Ambassadeur de l’Union européenne pour le Pacifique jusqu’au 31 août, Sujiro Seam est désormais Ambassadeur de l’Union européenne pour l’ASEAN, basé à Jakarta, capitale indonésienne. Entre son départ des Fidji où il était basé et ses nouvelles fonctions en Asie du Sud-est, il a répondu aux questions de la rédaction, et évoque les actions et la stratégie de l’Europe pour la région, en cohérence avec la stratégie de la France pour le Pacifique et plus généralement, l’Indopacifique.
Vous étiez jusqu’au 31 août Ambassadeur de l’Union européenne pour le Pacifique : quel bilan faites-vous de ces 4 années à ce poste basé à Suva ?
J’ai pris mes fonctions d’ambassadeur de l’Union européenne pour le Pacifique juste avant le début de la pandémie de COVID-19. Avec la fermeture des frontières, mon premier défi fut de coordonner le rapatriement de plus d’un millier de citoyens européen souhaitant rentrer chez eux alors que tous les vols commerciaux avaient été supprimés.
Ensuite, malgré les restrictions imposées pour combattre la pandémie, l’Union européenne dans le Pacifique a pu trouver les moyens de poursuivre son action. Ainsi, l’adoption de la stratégie de coopération dans l’Indopacifique, permet de fixer des priorités claires pour la région : prospérité, transition verte, océans, connectivité, numérique, paix et sécurité et développement humain.
Partenaire de développement, l’Union européenne a poursuivi la mise en œuvre de son portefeuille de 156 projets, d’une valeur de 663 millions d’euros, structuré autour des axes de l’alliance bleue-verte avec le Pacifique, qui fixe le cadre de son engagement financier dans la région pour 2021-2027 : action climatique et protection de l’environnement, croissance économique durable et inclusive et valeurs fondamentales, développement humain et paix et sécurité.
Partenaire économique, l’Union européenne a poursuivi la mise en œuvre des accords de partenariat économique avec les Fidji, Samoa et Salomon et finalise les négociations d’accords similaires avec Niue, les Tonga et Tuvalu. Les négociations se poursuivent avec les Kiribati et le Vanuatu. Ces accords offrent des opportunités de développement économique aux États insulaires du Pacifique, en leur ouvrant le marché européen.
Partenaire de sécurité et de défense, l’Union européenne a étendu son projet CRIMARIO sur la surveillance maritime de l’océan Indien au Pacifique, tout en maintenant sa contribution à la lutte contre la pêche illégale, son aide humanitaire en réponse aux catastrophes naturelles qui ont frappé la région et son soutien à la lutte contre le cyber-crime.
Le soutien de l’Union européenne aux pays et territoires du Pacifique s’est traduit par un appui budgétaire à la Nouvelle-Calédonie sur l’emploi et la formation professionnelle (30 millions), à la Polynésie française sur le tourisme durable (30 millions d’euros) et à Wallis et Futuna sur le numérique (20 millions d’euros) dans le cadre du 11ème Fonds Européen de Développement.
Pour l’avenir, cet appui budgétaire cible la transition énergétique en Nouvelle-Calédonie, l’eau et l’assainissement en Polynésie française et le tourisme durable à Wallis-et-Futuna, avec un engagement financier de même niveau de la part de l’Union européenne.
A ces appuis budgétaires propres à chaque pays et territoire d’outre-mer s’ajoute un programme de coopération régionale sur la gestion durable des écosystèmes (PROTEGE) de 36 millions d’euros. Pour l’avenir, la coopération régionale cible les systèmes alimentaires durables, priorité retenue d’un commun accord entre l’Union européenne et les pays et territoires d’outre-mer du Pacifique.
Les programmes européens que vous citez sont-ils suffisants pour espérer concurrencer les puissances régionales comme la Chine ou les États-Unis, qui se livrent une bataille géopolitique dans cette région ?
Depuis plusieurs années, la compétition géostratégique s’intensifie dans le Pacifique entre d’une part la Chine et d’autre part les États-Unis et ses partenaires. Cette compétition géostratégique est certainement l’une des motivations de l’adoption de la stratégie de l’Union européenne de coopération en Indopacifique. L’Union européenne est en effet une puissance globale qui doit être dotée d’une stratégie pour cette région du monde.
Cette stratégie est néanmoins avant tout une stratégie de coopération avec les États insulaires du Pacifique et ne cible certainement pas la Chine. Les priorités de cette stratégie rejoignent celles de la stratégie 2050 pour un continent Pacifique bleu adoptée par le Forum des Îles du Pacifique. Pour l’Union européenne, la Chine est simultanément un partenaire stratégique (par exemple sur le climat), un concurrent économique (pour l’accès aux marchés) et un rival systémique (qui n’a pas la même vision du monde que l’Union européenne). Cette position vaut évidemment pour le Pacifique.
Je précise qu’avant d’être Ambassadeur de l’UE dans le Pacifique, vous étiez Ambassadeur de France aux Fidji. La France, depuis l’élection d’Emmanuel Macron, tente de jouer sa partition dans le Pacifique. Est-elle assez soutenue par l’Europe qui, depuis le Brexit, n’est plus présente dans cette région qu’à travers les PTOM français ?
Avant d’être ambassadeur de l’Union européenne pour le Pacifique, j’ai occupé pendant deux ans les fonctions d’ambassadeur de France aux Fidji, Kiribati, Nauru, Tonga et Tuvalu. La France est le seul État membre de l'Union européenne avec des intérêts souverains dans le Pacifique, avec ses territoires de Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis et Futuna.
Avant le BREXIT, le Royaume-Uni, avec Pitcairn, pays et territoire d’outre-mer britannique, était un second État-membre de l’Union européenne avec une présence souveraine dans le Pacifique. Pitcairn n’est cependant absolument pas comparable aux pays et territoires d’outre-mer français du Pacifique, avec seulement une quarantaine d’habitants.
Dans le Pacifique, la France et l’Union européenne ont naturellement des intérêts et des priorités convergentes. La stratégie de l’Union européenne de coopération en Indopacifique s’appuie évidemment sur les stratégies de ses trois États-membres dotés d’une stratégie nationale pour cette région. (Allemagne, France et Pays-Bas).
Les actions de l’Union européenne et de la France sont complémentaires dans le Pacifique. L’Union européenne est capable d’investir dans la région des montants d’aide au développement bien supérieurs à la France. Toutefois, l’approche « équipe France » permet de plus en plus d’optimiser les synergies, par exemple avec l’initiative Kiwa de solutions fondées sur la nature pour la résilience climatique.
En matière économique, les entreprises françaises implantées dans les pays et territoires d’outre-mer sont les principales bénéficiaires des accords de partenariat économique, compte tenu de la présence plus diffuse des entreprises des autres États-membres de l’Union européenne dans le Pacifique.
En matière militaire, l’Union européenne est dépourvue de moyens dans le Pacifique, mais peut s’appuyer sur les forces armées de la France en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. C’est le cas notamment en cas d’intervention humanitaire, au travers du mécanisme européen de protection civile, qui peut financer jusqu'à 75% des frais logistiques engagés par les États-membres de l’Union européenne.
Emmanuel Macron a effectué un déplacement dans le Pacifique fin juillet : en Nouvelle-Calédonie, au Vanuatu, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Est-ce que, à travers vos fonctions, vous voyez ou ressentez des résultats de son engagement, et par extension de l’engagement de la France dans le Pacifique ?
La visite du Président de la République française de la Nouvelle-Calédonie à la Papouasie-Nouvelle-Guinée en passant par le Vanuatu, ainsi que la visite de la ministre française de l’Europe et des affaires étrangères aux Fidji sont positives pour l'Union européenne. A cause de la distance, les visites de haut niveau de dirigeants européens dans le Pacifique sont rares.
Depuis la réouverture des frontières, j’ai personnellement pu me rendre de nouveau dans les 13 États insulaires du Pacifique et les 3 pays et territoires d’outre-mer où j’ai l’honneur de représenter l’Union européenne. Mes déplacements n’ont fait que confirmer que rien ne remplace les contacts face à face pour développer des relations bilatérales ou régionales avec les États du Pacifique et leurs organisations régionales.
Les visites de dignitaires d’États membres de l’Union européenne, comme des responsables politiques de Bruxelles, contribuent à développer ces relations au plus haut niveau. Elles témoignent de l’engagement politique de l’Union européenne et de ses États membres pour le Pacifique.
Dans le cas de la visite du Président de la République française, les annonces comme celle de l’ouverture d’une nouvelle ambassade de France aux Samoa, renforcent non seulement le réseau diplomatique de la France, mais aussi celui de l’Union européenne.
Dans le même esprit, l’ouverture d’une nouvelle ambassade d’Allemagne aux Fidji contribue également au renforcement de la présence diplomatique allemande et européenne dans le Pacifique. A cet égard, il est dommage qu’un problème d’avion ait empêché la ministre allemande des affaires étrangères de se rendre aux Fidji pour l’occasion.
Vous partez désormais pour Jakarta en Indonésie, plus précisément au sein de l’ASEAN. Quelles seront vos nouvelles missions ? Finalement, vous restez dans cette région indopacifique …
Après 6 ans dans le Pacifique, comme ambassadeur de France puis de l’Union européenne aux Fidji, je poursuis mon engagement européen comme ambassadeur de l’Union européenne auprès de l’ASEAN, association des nations d’Asie du Sud-Est, basée à Jakarta en Indonésie.
Ma future mission est de poursuivre le développement des relations de région à région entre l’Union européenne et l’ASEAN, qui comptent parmi les exemples les plus réussis d’intégration régionale. Ces relations s’appuient sur le sommet Union européenne - ASEAN de décembre 2022. C’est donc un bon moment pour ce nouveau défi professionnel, dans la continuité de ma mission dans le Pacifique, mais avec un autre point de vue.