INTERVIEW. La pérennité d’Aircalin « pas menacée dans les 12 prochains mois », assure le Directeur de la compagnie calédonienne

INTERVIEW. La pérennité d’Aircalin « pas menacée dans les 12 prochains mois », assure le Directeur de la compagnie calédonienne

©Christopher Liau

Depuis le 21 mars, les vols internationaux sont restreints au strict minimum plaçant la compagnie aérienne locale dans une situation délicate. Pour sortir la tête de l’eau, la direction d’Aircalin a mis en place un plan de sauvegarde qui semble porter ses fruits. Les précisions de son directeur général, Didier Tappero, qui était l’invité de nos partenaires NC News et Actu.nc. INTERVIEW.  

Depuis la crise du Covid-19, les avions d’Aircalin sont quasiment cloués au sol. Comment se porte la compagnie ?

Cela a été une période éprouvante socialement et économiquement. Je devrais plutôt dire « c’est » car on est toujours dans une situation difficile. Le premier mois, pour fixer un ordre d’idée, quand les vols ont été suspendus, une sidération a touché la compagnie et le transport aérien en général. Nous avons immédiatement commencé un nombre d’exercices de projection pour voir où cela pouvait nous mener économiquement. Et premier constat : si nous n’avions rien fait, la compagnie aurait été dans le mur en décembre 2020.

D’où les restrictions de personnel ? 

Différentes mesures ont été́ prises par la compagnie pour éviter une cessation de paiement en décembre 2020 : un report des investissements sachant qu’on devait recevoir un nouvel appareil en février 2021 dont l’achat a été repoussé en 2023, des économies à tous les niveaux possibles, des mesures sociales fortes et difficile pour l’entreprise. Car dès le début de la crise, pour éviter les licenciements secs et brutaux du personnel, nous avons négocié un plan de départs volontaires. Par ailleurs, l’ensemble des salariés a accepté des baisses de rémunération, et les contrats n’ont pas été renouvelés. Tout cela fait que nous aurons 100 collaborateurs en moins à la fin de l’année dans l’entreprise.

Des aides vous ont aussi permis de garder la tête hors de l’eau…

Oui, le PGE (prêt garanti par l’État) qu’on va percevoir dans les prochaines semaines nous a permis de tenir le coup. Autre mesure de soutien, importante aussi, le programme de réquisition du gouvernement – on transporte environ 70 % du volume de cargo par rapport à 2019, on assure quelques déplacements de et vers la métropole, notamment les rapatriements, et les Evasans vers l’Australie -. Autant de soutiens qui aident un peu la compagnie, même si cela ne fait pas tout.

Combien de temps allez-vous tenir dans ces conditions ?

Compte tenu des mesures prises, du PGE, et si nous gardons ce niveau minimum d’activité aéronautique, nous pourrons bien tenir jusqu’en juillet 2021 voire jusqu’au milieu de second semestre de l’année prochaine, voire un peu au-delà. On est sorti de cette première période extrêmement difficile. La pérennité de la compagnie n’est pas menacée dans les 6, 8, voire 12 prochains mois, sous réserve de maintenir ce minimum d’activité que nous avons.

Dans ce contexte, quelle est pour vous l’importance de l’arrivée d’un vaccin ?

Elle est essentielle pour nous comme pour tout un chacun. Le transport aérien et le tourisme (qui lui est très lié) sont les secteurs d’activité les plus touchés. Donc reprendre notre activité supposera une adaptation au niveau des mesures sanitaires. On va apprendre à voyager un peu différemment. On l’avait fait il y a une trentaine d’année quand le terrorisme a commencé à se développer dans les avions avec les attentats. Il a fallu prendre des mesures de sûreté qui demandent beaucoup de travail et qui sont parfois difficiles à vivre pour les passagers. D’un point de vue sanitaire, des évolutions sont à prévoir et nous avons commencé à les mettre en place sous l’égide de l’EMS (Service médical d’urgence) et de l’IATA (Association internationale du transport aérien). D’ailleurs, les vols que nous effectuons aujourd’hui répondent en partie à ces mesures de sûreté qu’il est nécessaire de prendre.

Deux vaccins anti-Covid semblent être annoncés pour le début de l’année, avec plus de 90 % d’efficacité. Avec pour certains pays l’exigence d’une vaccination pour pénétrer sur leur territoire, comme l’a annoncé Australie et la compagnie Qantas. Dans ces conditions, pensez-vous que les vols internationaux vont pouvoir reprendre ? 

Oui, les vols reprendront avec plus d’intensité à partir du moment où il y aura un vaccin qui sera généralisé en termes d’exigences. D’autres mesures sont aussi évoquées comme par exemple une assurance spéciale Covid sur laquelle nous travaillons. Quelle sera l’intensité de la reprise ? Difficile de se prononcer car il y aura les conséquences économiques de la crise et peut-être un peu moins de voyageurs. Une certaine inquiétude aussi et un temps de latence avant que tout le monde soit vacciné. L’industrie du transport aérien en général converge sur cette période de 4 ou 5 ans avant un retour au nominal (l’année 2019), soit pas avant 2024-2025. Ce sont en tout cas les hypothèses que nous retenons chez Aircalin.

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Sur le plan régional, c’est un peu diffèrent avec la perspective de la bulle trans-tasmane. Les Néo-zélandais peuvent se rendre en Australie et vice-versa, à condition d’effectuer une quatorzaine. La Nouvelle-Calédonie a-t-elle un espoir d’intégrer cette bulle ? 

C’est un sujet à l’ordre du jour qu’on souhaite aussi. On voudrait pouvoir faire notre métier. Mais il y a des logiques différentes. Certains pays sont dans une logique d’atténuation du risque. Chez nous, les déplacements représentent un risque, sachant que nous sommes Covid-free. L’Australie et la Nouvelle-Zélande sont timides et réservés sur la question. On le voit avec l’exemple d’Adelaïde qui s’est fermé au transport international il y a quelques jours suite à quelques cas identifiés. L’ouverture de la bulle vers les pays du Pacifique avance lentement et ne semble pas être une priorité des gouvernements australien et néo-zélandais.

Les Calédoniens peuvent-ils raisonnablement, avec la mise sur le marché d’un vaccin, espérer pouvoir voyager, au moins en Australie et en Nouvelle-Zélande, d’ici le milieu de l’année prochaine ? 

C’est en tout cas un espoir que nous partageons. Le vaccin est prometteur. Tout dépendra de son efficacité et du temps pour en disposer. Cela va prendre, me semble-t-il, quelques mois.

Y a-t-il un monopole d’Aircalin ? 

Non, mais cette idée a la vie dure ! Pour faire simple, les accords aériens se négocient d’État à État et c’est le principe de la réciprocité qui prime. Si un pays a droit à 10 rotations, l’autre a les mêmes droits. Aujourd’hui, les droits ne sont pas totalement utilisés par l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Le Japon pourrait venir 9 fois par semaine en Nouvelle-Calédonie, mais il ne vient pas. Si les compagnies ne viennent pas, ce n’est pas parce que le gouvernement ou Aircalin leur interdit. Ce serait juridiquement impossible. La vraie raison, c’est que le marché́ est trop petit.

Vous allez recevoir un nouvel appareil. Quand arrivera-t-il ?

Nous sommes en train de finaliser le processus technique d’acceptation qui aboutira d’ici la fin de la semaine. On espère avoir cet avion d’ici la fin de l’année.

Allez-vous augmenter vos tarifs si le trafic reprend mi-2021 ?

La compagnie Aircalin a perdu pendant longtemps beaucoup d’argent. Elle en perdait notamment sur le long courrier et gagnait bien sa vie sur les lignes régionales. En 2019, cela a été l’inverse. Nous constatons que sur les 5 ou 6 dernières années, notre recette unitaire a baissé de 15 ou 20 % par passager. C’est le signe qu’il y a eu plus de bas tarifs mis sur le marché. En ce qui concerne la reprise, on ne s’inscrit pas du tout dans un schéma qui consisterait à augmenter les tarifs. Ce serait une erreur.

Pourquoi ? Car la situation économique est difficile, et la concurrence va être difficile, à la fois de la part des compagnies aériennes mais aussi en matière de destinations touristiques. Si le tourisme est important pour la Nouvelle-Calédonie, il est essentiel voire vital pour Aircalin qui réalise 50 % de ses recettes sur les marchés touristiques. Nous ne sommes pas seuls. Nous vendons exclusivement la Nouvelle-Calédonie. Si le prix d’un billet d’avion de- vient un frein à la destination, il n’y aura pas de développement touristique. Nous serons donc tenus de continuer à avoir une politique tarifaire agressive vers le bas.

Il y a eu un gel des avoirs pour ceux qui avaient pris des billets et qui n’ont pas pu effectuer leur voyage. Allez-vous les rembourser ?

Nous allons les rembourser progressivement à partir du mois de mars, au bout d’un an, comme nous nous étions engagés à le faire. J’ai beaucoup communiqué sur le sujet. J’en profite pour remercier nos clients de ce soutien, même s’ils l’ont un peu subi. Nous ne l’avons pas fait pour embêter le monde. Il y avait un choix à faire. Nous avons voulu préserver la compagnie aérienne et sa pérennité avant de rembourser ces billets d’avion. C’était une question de survie pour la société.