L’arrestation musclée ce lundi matin du Dr Jean-Paul Théron en Polynésie, connu localement pour avoir soigné plusieurs centaines de patients par des traitements à base d’Ivermectine ou d’Hydroxychloroquine, a fait le tour des réseaux sociaux et soulevé une vague d’indignation de la population. Les explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
Les images continuent de faire le tour des réseaux sociaux. Le Dr Jean-Paul Théron, retraité de la direction de la Santé, était au centre d’accueil médicalisé Manu iti, dans la commune de Paea (côte Ouest de Tahiti) quand il a été interpellé par la gendarmerie, secondée par des policiers municipaux. Le généraliste, qui est un des référents du centre dans lequel il intervient généralement à distance, s’est opposé à cette arrestation, en tentant de s’enfermer dans les toilettes de la salle de spectacle, d’où il a été sorti de force.
Plusieurs dizaines de sympathisants rassemblés sur place, ainsi que des volontaires et agents municipaux présents à Manu iti ont aussi protesté contre cette interpellation. Après des discussions avec les gendarmes, le maire de la commune, Tony Géros a demandé à la foule de laisser passer les forces de l’ordre. Le Dr Théron a ensuite été conduit au CHPF pour un examen médical permettant, d’après les autorités de « vérifier si son état de santé est compatible » avec la garde à vue.
Cet examen aurait été demandé, entre autres, par l’officier de police judiciaire chargé de l’opération. Le médecin, qui exerce depuis 2020 en tant que libéral non conventionné, serait encore à l’hôpital. Ses proches le décrivent comme « stable » mais « affaibli », par l’interpellation et par « de longues semaines de mobilisation auprès de ses patients ».
Accusation de violences, puis d’insultes et de menaces
D’après les autorités, cette procédure n’est toutefois pas directement liée avec l’activité de centre médicalisé de Paea, mais ferait suite à une altercation entre le médecin et un clerc d’huissier, survenue jeudi. L’huissier en question s’était rendu à son domicile pour lui communiquer des pièces relatives à une enquête instruite par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins.
D’après le clerc d’huissier, le médecin aurait refusé le dépôt de documents et l’aurait physiquement agressé, notamment en lui jetant des objets, comme l’a relaté La Dépêche de Tahiti. Ce dernier aurait rapidement déposé plainte pour des « coups et blessures » qui lui auraient valu plusieurs jours d’ITT et les faits seraient, d’après TNTV, qualifiés de « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique avec arme par destination » par le parquet.
Une agression que le Dr Théron réfute catégoriquement. Contacté samedi, il parlait notamment d’une « intervention d’huissier en dehors des horaires légaux » et d’un comportement « inqualifiable » de l’officier public. Il se dit lui-même « victime d’une agression » par le clerc d’huissier, et prend à témoin les « 7 personnes, dont 4 sous oxygène » alors présents dans son domicile. Il rappelle, auprès de nos confrères de Polynésie la 1ère, qu’il gère depuis son domicile « 80 urgences par jour », au travers de son installation de télémédecine.
D’après la gendarmerie, et contrairement à ce qui a été annoncé par ailleurs, le généraliste n’aurait pas été placé en garde à vue la semaine dernière, mais avait été convoqué devant un officier de police judiciaire. C’est un responsable de la brigade de gendarmerie de la commune de Arue qui s’est déplacé samedi au domicile du médecin pour lui signifier cette convocation à la date du lendemain.
Et là encore l’officier aurait été très mal reçu : son rapport a motivé, du côté du parquet, l’ouverture d’une enquête pour « outrage » envers les gendarmes. Le Dr Jean-Paul Théron n’ayant pas honoré sa convocation de dimanche, la gendarmerie s’est plusieurs fois rendu à son domicile dans la journée pour l’interpeller, comme l’avait alors relevé TNTV, avant l’arrestation de ce lundi matin à Paea.
Une procédure disciplinaire distincte menée depuis fin 2020
Ce placement en garde à vue ne serait donc pas directement lié à son activité de « médecin référent » auprès de la mairie de Paea ou celle de Faa’a, ni à la promotion de traitements controversés contre le Covid, comme l’ivermectine, comme certains l’ont expliqué. En revanche, une enquête instruite par la chambre disciplinaire de l’ordre des médecins, une juridiction distincte du Conseil de l’ordre et présidée par un magistrat, et qui était à l’origine de la visite de l’huissier, est bien en cours.
Cette autre procédure fait suite à une plainte déposée par la Présidence de la Polynésie fin 2020 à laquelle s’est associé le Conseil de l’ordre. Elle viserait notamment des injures envers d’autres médecins, des infractions au code de déontologie, ainsi que des conditions de consultation non-règlementaires. Pour précision, le Dr Théron n’est ni reconnu par la Caisse de prévoyance sociale (CPS, équivalent de la Sécurité sociale), ni par le Conseil de l’ordre des médecins.
Reste que de nombreuses personnes ont apporté leur soutien au Dr Théron ces dernières heures, considérant que c’est sa promotion des « traitements alternatifs » au Covid qui lui vaut les foudres de la justice. Des membres de collectifs critiques envers la gestion de la crise Covid ou des proches du mouvement indépendantiste - le médecin a été compagnon de route des militants anti-nucléaires et a officié en tant que directeur de cabinet dans le gouvernement Temaru - se sont rassemblés au CHPF ce midi.
« Mettre de l’huile sur le feu »
Si la plupart ont été tenus à l’écart des urgences, le leader indépendantiste Oscar Temaru et le député Moetai Brotherson, ont pu s’y rendre pour s’assurer de l’état de santé de leur « ami ». « Plusieurs plaintes sont à l’étude pour mise en danger de la vie d’autrui contre le commanditaire de cette action (l’arrestation, ndlr) puisque, pendant que Taote (docteur, ndlr) est ici, il ne peut pas suivre les 80 malades du Covid-19 dont il s’occupe », a précisé sur Facebook le député.
Plus tard lors d’une conférence de presse, Oscar Temaru, entouré de Tony Géros et Moetai Brotherson, a apporté son « soutien indéfectible » au médecin, et a regretté « l’image d’un homme menotté et traîné à terre ». « Ce n’est pas de ça que nous avons besoin en ce moment ». Pour le maire de la commune de Paea, cette arrestation « vient mettre de l’huile sur le feu » dans une Polynésie où la crise sanitaire provoque des tensions au sein de la population. « Il faut faire attention, le problème est devenu passionnel, les gens vont s’énerver, on va plus arriver à les retenir », prévient le maire. « Si c’est le but recherché, ils sont sur la bonne voie. Nous on ne veut pas ».
En Polynésie, le Dr Théron est soutenu par une partie considérable de la population pour avoir soigné plus de 400 patients à l’aide de traitements à base d’Ivermectine ou d’Hydroxychloroquine, et en favorisant une hospitalisation à domicile avec oxygéno-thérapie. Une pétition lancée quelques heures après cette arrestation a déjà recueilli près de 10 000 signatures et fait le lien avec le protocole du Pr Didier Raoult.
L’affaire a également un écho hexagonal puisque le #LiberezTheron, dans lequel on retrouve des informations souvent fausses, a engendré près de 16 000 tweets en quelques heures ce mardi matin. Beaucoup de commentaires sur les réseaux sociaux font aussi le lien entre l’arrestation du Dr Théron et son application du « protocole du Dr Raoult », jusqu'à avoir un écho parmi les personnalités influentes des manifestations nationales anti-pass ou anti-vaccin, comme l’ancien cadre du Front national Florian Philippot. Mais encore une fois, ce lien est fermement réfuté par le parquet, et les responsables indépendantistes, proches soutien du médecin, ne le mettent pas non plus en avant.
Avec Charlie René pour Radio 1 Tahiti