L’Assemblée nationale adopte l’extension des compétences des communes de Polynésie

©Facebook / Teva Rohfritsch

L’Assemblée nationale adopte l’extension des compétences des communes de Polynésie

L’Assemblée nationale a adopté, mercredi soir, la proposition de loi organique étendant la possibilité aux communes de Polynésie d’exercer des compétences du Pays. Un texte qui suscite de vifs débats entre le gouvernement indépendantiste de Moetai Brotherson et les parlementaires et maires polynésiens, essentiellement autonomistes. Le point avec nos partenaires de Radio 1 Tahiti.

La proposition de loi organique modifiant l’article 43-2 du statut de 2004 pour étendre la possibilité des communes d’exercer des compétences du Pays a été adoptée ce mercredi soir à Paris, par 76 voix pour et 32 contre (La France insoumise, le Parti socialiste et le groupe GDR).

« Ce n’est pas un transfert de compétences du Pays vers les communes mais une autorisation à agir pour les communes, dans le respect de la réglementation du Pays. Le Haut-commissaire reste le garant de la légalité des actes des communes bien évidemment » a précisé le sénateur Teva Rohfritsch, porteur de cette PPLO avec la sénatrice Lana Tetuanui. Localement, cette PPLO divise le gouvernement indépendantiste et les maires principalement autonomistes.

À l’Assemblée nationale, il y a eu plusieurs tentatives pour tenter d’empêcher l’adoption de ce texte. D’abord une motion de rejet préalable défendue par Bastien Lachaud de La France insoumise, et soutenue par les Socialistes et le groupe GDR. Il a commencé par expliquer que cette proposition de loi prouvait une chose : « Nos esprits ne sont pas décolonisés ». 

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Pour le député, cette discussion à l’Assemblée nationale revenait à « contourner les institutions locales » puisque l’assemblée de Polynésie avait émis un avis défavorable à ce texte, et que le gouvernement local fait avancer son propre projet de loi du Pays sur le sujet. Le véritable objectif était « de redistribuer des pouvoirs à six mois des municipales »« Rien, sinon des calculs politiciens irresponsables ne justifient l’examen de ce texte par l’Assemblée. »

Des arguments qui « s’écartent complètement du sujet » pour la rapporteure du texte, Nicole Sanquer (députée Liot de la 2ème circonscription de Polynésie). Pour elle, le débat devait bien avoir lieu au sein de l’Assemblée nationale car « ces questions relèvent de ses compétences » et il ne s’agit pas de « défier le gouvernement actuel ».

La députée a ensuite rappelé que les maires intervenaient déjà sur des compétences qui ne sont pas les leurs, se plaçant ainsi en « insécurité juridique » pour répondre aux demandes de leurs administrés. « Cette modification ne remet pas en cause l’autonomie du Pays, ne bouleverse pas la hiérarchie des normes, ne créé aucun transfert de compétences, elle apporte simplement la sécurité juridique nécessaire. » Nicole Sanquer a donc appelé à rejeter la motion de rejet.

Moerani Frébault (député EPR de la 1ère circonscription de Polynésie), lui, a évoqué le soutien de 46 des 48 maires polynésiens, de quatre des cinq parlementaires polynésiens à la proposition de loi, et du Cesec : « Parler à la place des Polynésiens, contre l’avis de leurs représentants de proximité, ça c’est du néocolonialisme. »

Mereana Reid-Arbelot : « une démarche politicienne dictée par un calendrier électoral »

La motion de rejet a bien été rejetée pour laisser place à la discussion générale. Certains députés, notamment à gauche de l’hémicycle, ont dénoncé le « court-circuitage » d’un processus local en cours et se sont interrogés sur l’urgence d’un texte sur un sujet qui n’était pas pour eux prioritaire, surtout en plein débat budgétaire.

Marc Péna du groupe Socialistes et apparentés a trouvé « surprenant de voir un texte surgir du Sénat à l’approche des élections municipales » -en réalité le Sénat avait adopté le texte en mai dernier et c’est l’instabilité gouvernement français qui a retardé son examen à l’Assemblée nationale. D’autres ont dit que « donner des compétences sans moyens, c’est organiser l’impuissance »

Ils reprenaient là les arguments du Tavini Huira’atira, parti indépendantiste, et notamment ceux portés par la députée Mereana Reid-Arbelot (GDR, 2ème circonscription) qui a insisté sur un texte « dangereusement bâclé, sans cadre, sans détail sur le financement et sans respect du statut »« Il oppose artificiellement les communes et le Pays dans une démarche politicienne dictée par un calendrier électoral à l’approche des élections municipales et sénatoriales. » 

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La députée a redit qu’elle était pour l’intervention communale sur les compétences de la Polynésie française, mais que cette intervention doit être « organisée, financée clairement, encadrée et sécurisée juridiquement ». Un texte qui « flatte et promet » mais « fragilise le Pays, créé de la confusion et ne donne pas aux communes les moyens réels de mener leurs projets ». Elle a présenté plusieurs amendements, tous rejetés.

Le député de la Guyane, Jean-Victor Castor, appartenant également au groupe Gauche démocrate et républicaine, a même vu dans ce texte la création « d’une jurisprudence ». Pour lui ce n’est pas aux maires de faire cette demande de modification mais à l’assemblée de la Polynésie française. De l’autre côté de l’hémicycle, on voyait plutôt un texte « pragmatique » qui répondait aux besoins des maires, Eric Martineau, du groupe Les Démocrates, a dit « préférer l’efficacité du terrain au blocage idéologique ». 

L’adoption du texte a aussi fait réagir à Papeete. Le président du gouvernement a déploré ce vote qui intervient alors que le conseil des ministres vient d’adopter le projet de loi du Pays qui visait à poser un nouveau cadre à l’intervention des communes -projet de loi qui devient à présent sans objet.

« Si cette PLO électoraliste prospère (…), ceux qui seront embêtés, ce n’est certainement pas le Pays : ce sont les maires qui s’aventureront sans cadre dans cette brèche, et l’État, à qui incombe le contrôle des actes effectués par les maires », a écrit Moetai Brotherson. « C’est risible de voir que ces maires, pour la quasi-totalité autonomistes, ont finalement choisi de faire reculer l’Autonomie, en outrepassant l’Assemblée de Polynésie, pour aller directement à Paris », a-t-il aussi ironisé. 

Moetai Brotherson a aussi rejeté l'argument de l'insécurité juridique. « Les nombreux maires (dont certains siègent à l’APF et ont été Président du Pays) condamnés, ne l’ont JAMAIS été dans le cadre de l’exercice des compétences listées au 43-2. Ils l’ont été pour détournement de fonds publics, abus de pouvoir, et autres « initiatives » rocambolesques ».  

Dans un communiqué, le principal parti autonomiste Tapura Huira’atira, a déploré « le fossé » qui « se creuse entre le Pays dirigé par le Tavini Huiraatira et les tavana (maires, ndlr) qui portent, au quotidien, les attentes et les difficultés de la population ». Pour revoir l’intégralité du débat  sur le site de l’Assemblée nationale, c’est ici, à partir de 5’07.

 Lucie Rabréaud pour Radio 1 Tahiti