loi française

« Ces problèmes sont décuplés dans les îles isolées », abonde Cécile Moreau. Si Tahiti est l'île la plus peuplée, les Polynésiens vivent en effet sur 75 îles habitées (sur 118 au total), réparties dans cinq archipels, le tout sur une surface océanique comparable à l'Europe. Certaines îles, dépourvues d’aéroport, sont difficilement accessibles. Les auteurs de violences sexuelles sur mineurs tendent à ne pas reconnaître la justice française.

Certains justifient leurs actes par des considérations culturelles, voire religieuses. « On entend souvent, concernant l'inceste, cette image malheureuse : « j'ai planté la graine, c'est à moi de retirer le premier fruit ». C'est une manière de dire « Vous ne pouvez pas comprendre parce que c'est notre culture » : il est question de la légitimité d'une loi française à l'issue de la colonisation », explique Lucile Hervouet, l'auteure de l'étude.

« Les victimes disent « Je ne veux pas envoyer papa, tonton ou mon grand-père en prison », donc elles se taisent voire minimisent les faits. La difficulté, c'est qu'elles se sentent à tort responsables de la rupture familiale et de l'incarcération de l'auteur », souligne Tararaina Mana, juriste à l'Apaj. Lorsque les parents ne défendent pas les intérêts de leurs enfants, l'autorité judiciaire désigne cette association en qualité d'administrateur ad hoc. Tararaina Mana protège et défend ainsi les droits des mineurs tout au long de la procédure, le plus souvent des jeunes filles âgées de huit à 15 ans.

« Nous sommes confrontés à des situations où les mamans rejettent leurs enfants, parce qu'elles ne veulent pas perdre leur compagnon, celui qui subvient aux besoins de la famille. Des mères accusent parfois leurs filles d'avoir séduit leurs agresseurs, qui peuvent être le père, le beau-père, le grand-père ou l'oncle de la victime », témoigne-t-elle. « En plus de l'agression subie, la victime mineure doit gérer le rejet familial et social, notamment dans les îles éloignées ».

 Avec AFP