INTERVIEW . Gérard Lebon, Président de La CPME Réunion : « Nous souhaitons continuer à faire le pari de la production locale et de la réindustrialisation de La Réunion»

© DR

INTERVIEW . Gérard Lebon, Président de La CPME Réunion : « Nous souhaitons continuer à faire le pari de la production locale et de la réindustrialisation de La Réunion»

Le 8 décembre dernier, Gérard Lebon est devenu le nouveau Président de la CPME Réunion, premier syndicat interprofessionnel d’entreprises sur l’île. Il succède à Eric Leung. Pour Outremers 360, le nouveau président nous dévoile ses ambitions pour 2022, les dossiers prioritaires pour la CPME comme la défense de l'ancrage territorial des entreprises réunionnaises, le renforcement des trésoreries et la relance économique.

 

Outremers 360 : Vous avez placé votre mandature sous le signe de la proximité avec les entreprises réunionnaises, comment cela va se concrétiser ? Quels secteurs d'activité feront l'objet d'une attention de votre part ?

Gérard Lebon : Vous n’êtes pas sans savoir que nous vivons depuis deux ans une crise sanitaire exceptionnelle qui impacte fortement la vie de toutes nos entreprises et de nos concitoyens. Pour autant, j’entend remercier nos chefs d’entreprises pour les qualités dont ils font preuve depuis que dure cette crise qui ne cesse de perturber notre quotidien.

Si l’Etat a tenté de nous accompagner avec plus ou moins de réussite, nos entrepreneurs ont su continuer à travailler au développement de notre territoire avec toujours plus d’emplois créés et ce malgré les contraintes et les incertitudes.

Certains secteurs en lien avec le tourisme et l’événementiel souffrent plus encore de la crise. Nous serons particulièrement à leurs côtés dans les mois à venir. D’autres entreprises ont été fragilisées et appréhendent une relance qui s’annonce incertaine. Avec nos partenaires et dans le cadre de la stratégie nationale de sortie de crise, nous serons vigilants à ce qu’ils bénéficient d’un accompagnement adapté. Personne ne devra être laissé au bord du chemin.

Lire aussi : Éric Leung passe le flambeau à Gérard Lebon à la direction de la CPME Réunion

Outremers 360 : Après plusieurs crises sanitaires qui ont durement touchées l'économie réunionnaise, comment la CPME de La Réunion va accompagner les PME et les TPE ?

Gérard Lebon :  La CPME va rappeler à l’Etat son mot d’ordre du « quoi qu’il en coûte » qu’il n’a jamais été question de limiter dans le temps. Par ailleurs, nous n’accepterons aucune restriction à la liberté d’entreprendre qui ne soit pas pleinement justifiée. Et en cas de restriction comme celles qui frappent les discothèques ou par ricochet les acteurs de l’événementiel, il faudra que l’Etat soit là.

Principal sujet de préoccupation, celui de la trésorerie des entreprises. Il faut se rappeler en effet que les fonds propres de nos entreprises sont particulièrement dégradés et qu’elles ont dans le même temps contracté des dettes (comme avec le PGE ou le décalage du paiement des charges sociales) qu’il faudra régler dans les mois et années à venir. Plus la reprise économique se fait attendre et plus la tension sur la trésorerie des entreprises grandit et les inquiétudes montent face à ce mur de dettes.

On ne peut en outre ignorer l’impact particulier du renchérissement des prix des matières premières et parfois de leur raréfaction pour nos économies. Le baromètre des prix mis en place par le Préfet de La Réunion est venu confirmer cette réalité.

Nos structures économiques insulaires nous obligent à avoir des stocks importants, situation accentuée par les tensions sur le trafic maritime. Entre les difficultés à acheter la matière première du fait d’une concurrence exacerbée dans un marché mondial sous tension ; les difficultés à acheminer ces produits dans notre île du fait d’un trafic maritime chaotique et de prix en explosion ; l’obligation de paiement immédiat en raison de la dégradation de la notation crédit-fournisseur en lien avec la situation économique dégradée par la pandémie, nos entreprises sont étranglées.

A cela s’ajoute les réticences des opérateurs bancaires de la place à évaluer avec discernement (au regard de la crise économique du fait de la pandémie) la notation de nos entreprises.

Dès le début, la CPME s’est battue pour demander une durée de remboursement plus longue, d’autant que s’ajoutent au PGE d’autres dettes (Urssaf, loyers etc.). C’est la raison pour laquelle on défend l’idée de regrouper toutes les dettes des entreprises et d’en faire un prêt consolidé. Cela permettrait aux entreprises de passer ces années compliquées tout en étant en capacité de faire face à leurs dettes. Malgré les réticences des banques, l’idée fait son chemin.

Outremers 360 : Dans quel état d'esprit les TPE/ PME réunionnaises abordent cette nouvelle année ?

Gérard  Lebon : Les effets de la crise sont gênants pour beaucoup de chefs d’entreprise, pour autant, elle nous a obligé à nous repenser, à nous adapter, à trouver d’autres manières de fonctionner, d’autres modèles de développement. C’est cette agilité extrême des PME que nous souhaitions préserver et valoriser.

Une des vertus de la crise aura été de montrer le sens de notre engagement pour les valeurs de solidarité, de fraternité et d’ancrage territorial.

Beaucoup de choses ont aussi changé dans nos organisations, avec notamment le développement du télétravail facilité par un dialogue social enrichi. On a vu émerger de nouvelles attentes, la recherche de sens ainsi que de nouvelles formes d’entreprendre, accordant une place accrue à la digitalisation des entreprises.

Tous ces bouleversements, ces nouvelles formes de collaboration au sein de l’entreprise et sur le territoire constitueront le fil rouge du développement futur de nos entreprises. avec une préoccupation forte autour de la problématique des ressources humaines. Malgré, là aussi, des chiffres encourageants de la courbe du chômage, nous avons de plus en plus de mal à trouver des collaborateurs compétents dans certains métiers en tension comme la restauration, le BTP, les services à la personne… Autant de secteurs qui porteront notre économie en sortie de crise.

Outremers 360 : Le télétravail rentre peu à peu dans la norme du travail. Comment les TPE/PME de La Réunion s'adaptent-elles à cette évolution?

Gérard  Lebon :  Nos entreprises ont fait évoluer leurs modes de travail depuis le début de la crise. On parle aujourd’hui de rendre le télétravail obligatoire en état d’urgence sanitaire mais le télétravail qui ressort de l’organisation même de l’entreprise, devra, par la suite, redevenir une décision de l’employeur. De même, l’idée envisagée d’une nouvelle « amende administrative pour les entreprises réfractaires au télétravail » est une ineptie alors que les entreprises ont parfaitement conscience des enjeux et ont eu une conduite exemplaire depuis le début de la pandémie. De surcroît, il est difficile pour un inspecteur du travail de juger si un poste est télétravaillable ou non.

L'expérience de cette nouvelle pratique depuis le confinement de 2020 a permis d'en mesurer les avantages et conduit à souhaiter bénéficier de la possibilité de continuer à télétravailler après la crise sanitaire. Mais la médaille a aussi son revers. Un télétravail mal pensé et mal organisé peut dégrader les conditions de travail et désorganiser les entreprises.

Source de nombreuses opportunités s’il est bien encadré, le recours au télétravail soulève également de nombreuses questions qui ne se limitent pas à la protection des données, telles que le droit à la déconnexion et la porosité des vies personnelle et professionnelle, l’évolution de la fonction managériale et de l’évaluation du travail, ou encore la place du collectif dans le travail.

N’oublions pas enfin que le télétravail est de nature à isoler le télétravailleur de ses collègues et à davantage individualiser la relation de travail. Il réduit la capacité d'organisation collective des salariés pour négocier dans l’entreprise.

Outremers 360 : L'ancien président de la CPME Dominique Vienne a mis en place et promu durant son mandat les thèmes "RÉELLE" (Ré-Enraciner l’Économie LocaLE) et de la Stratégie du Bon Achat (SBA), poursuivis par votre prédécesseur Éric Leung. Comptez-vous poursuivre ces "dynamiques", ces thèmes auprès des entreprises et institutions réunionnaises ?

Gérard Lebon : Nous défendons en effet depuis de nombreuses années, l’ambition d’un meilleur ancrage territorial de nos économies ultramarines. Loin d’être un repli sur soi, l'ancrage territorial d'une l’entreprise augmente son efficacité sur des marchés souvent plus larges et son engagement sociétal. En effet, l’entreprise ancrée localement s’inscrit dans des échanges de proximité qui lui ouvrent des opportunités pour innover, faire connaître et enrichir ses savoir-faire, nourrir de nouvelles alliances, valoriser ses collaborateurs. Et c'est souvent une étape vers une plus grande internationalisation.

En cohérence avec cette vision, nous avons mis en œuvre une « Stratégie du Bon Achat » (SBA), milité pour un meilleur accès des TPE-PME à la commande publique (avec la Loi Bareigts pour l’Egalité réelle par exemple), promu l’affacturage inversé et développé la démarche pour RéEnraciner l’Économie LocaLE (REELLE). L’ancrage territorial et la valorisation de la production locale resteront plus que jamais au coeur des engagements de la CPME.

Dans le prolongement de notre stratégie REELLE (Réenraciner l’Economie Locale), nous souhaitons continuer à faire le pari de la production locale et de la réindustrialisation de La Réunion. Il faut notamment renforcer les démarches de promotion du savoir-faire et des productions locales. Et cela passe notamment par un renforcement des initiatives pour la structuration de nos filières de production.

Outremers 360 : La Réunion fait encore face aujourd'hui à une progression épidémique "fulgurante". Êtes vous inquiet pour les entreprises de l'île ?

Gérard  Lebon : L’année 2022 sera je l’espère une transition vers un futur plus désirable et une paix sociale préservée.
D’importantes échéances électorales verront nos concitoyens décider de l’avenir de notre pays. Et le marqueur essentiel sera le taux de participation à ces élections. Une forte abstention appellera des réponses au désintérêt pour notre modèle démocratique et la gestion du pouvoir. Elle marquerait notamment une défiance de nombre de nos concitoyens dans la capacité de nos gouvernants à répondre aux problématiques de leur quotidien.

C’est ma principale inquiétude pour les mois à venir. Car s’agissant de la crise sanitaire, je sais que nous serons à même de surmonter les épreuves auxquelles nous serons confrontés: nos entrepreneurs ont du talent. A condition de l’Etat leur laisse la possibilité de travailler?