La Polynésie française prépare sa rentrée. À partir du mardi 12 août, 60 212 élèves reprennent le chemin de l’école, dont 46 874 dans le public et 13 338 dans le privé, dans un contexte où l’État et le gouvernement polynésien conjuguent leurs efforts pour lutter contre l’absentéisme, réduire le décrochage et améliorer le climat scolaire. De nouvelles organisations pour rapprocher le lycée des îles éloignées, l’extension de dispositifs existant pour le bien-être des élèves, et un recrutement de plus en plus ancré localement témoignent d’une volonté commune : adapter l’école aux réalités uniques du Fenua. En exclusivité pour Outremers 360, Thierry Terret, vice-recteur de Polynésie française depuis 2022, a accepté de nous en dire plus sur les enjeux et les perspectives pour cette nouvelle année scolaire.
Une coopération renforcée entre le gouvernement Polynésien et l’Etat
Dans une dynamique de coopération étroite entre le gouvernement polynésien et l’État, le ministre de l’Éducation, Ronny Teriipaia, dans sa lettre de rentrée 2025-2026 (https://www.education.pf/wp-content/uploads/2025/08/LTE_2186_MEE.pdf ), place la lutte contre l’absentéisme et le décrochage, ainsi que l’amélioration du climat scolaire, au cœur des priorités de l’année.
Thierry Terret, vice-recteur de Polynésie française, décrit l’application concrète de cette complémentarité : « En vertu de la loi d’autonomie, la Polynésie définit sa politique éducative. L’État intervient en soutien, mobilisant près de 5 000 fonctionnaires détachés, apportant une expertise pédagogique, et contribuant à hauteur d’environ 600 millions d’euros par an. Cette complémentarité se traduit sur le terrain par des réunions interservices régulières, des rencontres stratégiques entre le ministre et le vice-recteur, ainsi qu’un travail en binôme entre inspecteurs du premier et du second degré, destiné à fluidifier les échanges et garantir la cohérence des actions pédagogiques sur l’ensemble du territoire. »
Le recrutement des enseignants s’ancre durablement en Polynésie
La rentrée 2025 est également marquée par la composition particulière des effectifs enseignants, comme l’explique Thierry Terret : « En Polynésie française, tous les enseignants sont des fonctionnaires d’État, rémunérés par l’État. Certains sont originaires du territoire, d’autres viennent de l'Hexagone. La répartition varie selon le niveau d’enseignement. Dans le premier degré (maternelle, élémentaire et primaire), la quasi-totalité des enseignants sont Polynésiens, car ils ont passé localement le concours de professeur des écoles, et le recrutement exige la maîtrise de l’une des langues polynésiennes. Dans le second degré (collège et lycée), où l’on compte un nombre d’enseignants similaire (environ 2 300), la proportion d’enseignants venus de l’Hexagone est plus importante : environ 750 d’entre eux sont en « séjour réglementé » c’est-à-dire mis à disposition pour deux ans renouvelables. Ce chiffre tend toutefois à diminuer, car de plus en plus de Polynésiens réussissent les concours nationaux et bénéficient du statut de « centre d’intérêts matériels et moraux » (CIMM), qui leur donne une priorité d’affectation dans le territoire. »
Toutefois, Thierry Terret précise que certaines disciplines sont d’ores et déjà saturées : « Il faudra encore une dizaine à une douzaine d’années pour que la quasi-totalité des disciplines soient couvertes par des enseignants polynésiens. Certaines filières techniques, notamment dans les lycées professionnels (cuisine, hôtellerie ou métiers spécialisés), continueront de faire appel à des enseignants de l’Hexagone, faute de formation locale. »

Thierry Terret tient également à adresser un message aux nouveaux enseignants mis à disposition (MAD). Tout en saluant leur expérience et leur niveau de compétence, il les invite à se préparer à un choc culturel : « Les enseignants que nous faisons venir sont expérimentés, sélectionnés pour leurs compétences, et généralement de bon niveau. Je n’ai pas de crainte particulière à leur sujet. Cependant, il y a un choc culturel à anticiper : la Polynésie est très particulière, les élèves aussi, et les structures ne fonctionnent pas tout à fait comme dans l’Hexagone. Un temps d’adaptation est nécessaire, que l’on souhaite le plus court possible. »
Moorea et Rangiroa : expérimentation des classes de seconde face à l’éloignement des lycées
L’immensité et la dispersion géographique de la Polynésie française, posent un défi majeur pour l’accès à l’enseignement secondaire, comme le précise Thierry Terret : « Il faut garder à l’esprit que la Polynésie est composée de cinq archipels, avec 72 îles inhabitées, et que toutes ne disposent pas de collège ou de lycée. En réalité, tous les lycées sont situés dans les îles de la Société, tandis que les collèges se trouvent principalement sur les îles principales. Cela signifie que dès le collège, une part importante des élèves, plus de 12 %, sont internes. Cette organisation implique que, dès la sixième, certains jeunes ne voient leur famille qu’à l’occasion des petites vacances. Lorsqu’ils passent au lycée, ils doivent souvent quitter leur île, que ce soit vers les îles du Vent ou sous le Vent, notamment à Tahiti, où se trouvent les plus grands établissements. Par exemple, un élève originaire des Marquises ne rentre chez lui que deux fois par an. Cette situation engendre des difficultés, parfois un décrochage scolaire ou une démotivation, malgré la prise en charge complète des frais de transport (terrestre, aérien et maritime) par le Pays. Pour y remédier, des solutions ont été imaginées, notamment pour les transitions école-collège et collège-lycée. Concrètement, un dispositif de « sixième à l’école » a été mis en place, notamment dans des îles comme Hao ou les Marquises. Les élèves suivent ainsi la classe de sixième dans leur école élémentaire, avec l’aide d’un professeur supplémentaire, ce qui leur permet de retarder leur départ en internat jusqu’à la cinquième. De même, un dispositif similaire a été instauré pour le passage du collège au lycée, avec l’ouverture d’une classe de seconde dans certains collèges. Dans ce cadre, les enseignants assurent des cours combinant les enseignements généraux, technologiques, professionnels et agricoles, offrant plus de choix aux élèves avant qu’ils ne rejoignent un lycée à Tahiti ou ailleurs. »
À Moorea et Rangiroa, où la proximité avec Tahiti n’épargne pas les contraintes, certains élèves devant se lever à 3h30 pour rejoindre les lycées de Papeete, le projet de construction d’un lycée polyvalent, jugé trop coûteux par le gouvernement actuel, a été suspendu. En l’absence de perspective de nouvel établissement, des solutions transitoires, inspirées du modèle des classes de seconde au collège, sont mises en place cette année : « Ces nouveaux dispositifs sont accompagnés d’une formation spécifique (dispensée par la direction générale de l’éducation et des enseignements, DGEE) pour les enseignants afin de préparer cette nouvelle organisation. Chaque classe accueille environ une trentaine d’élèves. » Une évaluation sera menée à la fin de l’année scolaire afin d’optimiser le dispositif et peut-être le rendre pérenne. Cependant, certains parents et élèves restent réticents à cette organisation, car à 15 ans, beaucoup aspirent à plus d’indépendance en partant étudier dans les grandes villes comme Tahiti.
Margaret's Place : un modèle pionnier pour le bien-être des élèves
Parmi les dispositifs déjà en place qui donnent d’excellents résultats, le « Margaret's Place » occupe une place à part. Implanté au sein de certains lycées, il offre un espace dédié où les élèves peuvent rencontrer, en toute confidentialité et sans passer par l’administration de l’établissement, une psychologue clinicienne. « Le Margaret's Place est un modèle assez intéressant. Il s’agit de mettre à disposition, dans un espace dédié au sein d’un lycée, la présence d’une psychologue clinicienne. Tous les élèves peuvent la consulter en toute autonomie, sans passer par les autorités de l’établissement. Le modèle économique est particulier : le foncier et les locaux sont financés par le budget du Pays, tandis que la psychologue clinicienne est rémunérée par une fondation, ce qui en fait un partenariat public-privé. Ce dispositif existe actuellement dans deux lycées, dont le lycée Diadème à Tahiti. La clinicienne y voit passer chaque année des centaines, voire des milliers d’élèves, avec une action assez unique sur la prise en charge psychologique des jeunes, dont beaucoup sont confrontés à des violences familiales ou à des questions liées au genre. Ces problématiques, qui n’étaient pas traitées auparavant, le sont désormais, avec des effets très positifs sur l’épanouissement de ces jeunes, sur le climat scolaire et, plus largement, sur la diminution des tentatives de suicide et des situations de décrochage. »
Une rentrée sous le signe de l’apaisement
Si les résultats scolaires se rapprochent de la moyenne nationale à l’approche du baccalauréat, le fossé reste important au collège, notamment le diplôme national du brevet où les écarts avec l’Hexagone et même avec d’autres territoires ultramarins demeurent significatifs, notamment au regard des décrochages qui s’amplifie au fil de la scolarité : « Globalement, la Polynésie accuse un retard plus marqué que d’autres territoires ultramarins, plus proche de Mayotte que de La Réunion sur certains indicateurs.»

Parallèlement, la Polynésie connaît une baisse démographique notable, avec la perte de 900 à 1 000 élèves par an ces dernières années. Pour autant, le Pays choisit de maintenir ses petites écoles, parfois mono-classes, dans les îles isolées, afin d’éviter que des enfants ne renoncent totalement à la scolarité : « Sur les quatre dernières années, on a perdu 7,35 % des effectifs scolaires. Le parti pris du Pays a été de maintenir le plus possible de structures scolaires. C’est très coûteux de maintenir un professeur des écoles pour douze élèves dans une île isolée. Du strict point de vue économique, c'est aberrant. Et du point de vue éducatif et pédagogique, c'est vital.»
La Polynésie compte aujourd’hui 199 écoles maternelles, primaires et élémentaires et 57 établissements du second degré, auxquels s'ajoutent une vingtaine de centres pour jeunes adolescents (CJA) : « Ces structures spécifiques à la Polynésie sont rattachées aux mairies. Elles accueillent, une partie de l’année, des élèves de collège dans un cadre pédagogique spécifique, très axé sur les activités manuelles et les projets. Les groupes y sont volontairement réduits, trois à cinq élèves maximum, avec des équipes dédiées, et les cours se déroulent dans des locaux distincts de ceux du collège. »
Pour Thierry Terret, l’année qui s’ouvre se présente sous le signe de l’apaisement : « J’espère que cette rentrée, qui s’annonce apaisée, permettra de vivre une année riche, avec la mise en place de la nouvelle charte de l’éducation du ministre Ronny Teriipaia, prévue pour janvier 2026. Cette charte doit introduire des évolutions allant clairement dans le sens de la réussite des apprentissages. »
EG