Essais nucléaires en Polynésie : Un « Grenelle du nucléaire » pour le président polynésien, une commission d’enquête pour le parti indépendantiste

©Gouvernement de la Polynésie / Radio 1 Tahiti

Essais nucléaires en Polynésie : Un « Grenelle du nucléaire » pour le président polynésien, une commission d’enquête pour le parti indépendantiste

Le président de la Polynésie a demandé, dans un courrier adressé au président de la République, un « Grenelle du nucléaire » ou table ronde rassemblant tous les acteurs du dossier, y compris l’Armée, et ainsi mettre « tout à plat ». De son côté, le parti indépendantiste a déposé une proposition de résolution pour la création d’une commission d’enquête sur les conséquences des essais nucléaires. Le point avec notre partenaire Radio 1 Tahiti. 

Le président de la Polynésie Édouard Fritch, tout en relativisant les apports de la récente enquête sur les conséquences des essais, a estimé qu’elle devait tout de même « rappeler à l’État toute sa responsabilité ». C’est dans un discours devant l’Assemblée territoriale de la Polynésie, ce mardi 16 mars, qu’Édouard Fritch a évoqué l’enquête « Toxique : enquêtes sur les essais nucléaires français en Polynésie ». 

D’un côté, Édouard Fritch dénonce un « tapage médiatique » alimenté par ceux qui « veulent se faire de la publicité sur le dos des victimes » malgré le peu de « nouvelles informations » de cette enquête. De l’autre, le président espère que l’ouvrage « aura le mérite de rappeler à l’État toute sa responsabilité et le devoir de transparence qu’il doit à tous les Polynésiens qui ont souffert dans leur chair, qui souffrent encore, et qui veulent connaître la vérité ».

Il a d’ailleurs annoncé avoir écrit au Président de la République Emmanuel Macron pour lui demander l’organisation d’un Grenelle du nucléaire. L’idée : rassembler tous les acteurs du dossier – Pays, État, associations de victimes, mais surtout les ministères centraux des Armées, de la Santé et de l’Économie – autour d’une table pour « mettre tout à plat ». « Sur les conséquences sanitaires, mais aussi sociales ou économiques », précise le président. Bref, pour « enfin aller de l’avant » sur un dossier, le fait nucléaire, qui « reste le caillou dans la chaussure qui nous gêne à chaque fois que nous voulons faire un pas en avant ».

Un Grenelle qu’Édouard Fritch « espère » pouvoir obtenir avant la présidentielle de 2022. Mais qui demandera une « grosse préparation » côté polynésien, reconnaît le président, qui compte tout de même sur les questions « toujours d'actualité" posées lors de l’atelier spécifique des états généraux de l’Outremer en 2009.

« Je n’ai rien caché »

Édouard Fritch est aussi revenu sur une révélation centrale de Toxique : le rapport « confidentiel » qui lui aurait été remis en février 2020 et qui parle notamment d’un « cluster de cancers » aux Gambier. Ce qui avait amené les auteurs de l’enquête à s’interroger sur le rôle du gouvernement local dans le maintien de l’opacité autour des essais. Des interrogations relayées par le Tavini qui a plusieurs fois dénoncé, comme récemment le député Moetai Brotherson, la « posture de déni » du gouvernement d’Édouard Fritch. 

« Non, je n’ai rien caché, le gouvernement n’a rien caché », a répondu le président. La note en question, déjà publiée par Mediapart, a été rendue officiellement publique ce mardi matin. Rédigée par le médecin chef du Centre médical de suivi, elle aurait été commandée par la présidence dans l’optique d’une commission de suivi des conséquences des essais, et se limiterait à faire une synthèse de données déjà publiques.

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Elle n’aurait d’ailleurs « pas alimenté la réflexion du gouvernement », par « l’absence de nouvelles informations ». « Tout le monde sait dans cette Assemblée que le nuage radioactif a touché Rikitea dès le premier tir en 1966, précipitant le départ des autorités nationales et locales qui étaient présentes sur l’île, dont le général Billotte, qui était ministre de l’Outre-mer, et un certain Gaston Flosse », a pointé le président, rappelant que le rapport de la commission d’enquête de 2006 insistait déjà sur les conséquences sanitaires aux Gambier. 

« A l’époque, avant le Covid, ce mot cluster m’a paru faible : cet archipel, on le sait, a été entièrement sinistré », renchérit Édouard Fritch. Réactivation de la délégation au suivi, reconnaissance du fait nucléaire, suppression du risque négligeable… Le président verse à sa défense les initiatives – jugées timides par les associations de défense des victimes – prises depuis son accession au pouvoir sur le dossier nucléaire. 

Et l’assure : c’est la « recherche de vérité et de transparence qui guide notre majorité ». « Je l’ai dit publiquement dans cette enceinte, il y a eu mensonge, propagande et dissimulation sur la réalité des conséquences des essais nucléaires », a-t-il ajouté. « La confiance des Polynésiens a été flouée, le poison de la défiance s’est installé dans les esprits. Seule la connaissance peut être son antidote ».

“Consensus”

De son côté, le groupe indépendantiste à l’Assemblée locale, le Tavini Huiraatira*, a déposé une proposition de résolution pour que soit créée au sein de l’institution une commission d’enquête, composée de deux membres de chaque groupe, « qui aura pour mission d’établir un rapport sur les conséquences sanitaires, et notamment génétiques, des essais nucléaires français en Polynésie française, au vu des nouveaux éléments (…) ».

« Les grands esprits se rencontrent », a ironisé Richard Tuheiava sur le discours du président polynésien. L’ancien sénateur et élu indépendantiste veut « profiter du consensus » sur le sujet. Même s’il regrette que « lorsque ça vient d’ici, on ne nous croit pas, mais lorsque ça vient d’ailleurs, c’est du pain bénit. (…) ». Et s’il peut y avoir des commissions au niveau national ou international, insiste l’élu, « c’est quand même à nous d’abord, représentants élus polynésiens, de prendre l’initiative d’avoir une commission chez nous, parce que les victimes, elles sont chez nous ». 

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Si de nombreux éléments de Toxique étaient connus – certains des documents sur lesquels se basent les journalistes de Disclose sont déclassifiés depuis 2003 – le grand public n’était pas forcément au courant et, dit l’élu, « pour les victimes toute nouvelle révélation est une victoire ». « Il y a eu des crimes », poursuit Richard Tuheiava, évoquant des témoignages qu’on ne trouve pas dans les rapports scientifiques, comme l’épisode de la contamination de Tureia, mais qui touchent « à un sentiment de trahison ».

Pour rappel, la députée UDI Maina Sage, proche d’Édouard Fritch, a demandé une Commission d’enquête parlementaire à l’Assemblée nationale, à la sortie de l’enquête Toxique

Charlie René et Caroline Perdix pour Radio 1 Tahiti

*Fondé en 1977 par Oscar Temaru, le parti indépendantiste Tavini Huiraatira a, depuis sa création, milité contre les essais nucléaires en Polynésie.