Dans un contexte sanitaire extrêmement difficile, Sergio Albarello, médecin militaire urgentiste, a accepté le poste de directeur de l’Agence Régionale de Santé (ARS) à Mayotte. Confronté à de nombreux défis, il s’engage à apporter son expertise pour améliorer les conditions de l’accès aux soins sur l’île et attirer de nouveaux médecins. Précisions avec l' interview de notre partenaire France-Mayotte Matin.
France Mayotte Matin : Mayotte, terre de tous les défis, avec une situation sanitaire plus que complexe. Pourquoi avoir voulu devenir le directeur de l’ARS à Mayotte et arriver dans un contexte aussi dégradé ?
Sergio Albarello : La question n’est pas de vouloir, je suis médecin militaire, urgentiste. À ce titre, on veut apporter à l’ensemble des concitoyens de la Ré- publique notre savoir-faire, c’est ce que je compte faire. J’ai envie d’apporter mes connaissances à Mayotte pour développer le Programme Régional de Santé (PSR). Mayotte est une situation très difficile, ce n’est pas la première fois que je viendrai, j’ai travaillé à Mayotte sur la mise en place du plan choléra et aussi comme médecin régulateur au SAMU.
France Mayotte Matin : La situation des urgences est très dégradée, on a le sentiment que la grille salariale des médecins n’a plus de sens et qu’elle rajoute de la difficulté pour recruter ?
Sergio Albarello : La situation des urgences est très dégradée, c’est vrai. Mon rôle est de convaincre les médecins pour qu’ils envisagent une partie de leur avenir à Mayotte, de venir y travailler ou de revenir y travailler, ce qui sous-entend de travailler sur l'organisation des urgences et du CHM, de travailler sur la revalorisation. La question des salaires est importante, mais ce n’est pas le seul critère pour attirer les médecins. Nous devons revoir la politique RH.
France Mayotte Matin : Vous êtes médecin, le fait d’avoir choisi un médecin pour venir parler aux médecins, c’est un choix stratégique dans le contexte actuel ?
Sergio Albarello :C’est une aide, c’est indéniable. Je connais Mayotte et le CHM en particulier. Je suis déjà venu plusieurs fois sur les deux dernières années. J’ai renforcé la régulation du SMUR pendant un mois. Je connais l’ampleur du travail à réaliser et j’avais lancé le programme MHP ou comment mettre en place un SMUR paramé- dicalisé comme en métro- pole parce que nous avons de moins en moins de médecins urgentistes. Je suis très conscient de la situation locale. Je viens aussi en toute connaissance de cause. Je suis aussi venu fin janvier comme directeur de crise pour apporter une réponse de santé et mettre en place le plan de lutte contre le choléra. Un médecin comme directeur de l’ARS peut avoir un regard différent.
France Mayotte Matin : Vous allez vous attaquer à la question des médecins étrangers sans validation de leurs compétences qui seront autorisés à travailler à Mayotte et qu’à Mayotte. Ne trouvez-vous pas ça choquant ?
Sergio Albarello : Je tiens à vous rappeler que les validations des compétences répondent à un circuit. Ces praticiens seront des contractuels, ils exerceront sous la responsabilité des chefs de service. C’est dans cet état d’esprit que nous évo- luons sur ce sujet : on fait venir des médecins sélec-tionnés, les dossiers sont regardés pour leur parcours, les responsabilités qu’ils ont eues, ils travailleront sous l’autorité du chef de service et ensuite ils pourront passer les équi- valences d’autorisation pour exercer sur l’ensemble du territoire.
France Mayotte Matin : Ne pensez-vous pas qu’une telle dérogation à Mayotte ne va pas renforcer le sentiment que le CHM est un hôpital pour les clan- destins et pas pour les Mahorais ?
Sergio Albarello : Lors de ma petite expérience d’avoir travaillé au CHM, je ne faisais aucune différence, et je vous assure qu’il y avait beaucoup de Mahorais à prendre en charge. Je salue le travail exceptionnel des personnels de l’hôpital qui ont toujours été présents à leur poste, notamment lors de chacune des crises et elles ont été nombreuses. Ils ont honoré leurs missions et apporté des réponses médicales. Le CHM n’est pas un hôpital pour les clandestins. Ce n’est pas entendable ! C’est un hôpital pour prendre en charge toutes les personnes qui en ont besoin.
France Mayotte Matin : Quelle est votre feuille de route ? Tout remettre au carré et rétablir l’ordre ? Ou bien aussi poursuivre le développement d’une offre de soins pour répondre aux besoins ?
Sergio Albarello : Je ne suis pas les forces de l’ordre. Je ne suis donc pas là pour rétablir l’ordre, mais je vais m’efforcer de poursuivre les partenariats qui ont commencé à être signés. C’est une richesse pour Mayotte. Je peux même vous confirmer que je vais les développer. Je vais aussi développer les parcours de formation pour suivre des enseignements sur le territoire. C’est un bon moyen pour fidéliser les personnels et accéder aux responsabilités. C’est essentiel, je le pense. Je pense notamment aux infirmières de bloc ou aux infirmières anesthésistes ou les infirmières en pratiques avancées. Je pense également aux formations indispensables pour le SMUR paramédicalisé. Ce sont des opportunités de carrière pour les personnels. Il y a beaucoup de chantiers sur l'enseignement. Le ministre Valle- toux avait annoncé la mise en place de la formation des sages-femmes à Mayotte et le début de la formation des médecins. Je mettrai en place ce qui a été annoncé par le ministre.
France Mayotte Matin : L’épidémie de choléra se développe ? Qu’allez-vous faire ?
Sergio Albarello : Laissez-moi le temps d’arriver. Dès mercredi matin, je regarderai l'ensemble des dossiers, dont celui du choléra en particulier. Aujourd’hui, nous avons des cas de choléra et cinq décès. L’ARS a fait un trèsgrand travail, la maladie a été éradiquée dans certaines zones et nous avons des petits foyers régulièrement. Les équipes de l’ARS circonscrivent, c’est contenu, mais ce n’est pas éteint.
France Mayotte Matin : Quel est le premier dossier pointé comme étant prioritaire ?
Sergio Albarello : La situation de l’hôpital. Il y a un problème RH au CHM, il faut qu’on puisse faire venir des médecins.
France Mayotte Matin : L’attractivité complexe n’est pas simplement à cause des questions de rémunération. L’insécurité, le mauvais niveau scolaire ont autant de freins sur lesquels vous n’avez pas la main. Comment allez- vous convaincre ?
Sergio Albarello : Il y a des freins majeurs extérieurs, il faudra prendre son bâton de pèlerin, discuter avec les médecins. Le CHM a déjà mis en place des choses intéressantes : logement pris en charge, voiture louée, c’est non négligeable et on va continuer là-dessus, médecin par médecin. Ma priorité, c’est l’hôpital pour apporter les réponses indispensables au territoire et je ferai tout pour essayer d’apporter ma pierre à l’édifice et résoudre chaque difficulté au fur et à mesure qu’elles se présenteront.
Par France-Mayotte Matin