Mayotte: La justice administrative est au cœur des enjeux de l’égalité d’accès au droit

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Mayotte: La justice administrative est au cœur des enjeux de l’égalité d’accès au droit

Les audiences collégiales reprennent au tribunal administratif de Mamoudzou. La crise sanitaire a, là encore, perturbé la vie quotidienne des citoyens de Mayotte. En 3 semaines ce sont pas moins de 150 affaires qui seront jugées. Le Président Cornevaux revient avec nous sur l’évolution des dossiers qui arrivent au tribunal Administratif de Mayotte. Une interview de notre partenaire France Mayotte Matin.



FMM : Vous reprenez les audiences collégiales, est-ce à dire que la justice administrative a pâti à Mayotte de la crise sanitaire ?

Gil Cornevaux : Le confinement a perturbé l’organisation des audiences collégiales tout comme les restrictions de déplacement entre la Réunion et Mayotte. Vous le savez les 12 magistrats du tribunal administratif de Mayotte siègent aussi à La Réunion. Nous avons rencontré plus de difficultés que d’habitude à nous déplacer. Je suis à Mayotte pour 3 semaines, nous allons juger les affaires en instance en audience collégiale. Chacune mobilise 3 magistrats et un rapporteur public, un juge est à Mayotte et le reste de la formation de jugement à La Réunion en visio.

On ne peut pas dire que la justice administrative à Mayotte ait eu à souffrir de la crise sanitaire, elle a eu à s’adapter à celle-ci comme d’autres secteurs. En 2020 avec le confinement complet sur toute la planète et en France en particulier du 16 mars au 17 septembre, 528 dossiers sont entrés et on en a jugé 44. Les référés sont statués et rendus par visio. Les dispositions législatives en ce moment nous permettent de procéder ainsi jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire. C’est une ordonnance qui en fixe le principe.

FMM : L’activité i de la Préfecture augmente en matière de lutte contre l’immigration clandestine, est-ce que cela a un impact sur le tribunal administratif ?

Gil Cornevaux : oui bien sûr, le nombre de référés liberté a significativement augmenté et ce n’est pas sans poser de problèmes. Au 31 mai 2021 nous avons 2 mois d’avance d’enregistrement de dossiers par rapport à 2019, en mai 2021 on a le chiffre de juillet 2019. Le tribunal administratif de Mayotte fonctionne comme si de rien était, pourtant la projection donne 4300 dossiers à la fin de l’année soit une augmentation de près de 40%à effectif constant.
Au 31 mai 2021 on a traité 1200 référés libertés. Pour l’année 2019, on avait traité 1024 référés liberté. On traite plus de 100 dossiers de référés liberté par semaine, nous avons un délai pour répondre, les autres dossiers risquant de prendre du retard.

FMM : Les référés libertés ne concernent que les questions de LIC

Gil Cornevaux : Non, c’est l’immense majorité. Cependant, sont apparus de nouveaux dossiers relatifs aux motifs impérieux, au port du masque, à des contestations des dispositions administratives : couvre feu et autres. Certains sont quand même incroyables. Il y a cette affaire concernant un enseignant qui prend sa retraite, qui est confiné ici donc bloqué, donc il n’est pas content. Il saisit la justice administrative pour demander un avion pour aller prendre sa retraite à saint Malo. Il a demandé au juge d’ordonner d’affréter un avion.

Un autre requérant a posé la question 3 fois au juge de l’autoriser à aller en métropole suite au refus de son dossier sur la plateforme de la préfecture au motif qu’il n’avait pas de motifs impérieux. 3 fois la préfecture lui a refusé d’embarquer, 3 fois il a saisi le juge en refusant de nous présenter ses motifs impérieux arguant du fait qu’il les avait déposé sur le site de la préfecture. Ce monsieur est venu 3 fois de suite devant le juge des référés liberté en disant que c’était un abus de droit.

La troisième nous lui avons répondu qu’en vertu de l’article R741-12 du code de justice administrative, il pouvait avoir une amende de 10 000e s’il revenait devant nous dans les mêmes dispositions d’esprit.

FMM : Face à cette augmentation des dossiers, la création d’un tribunal administratif à Mayotte ne serait-elle pas nécessaire ?

Gil Cornevaux : C’est indispensable, le système que j’ai mis en place fonctionne mais a ses limites on l’a vu avec le confinement. La montée en charge des deux tribunaux l’implique. Nous sommes 12 pour les deux juridictions, La Réunion ce sont 1600 dossiers. A Mayotte avec les projections, on en dénombre 4300 ; soit environ soit 5500 dossiers. Dans certains tribunaux de métropole à 5000 dossiers ils sont entre 16 et 18 magistrats...
L’organisation des décisions sur le droit d’asile doit être simplifié et réorganisé. Le Président Macron voulait juger plus et plus vite et ici c’est une nécessité, il faudrait territorialiser la CNDA.

Un demandeur d’asile doit rester sur le territoire le temps qu’on étudie le fondement de la demande à savoir s'il est en danger chez lui. C’est inacceptable de le juger au bout de 3 ans quand il a commencé à s’investir dans une nouvelle vie ici et que l’on rejette sa demande. Ce n’est pas possible, on doit traiter les gens humainement, en un an la question doit être réglée.
La CNADA à Mayotte a 900 dossiers en retard, elle n’arrive pas à les juger, la préfecture en a 2000 autres en stock. Au tribunal administratif, on sort 100 référés libertés par semaine, comment une CNDA peut avoir 900 dossiers en retard ?

FMM : Peut-on espérer voir ce tribunal se mettre en place ?

GC : Il faut maintenant convaincre pour l’obtenir.

Propos recueillis par Anne Constance Onghéna