Une nouvelle analyse des données de l’étude Global FinPrint, parue ce jeudi dans le magazine Science, chiffre à 50% voir 60% les baisses de population de requins de récif dans le monde. Surpêche, destruction des habitats, et dans une moindre mesure, réchauffement climatique… Des extinctions d’espèces sont plus que jamais redoutées. Si la Polynésie apparaît comme un territoire préservé, voire même une « référence » mondiale, c’est surtout parce que bon nombre de ses récifs sont éloignés des pressions humaines. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.
Près de 400 sites dans une soixantaine pays, plusieurs centaines de scientifiques et de volontaires appliquant un protocole standardisé, 22 000 heures de vidéos analysées… Rien n’a été laissé au hasard dans l’étude Global FinPrint, réalisée entre 2015 et 2018 dans l’essentiel des zones tropicales et récifales de la planète.
L’idée : s’appuyer sur un échantillonnage d’une ampleur inédite pour « dénombrer les différentes espèces de requins et raies de récif et leur densité à l’échelle planétaire, afin de mieux comprendre les facteurs qui menacent aujourd’hui leur survie ». Ou, au contraire, « ceux qui permettent la conservation » de ces animaux « précieux pour les écosystèmes et donc pour l’homme ».
Les premiers résultats, publiés dans la revue Nature en 2020, n’avaient déjà rien d'enthousiasmant. La nouvelle analyse qui fait l’objet d’une publication, ce jeudi matin, dans la toute aussi prestigieuse revue Science, est encore plus alarmante. Les espèces de requins les plus fréquemment observées sur les récifs ont perdu « 50 à 60% » de leur effectif, explique Éric Clua, vétérinaire et biologiste marin attaché au Criobe, responsable de la partie polynésienne de la récolte des données et co-auteur de cette nouvelle analyse.
La Polynésie, « référentiel qui permet de voir que dans les autres pays, c’est la catastrophe »
Cette impressionnante chute de population, mesurée à l’aide de modèles mathématiques et d’extrapolation de données datant d’il y une dizaine d’année, touche notamment, au niveau mondial, des requins comme le raira (requin gris de récif), le Pointe-Noire, ou le requin nourrice. Les données de FinPrint ont déjà permis de réviser le statut UICN de certaines de ces espèces, désormais considérées comme « vulnérables » voire même « menacées ».
Et les auteurs insistent, justement, sur un risque d’extinction de plus en plus prégnant pour plusieurs espèces de requins de récifs. « Évidemment en Polynésie ça va surprendre les gens, parce qu’ils n’ont pas cette impression là, mais il faut comprendre que la Polynésie est le pays au monde où les densités et diversités sont les plus importantes », explique le spécialiste. « La Polynésie devient presque le référentiel de base, qui permet de voir que dans les autres pays, c’est la catastrophe ».
La relative bonne santé des récifs polynésiens, où quelques 4500 heures de vidéos d’étude ont été enregistrées en 2016 et 2017, avait déjà été constatée dans la première salve d’analyse des données. Pour l’expliquer, Éric Clua cite bien sûr le sanctuaire marin installé sur toute la ZEE en 2006 pour l’ensemble des espèces de requins, à l’exception du Mako, protégé à partir de 2012.
La pêche et la destruction des habitats côtiers en cause avant le réchauffement climatique
« Cette mise sous cloche a pu jouer », continue le biologiste, qui note, au niveau mondial, une relative efficacité des aires marines protégées dans la sauvegarde des populations de requins de récifs. « Mais quand on fait des études en Polynésie, on se rend bien compte que peu de gens savent qu’il y a un sanctuaire, peu de gens savent qu’il ne faut pas tuer les requins ».
D’où la deuxième explication, probablement plus importante, à la survie des squales sur nos récifs : la faible densité humaine dans l’immense espace maritime de la Polynésie française. « Il faut bien le reconnaître, il y a une volonté politique, pas forcément d’une grosse efficacité, mais en plus une structure géographique de la Polynésie qui protège les requins parce qu’elle les éloigne de l’homme », résume le spécialiste.
Car du côté des causes de cet effondrement, aucun doute n’est désormais permis : l’homme est directement responsable. La surpêche, dont les effets délétères sont de plus en plus documentés, apparaît encore une fois comme un facteur majeur de disparition. Mais en ce qui concerne les requins de récifs, la destruction des habitats semble aussi jouer un rôle primordial. « Beaucoup d’espèces ont besoin d’habitats côtiers en bonne santé pour se reproduire » rappelle Éric Clua.
Et le changement climatique ? « Il y a des effets qui sont étudiés, notamment sur les nurseries de requins : l’eau devient plus chaude, un peu plus acide, moins oxygénée… On se rend compte que tout ça va aussi peser sur la résilience de ces espèces, mais je le répète, s’il y a un vrai responsable, c’est l’homme ».
Les campagnes d’abattages « aveugles » de la Nouvelle-Calédonie et La Réunion pointées du doigt
Le vétérinaire et biologiste marin profite de ces résultats pour dénoncer les décisions prises à La Réunion, et depuis peu, en Nouvelle-Calédonie dans les « crises requins ». Après des séries de morsures, ont été ordonnées des « campagnes de régulation » à l’occasion desquelles des dizaines de requins sont abattus, sans que l’efficacité de ces décisions soit établie ou même mesurée.
« Bien sûr qu’une morsure d’un requin sur l’homme, c’est tragique, on est tous d’accord là-dessus, mais il ne faut pas réagir de la mauvaise façon », continue le spécialiste. « Si je me permets de faire cette réflexion, c’est parce que nous au Criobe, on travaille sur des solutions qui via la génétique permettrait d’identifier les requins mordeurs. Et si on doit neutraliser certains requins pour limiter le risque sur l’homme, ce sont ces requins là et seulement ces requins là qu’il faudrait retirer de l’écosystème. Aujourd’hui on tue des centaines de requins à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie sans raison, et dans le contexte qui est celui de notre étude qui montre que les requins sont de plus en plus en danger ».
Charlie René pour Radio 1 Tahiti