Série-Un retour à la (brique de) terre (1/3) : Un matériau qui a fait les beaux jours de Mayotte

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Série-Un retour à la (brique de) terre (1/3) : Un matériau qui a fait les beaux jours de Mayotte

Les effets du réchauffement climatique imposent de nouvelles normes en matière de construction. La chasse est donc lancée pour les matériaux à basse consommation énergétique. La brique de terre stabilisée a le vent en poupe, par exemple, y compris dans l’Hexagone et les autres départements d’outre-mer. Précurseur dans ce domaine, Mayotte voit émerger une nouvelle génération de producteurs, plus formés que leurs prédécesseurs. Pour ce premier article de cette série consacrée à la production de brique de terre à Mayotte, notre partenaire Mayotte Hebdo retrace l'histoire de ce matériau et son rôle dans l'économie de la construction de l'habitat mahorais.

 

La voilà qui renaît de ses cendres et ambitionne de retrouver et dépasser la position centrale d’antan dans la construction à Mayotte. La brique de terre stabilisée est à la mode partout dans le monde, y compris en Europe et dans les départements d’outre-mer des Antilles-Guyane. Alors forcément, Mayotte qui en a été le grand précurseur il y a plus de 40 ans, se réveille enfin d’une longue léthargie et veut occuper sa juste place dans ce mouvement en marche. L’histoire contemporaine de l’île est intrinsèquement liée à cette brique qui a permis de loger des milliers de familles dont les fonctionnaires expatriés à partir des années 80. Ici, la brique a été le poumon d’une économie participative, procurant du travail à des centaines de personnes réparties aux quatre coins du territoire. Elle est le fruit d’une réflexion visant à faire évoluer l’habitat traditionnel mahorais fait alors de différents matériaux naturels locaux, à la longévité très courte (cases en feuilles de cocotiers tressées, communément appelé mtsévé, cases en feuilles de rafia ou mévangate qui étaient de plusieurs catégories, cases en terre rouge mélangée à de la paille sèche ou des feuilles de bananiers), mais très peu coûteux.

En 1978, sous l’impulsion de Younoussa Bamana, alors président du conseil général de Mayotte, un grand et ambitieux programme d’habitat social est lancé. Destiné à lutter contre l’insalubrité et avec un budget conséquent, il se voit fixer comme principal objectif de doter d’une case en dur 10.000 Mahorais sur une population totale de 50.000 habitants. La commande politique était très claire, surtout pas de maisons en préfabriquées importées d’ailleurs. L’idée se faisant peu à peu son chemin, le programme a pris des allures de fierté territoriale : construire pour Mayotte, avec une matière première et une main d’œuvre locale pour éviter l’assistanat. Évidemment, un autre élément important rentrait dans cette équation, ne pas recourir au sable marin, pratique courante sous la colonisation, mais avec des effets néfastes multiples. Trois personnes, Pierre Perrot, Jacques Maurice du Cratère de Grenoble (centre de recherche sur la construction en terre) et le sociologue américain John Breslar, sont alors missionnées pour étudier la possibilité de doter le territoire d’un véritable habitat à travers ce programme. Un casse-tête chinois sachant qu’il n’existait aucun concasseur sur l’île à l’époque. En dehors des matériaux naturels disponibles sur place, quelques autres éléments étaient importés par la Musada (entraide en mahorais), une coopérative qui avait donné assise à une économie étatique profitant d’avantage à la spéculation plutôt qu’au commerce.

Les premières presses à briques de Mayotte 

Aux Comores voisines, l’éphémère mandat du président Ali Soilihi (premier chef d’État après la proclamation de l’indépendance en juillet 1975) aux idées marxistes-léninistes avait introduit dans l’archipel des presses à briques qui avaient aussi vite disparu. Eureka ! Les trois missionnaires venaient de trouver la solution au défi lancé par les décideurs politiques mahorais. La brique de terre stabilisée venait de voir le jour à Mayotte. Les premières expériences sont menées en 1980. L’année suivante, ce sont 32 presses manuelles qui prirent place dans les 17 communes de l’île. Une couverture nécessaire car il fallait limiter au mieux de transporter le précieux matériau sur de longues distances pour éviter les casses.

Les presses étaient des outils démontables qui permettaient de produire plus de 407 briques par jour. Le rêve de Younoussa Bamana était devenu réalité, la production de briques de terre stabilisée avait fait la promotion de l’artisanat à Mayotte et généré plus de 250 emplois sur l’ensemble de ce secteur nouveau. La Société Immobilière de Mayotte (SIM) qui avait été créée pour matérialiser le programme d’habitat voulu par les élus locaux, avait construit et mis à disposition d’artisans locaux, les 17 premières briqueteries (à raison d’une par commune). Chaque unité gênerait quatre emplois, payés à la tâche. Au total, sur l’ensemble du territoire, ce sont 12.000 briques qui étaient produites quotidiennement, soit un million de pièces dans l’année. Mayotte venait de se doter d’une énorme capacité de production pour son programme d’habitat. En effet, la brique était déclinée autant pour l’habitat social, que locatif ou privée, les écoles et différents édifices publics. Face à l’urgence et aux objectifs fixés, il s’agissait de mettre en valeur des traits de construction et non d’architectes.

Pour former les ouvriers poseurs de briques, les Compagnons de France avaient aidé, la coopérative Musada exerçant une certaine forme de tutorat. Ainsi, Mayotte a pu produire en ces temps–là plus de 1.000 logements par an dont une moitié en briques de terre stabilisée, le choix étant évidemment laissé aux demandeurs.