Le dernier point de conjoncture de l’Institut de la statistique en Polynésie (ISPF) confirme la bonne reprise de l’économie polynésienne au deuxième trimestre. Tourisme, consommation des ménages, emploi… Les indicateurs sont au vert et laissent entrevoir un niveau d’activité équivalent à celui de 2019 en fin d’année, même après correction de l’inflation. Reste à savoir si cette embellie est durable : la hausse des prix, le contexte international, ou les échéances électorales sont autant d’éléments qui pourraient gripper la machine économique dès 2023. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
L’économie polynésienne s’est-elle remise de la crise Covid ? En grande partie, d’après les chiffres de l’ISPF, qui a diffusé ce matin un point conjoncture économique portant sur le deuxième trimestre de 2022. L’évolution de l’activité sur un an est impressionnante : le chiffre d’affaires des entreprises a bondi de 17% sur un an et a même doublé dans le secteur du tourisme. Pas étonnant, puisque le deuxième trimestre 2021 était encore marqué par d’importantes restrictions de vols liées à la pandémie.
Mais d’autres secteurs ont eux aussi progressé et notamment le commerce, qu’il soit de gros (+12%) ou de détail (+9%). Des chiffres qui ont, pour beaucoup, rattrapé les niveaux d’avant-crise, mais qui sont calculés « en valeur ». Ils reflètent donc autant la bonne reprise de la consommation des ménages que la hausse des prix de ces derniers mois. Mais à l’ISPF, on l’assure : l’activité polynésienne devrait, d’ici la fin de l’année, avoir retrouvé son niveau de 2019 « en volume », c’est à dire hors inflation. Du côté de l’emploi c’est déjà le cas : 59 000 salariés en équivalent temps plein fin août, c’est 1 000 de plus qu’en 2019, et c’est un record trimestriel sur près de 15 ans.
Derrière les bons chiffres des « situations très difficiles »
Moins de trois ans pour corriger les effets de la crise : un redressement inespéré après les 7% de récession de 2020, à peine corrigés par les 2,4% de croissance de 2021, et surtout au vu des conséquences des crises précédentes. Il avait fallu une dizaine d’années à l’économie polynésienne pour retrouver son activité après la crise de 2008. « Les conditions de la crise sont très différentes et le retour des touristes est très dynamique » rappelle Julien Vucher-Visin, responsable des études économiques à l’institut de la statistique. Et la différence, ce sont aussi les aides massives de l’État et du Pays qui ont permis le rebond que la Polynésie connait aujourd’hui.
Pourtant le ciel n’est pas entièrement dégagé au-dessus de l’économie polynésienne. Et le plus gros nuage, c’est justement l’inflation. +7,2% sur un an en août, notamment sur l’alimentation (+8,2%), les hausses concernent les produits importés, mais aussi sur les produits et services locaux, de même que le logement ou les loyers. Même si l’ISPF observe quelques signaux positifs – les prix augmentent « toujours, mais de moins en moins vite » – la hausse des prix « commence sérieusement à rogner sur le pouvoir d’achat », reprend l’analyste. « On a une consommation globale revenue à des niveaux antérieurs, mais les situations individuelles, pour ceux qui n’ont pas accès au monde du travail doivent être très difficiles », note-t-il.
Énergie, salaires, inflation… Et élections
Et l’inflation ne pèse pas seulement sur les porte-monnaie mais aussi sur l’investissement des entreprises, les petits et grands projets, souvent remis à plus tard en cas de surchauffe. C’est du côté de l’international que les regards des analystes se tournent désormais. L’évolution de la guerre en Ukraine, les conséquences de l’inflation sur la croissance des grands marchés émetteurs de touristes que sont l’Europe et les États-Unis, les tarifs du fret et le taux de change de l’Euro et bien sûr les cours du pétrole et des énergies… Beaucoup d’éléments pourraient venir gripper cette reprise, note l’ISPF, qui parle « d’incertitude » sur le contexte international.
« Les masques tomberont au cours de l’année 2023 » pointe Julien Vucher-Visin, qui ajoute à la liste des paramètres à surveiller la politique salariale qui sera menée en Polynésie dans les mois à venir. Ou le « degré de transmission » des hausses de prix subis par une bonne partie de l’appareil productif dans le reste de l’économie. Enfin, si l’ISPF n’étend pas son analyse à ce domaine, c’est le calendrier électoral qui a de quoi inquiéter : la campagne des territoriales, et le scrutin d’avril a de quoi paralyser les institutions pendant quelques mois, à un moment où ce sont les politiques publiques qui doivent s’assurer de la durabilité de la croissance. Bref, du point de vue économique, pas de raison aujourd’hui de se lamenter, mais les mois à venir ont de quoi inquiéter.
Charlie René pour Radio 1 Tahiti